Ne m'entrave pas - T.2 L&V (bxb) [EN PAUSE]

07. Le chemin

Lyes.

J'ai récupéré des affaires dans mes appartements. Celles qui ont de l'importance à mes yeux. Il a tout fait disparaître en quelques instants. J'imagine qu'il me les rendra lorsque nous serons arrivés, et je n'ai pas le coeur de le questionner à ce sujet. Après tout, mon destin dépend de lui, et cela m'énerve. Heureusement, je n'ai pas eu à recroiser Julius avant notre départ, et à présent que je me trouve sur ce bateau, je ne sais même plus quoi penser. Je crains d'ouvrir les lèvres, et je me déteste de ne pas le faire, de ne pas questionner l'homme qui est responsable de moi. Il est différent depuis sa rencontre avec Mirella, je le sens, même son odeur n'est plus la même, l'éclat de son regard me rappelle celui de notre race, et cela me perturbe. Je l'observe sans un mot, même pas du coin de l'œil. Ouvertement, et je peux voir qu'il n'apprécie pas à la tension de son être. Mais franchement, pourquoi est-ce que je ferais le moindre effort pour me rendre supportable ? Mes pensées sont puissantes, omniprésentes, tout comme mes interrogations. Car les vastes étendues bleutées m'indiffèrent, même si le bateau bénéficie d'une protection magique contre les UV, pour moi, à priori. A moins qu'à bord, il y ait d'autres créatures ayant besoin de cette protection ? Ca, je l'ignore, et mes pensées bouillent avec impatience. J'ai besoin de ces réponses, pour me projeter, pour savoir de quoi mon demain sera fait. Pourtant, je reste silencieux, mes doigts tapotent la rambarde, le souffle du vent soulève mes mèches sans que j'y prête attention. Non, je ne fais que le fixer, l'analyser sans un mot. Je sais ce que je veux : qu'il soit le premier à ouvrir les lèvres, à trancher le silence qui nous accompagne depuis notre départ, depuis qu'il a récupéré mes affaires. 

- Est-ce que tu attends que je te donne l'autorisation de parler ? m'adresse brusquement le sorcier en braquant son regard dans ma direction sans crier gare. 

- J'attends peut-être que tu parles de toi-même ?

Ma réflexion provoque en lui un rire sans joie, alors qu'il m'observe attentivement. Une réplique sincère, perdue dans tout ce merdier d'échange contre ma volonté, suivi d'une envie de fuir celui qui m'a trahi, qui préférera toujours son loup à notre histoire beaucoup, beaucoup plus longue et ancienne que leur stupide lien d'âmes sœurs. Est-ce que Valerian lit en moi à cette seconde ? Est-ce qu'il devine toutes mes questions, toute mon amertume, toute ma douleur ? Ce serait injuste, car j'ai toujours excellé dans l'apparence que je donne à mes traits lorsque je le souhaite réellement. A cet instant, je me noie et j'aimerais que personne n'en soit témoin. Mais lui... lui m'a promis de tenter d'annihiler le lien qui me relie à Julius, de me libérer pour m'enchaîner autrement. J'ai besoin d'y croire, même si tout se solde par l'échec de ma mort, finalement.  

- C'est complètement idiot.

Il me lance ça comme une évidence, et je me tends comme un arc. Je pivote brutalement, laissant mes doigts venir enlacer sa gorge dont le contact me fait l'effet d'un coup de jus. Est-ce que ce n'est que moi ? Est-ce que lui aussi l'a ressenti ? Pourquoi ? Est-ce à cause de son changement ? De sa nature ? C'est un sorcier, après tout. Mais je le déteste de toutes mes forces à cet instant précis de la boucle du monde. Parce qu'il n'a pas le droit de trouver ma façon de penser, idiote. Non ! J'en oublierais presque que nous ne sommes pas seul, qu'il peut me faire mal de sa simple volonté, comme dans la salle du conseil un peu plus tôt. Mais je les sens, ces regards braqués sur nous, belliqueuses présences prêtes à intervenir, mais qui ne font pourtant pas un geste, comme certain que l'être que je voudrais blesser... Sauf que ce n'est pas vraiment lui. Non, c'est un autre que j'ai laissé derrière moi qui me tord le coeur de bien des manières. Et c'est un loup enceint que je voudrais étrangler. La satisfaction de sentir son souffle se tarir sous mes doigts serait un délice incomparable. Valerian, lui, n'a pas bougé, n'a même pas esquissé un geste contre moi. Il se contente de m'observer, de voir jusqu'où je compte aller. Alors je le relâche en grognant et m'éloigne à grands pas. De la distance, de l'air.

