Iomë eleï

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Une bourrasque fit claquer le manteau sombre d'une jeune elfe. Celle-ci, aux oreilles pointues caractéristiques de son peuple, surveillait de ses yeux écarlates la plaine d'un sommet rocailleux. En équilibre sur une pierre à l'allure peu rassurante, l'elfe semblait contrariée toutefois nullement dérangée par la chute possiblement fatale si elle venait à tomber. Visiblement attentive à tout mouvement suspect, ses iris à la couleur étonnante ne se détournaient pas dans l'immense prairie verdoyante qui se déployait sous elle. Les deux lunes de Lacanides couvraient la plaine de leurs rayons pâles et miroitaient dans le lac en contrebas. Seul le vent venait troubler le silence paisible, se glissant à travers les roches, hurlant des mots que nul ne pouvait comprendre. Rien ne semblait pouvoir perturber cette nuit si calme.

Pourtant, ce n'était pas n'importe quelle nuit. En vérité, cette nuit était probablement la plus importante de toutes depuis 3000 ans. L'elfe secoua la tête, se détournant enfin de la plaine. Elle tourna ses yeux vers les deux lunes. Celles-ci, dont les bords semblaient se frôler,  paraissaient être sur le point de rentrer en collision, si proches et pourtant...

- Il faut attendre encore un peu.

L'elfe femelle sortit aussitôt de sa rêverie et porta sa main sur sa dague rangée dans son dos. Un autre elfe plus vieux se tenait devant elle, les cheveux blancs, la peau ébène et des yeux verts perçants. Un arc était accroché à son épaule et son carquois était rempli de flèches aux plumes colorées. Sur sa tête, trônait une couronne en or semblable à une branche de chêne au printemps. La jeune fille baissa sa garde et s'accroupit, comme déçue.

- Ils ne devraient toutefois pas tarder à sortir de Haddenral, Aolis, continua l'autre d'une voix tranquille. Tu dois te tenir prête à donner l'alarme, notre mission repose sur toi.

Elle lui lança un regard noir.

- Je croyais que je devais venir combattre avec vous ! lança-t-elle. Je veux me battre Ada.

Le visage de l'homme s'adoucit.

- Je sais que tu attends ce moment depuis quelques années mais-

- Depuis que je suis née, le coupa-t-elle sèchement. Tu m'as préparé à cela depuis que je savais mettre un pied devant l'autre.

L'elfe aux cheveux blancs prit une inspiration et reprit calmement. Au dessus de leur tête, les lunes se rapprochaient inexorablement.

- Aolis, ma fille, dit-il d'un ton plus doux. Je t'ai élevée, en te promettant qu'un jour, tu chevaucheras le grand Danneidy, le grand dragon qui sauva notre peuple il y'a 10 000 ans.

Aolis leva les yeux au ciel.

- Sauf que oui Danneidy est mort mais pas ses deux œufs qui nous ont été volés par les hommes donc c'est notre devoir de les retrouver, continua-t-elle l'air ennuyé. Je connais l'histoire Ada. Je suis née pour chevaucher l'un des Danneidy'ir, l'un des fils de Danneidy. C'est pour cela que je suis venue au monde, c'est ma destinée.

Elle se laissa tomber sur le sol rocailleux, les yeux rivés sur les lunes.

Son père se rapprocha d'elle et s'assit, contemplant la plaine.

- Oui, il en est de ta destinée, mais aussi celle de notre peuple, murmura-t-il cette fois avec un air grave. Sans les Danneidy'ir à nos côtés, c'en est fini de notre avenir.

Ses yeux s'embrumèrent et il battit des paupières pour chasser les visions horrifiques que lui présentaient ce probable futur. Il passa la main dans les cheveux immaculés de son enfant, appréciant leur finesse.

- Tu es trop jeune pour te battre Idy'ar, continua-t-il. Ce soir, les hommes transportent les deux œufs hors de Haddenral et nous devons les intercepter. Ils s'attendent à ce que nous tentions quelque chose, nous ne pouvons pas les prendre par surprise.

Sa fille demeura silencieuse.

- Cette nuit est la iomë eleï, la nuit élue. Tu sais ce que cela signifie ? reprit le noble, l'air pensif.

Aolis soupira doucement avant de répondre de manière placide :

- Cela signifie que Nanphalae'ir et Nanphalae'ar vont se croiser au point le plus haut dans le ciel au milieu de la nuit.

Son père acquiesça.

- Exactement, la fille et le fils du premier dragon Nanphalae se rejoignent pour une unique nuit avant de se séparer pendant 3000 ans, ajouta-t-il.

La jeune elfe fronça les sourcils et se tourna pour faire face à son père.

- Comment deux lunes peuvent-elles être les enfants d'une dragonne ? demanda-t-elle sur un ton dubitatif.

L'homme rit doucement.

- Ce sont nos légendes, des mythes rien de plus. Je te la raconterai quand nous serons chez nous, pour l'instant, il est temps de nous préparer Idy'ar.

Il se leva et tendit la main à sa fille. Cette dernière la prit volontiers avant de s'enquérir:

- Que ferons-nous si nous réussirons à voler les oeufs de Danneidy ?

Le noble posa ses yeux émeraudes sur son enfant avant de répondre doucement :

- Nous partirons aussitôt rejoindre les terres de nos ancêtres et nous ne reviendront plus jamais sur Lacanides.

- Et si nous échouons ?

Une ombre passa dans le regard de son père avant qu'il ne souffle:

- Alors tout espoir sera perdu.

Flamboie comme l'or (essai/ réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant