Il me faut quelques secondes pour reprendre mon souffle tandis que je me faufile à travers l'obscurité qui a envahi la scène. La petite pause est une bonne idée, j'ai besoin d'air, de pisser et de boire. Pas forcément dans cet ordre-là, d'ailleurs. Mes oreilles bourdonnent malgré les bouchons, que je retire. Un gémissement de satisfaction me surprend moi-même – c'est toujours le meilleur moment, quand le monde renaît et que je ne suis plus totalement seul dans ma tête. Enfin, si, je le suis toujours, mais c'est autre chose d'avoir le brouhaha du public à fond.
Derrière sa batterie, Hugo descend une bouteille d'eau et m'en file une pleine quand je le rejoins.
— Pas mal, hein ? chuchote-t-il.
— On devrait faire ça plus souvent, acquiescé-je. Ça fait du bien !
— J'en ai vu quelques-uns qui n'ont toujours pas fermé la bouche tellement ils sont sur le cul.
Il frappe rapidement de sa paume dans la mienne et, je l'avoue, j'ai du mal à retenir mon rire à cette remarque. Notre groupe a largement fait ses preuves. De révélation musicale il y a treize ans jusqu'à aujourd'hui où nous écumons les grosses scènes lors de nos tournées, malgré un relâchement après l'accident, disons qu'il y a peu de gens qui ne nous connaissent pas. Ou ne nous reconnaissent pas. C'est assez instantané, en général. Peut-être à cause de nos carrures, de nos tronches. Les cinq frangins ont un faciès qui leur est propre, visiblement.
— J'en connais d'autres qui vont la garder ouverte pour l'after, ajouté-je en riant.
— Ça y est, t'as envie de fourrer ?
Je me contente de hausser les épaules. Aucune idée. Si mes frangins ont continué à me travailler au corps sur l'idée de me laisser aller ce soir, ça dépendra aussi de ce qui va se présenter. Contrairement à certains, je ne me tape pas tout ce qui bouge et qui suce. Pensée toute spéciale à Gabin qui « profite de sa jeunesse » et Hugo, justement, qui a tendance à oublier sa femme. Qui doit être au courant depuis le temps. Enfin j'imagine, ou alors elle est sourde vu les discussions qui tournent à table pendant les rassemblements de famille. J'ai laissé tomber l'idée de comprendre leur couple, à force.
— Peut-être, peut-être pas, dis-je tout bas en me penchant pour qu'il m'entende sans avoir à hurler. On verra bien ce qui s'amène.
— Pas de pétasse ?
— Pas de pétasse, ris-je. De la queue uniquement, tu me connais.
— Ouais, bon, tu sais mon avis là-dessus : un cul est un cul, peu importe ce qui l'accompagne. J'ai jamais compris ce que tu n'aimais pas chez les nanas. Pour les mecs, je vois ce qui t'attire, évidemment, mais les nénettes ?
— On a déjà eu cette discussion, tu es bi, moi gay, ça ne me la fait pas lever, c'est tout. Je pourrais te faire la liste de ce qui me fait débander chez une femme que ça nous prendrait la semaine pour faire le tour.
Il ricane et prend une nouvelle rasade d'eau. Elle est fraîche, posée depuis peu. Tonio a dû faire un tour derrière la scène pour glisser les bouteilles au plus proche de la batterie sans qu'on le remarque. Je l'adore. Je suis toujours étonné de voir les potes que Gabin a pu se faire alors qu'il est... un peu con, il faut le dire. Peut-être parce qu'il est mignon quand il ferme sa gueule.
Profitant de l'obscurité et du calme relatif qui s'est installé pour la pause, je me retourne et observe la grande salle. C'est petit, mais bien fichu. Je sais que les gens nous voient malgré les lumières qui ont été désactivées, et pourtant tout le monde respecte ce moment d'intimité que l'on nous donne. Les plus curieux jettent des coups d'œil presque furtifs et ça a le don de me faire sourire. Peu importe les années, les comportements des fans ne changent pas. Aux coins avant de la scène, Timothé et Justin, nos gardes du corps pour cette lubie d'un soir, font leur office et découragent les gens de monter sur l'estrade.
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BIJOU - L'étincelle des esseulés
RomanceRaphaël, perceur de métier, est un homme taciturne qui se satisfait du cours de sa vie, aussi n'imaginait-il pas rencontrer, encore moins échanger, avec son groupe de musique favori et son chanteur lors d'une soirée dans le bar d'un ami commun. Quan...