Tous me fixent attentivement alors que je les dépasse pour aller... Bon sang ! nous sommes sur un bateau, ce n'est pas comme si je pouvais m'en aller. Et plus encore, nous avons vers une destination dont je ne sais rien. Une destination... qui me frappe de plein fouet. Là, à l'horizon, une île flottante se grave sur mes iris. J'en ai le souffle qui se coupe, figé au milieu du pont, j'observe l'eau qui tombe de ces terres en rivières majestueuses. Je perçois l'immensité d'un monde qui se dresse par l'intermédiaire de tours gigantesques mais qui semblent se perdre dans les monts qui en dessinent le paysage. 

Comment... mais comment avons-nous pu passer à côté d'une telle chose ? Et les humains ? L'île n'est pas connue. Jamais on a entendu parler d'une île flottant dans le ciel, et encore moins de cette impression de magnificence qui aurait forcément déclenché la convoitise de mon peuple. Là-haut, nous n'aurions jamais eu à craindre les loups. Là-haut, nous aurions pu élever des omégas pour la survie de nos sangs bleus et de notre lignée. Là-haut... Je pivote, incrédule, laissant mon regard croiser celui d'un Valerian qui me scrute avec attention. 

- Qu'est-ce que... C'est ça, Distopie ? 

Il hoche prudemment la tête, sans prononcer le moindre mot.

- Mais comment... ?

Le rire d'un autre sorcier s'élève subitement. Il s'agit de celui que les autres ont appelé Roderick et qui me fixe avec attention, un sourire bienveillant qui n'atteint pourtant pas son regard. Je ne lui fais pas entièrement confiance. Il tente de me berner, d'une manière ou d'une autre, alors que Valerian m'observe simplement, sans s'essayer au moindre subterfuge. 

- Allons, Valerian. Tu sembles bien avare d'explications pour notre invité. N'oublie pas qu'il va devenir un enfant de Dis.

Je vois un soupir lasse étreindre le concerné avant de s'évader de ses lèvres, car si j'en crois sa réaction, il vient de souffrir d'une remontrance discrète. Et si elle ne m'a pas échappée, je suis persuadé que tous, ici, en ont compris le sens. Il s'avance jusqu'à moi, s'empare de mon poignet et le lève en direction du ciel sans que je songe à m'en libérer. Et au lieu de chercher à comprendre ce qu'il fait, c'est vers lui que mon attention est tournée. Vers son visage tendu et fatigué qui pourtant transpire d'une force vampire tellement vibrante qu'elle semble vouloir m'écraser. 

- Par le jour crépusculaire, que notre dieu, Dis, t'accueille au sein de notre citadelle éternelle. Ici et à jamais, hier et aujourd'hui, par notre lien je fais de Lyes un enfant de tes entrailles.

Les mots s'élèvent, et semblent avoir une portée plus puissante que j'aurais pu le croire. Car subitement, le bateau tremble et instinctivement mes doigts se nouent aux siens. Car nous perdons tout contact avec l'eau, ou plus précisément, le monde change de perspective alors qu'il empreinte la rivière dont le flux semble s'inverser. A croire que s'il n'avait pas prononcé ces paroles, aucun de nous n'auraient pu parvenir à l'île flottante. J'ai perdu contact avec la réalité, je crois... car lorsque je me remets à papillonner des yeux, nous ne sommes plus en bas, mais en haut, sur l'eau qui borde les terres mystiques de Distopie. Je réalise que mes doigts retiennent encore les siens, bien que nos mains soient à présent à nos côtés plutôt que dans les airs. Et il me fixe avec attention, sans un mot, encore.

- Eh bien quoi ? que je m'insurge en brisant le contact de nos doigts. 

- Rien. Suis-moi.

Il pivote sans même s'imaginer que je puisse rester en arrière. Il a raison, mais tout de même. Les autres me regardent encore, m'observent comme une bête qu'il pourrait être nécessaire d'euthanasier au besoin, je le sens bien. Mon instinct me souffle que l'endroit le plus sûr, à cette seconde, c'est aux côtés de mon geôlier, alors je lui emboite le pas. Découvrir ce monde... si ma position me déplaît, je sais que je n'en aurais jamais eu l'occasion sans lui. Mais cela n'en fait pas un ami pour autant, car j'ignore ce qu'il veut de moi, ce qu'il attend de tout ça.

Et c'est terrifiant, en un sens.