BIJOU - L'étincelle des esseulés

Chapitre 5 : Raphaël

Un truc qu'on ne pourra jamais reprocher à Tonio, c'est l'attention particulière qu'il a mise sur les chiottes. C'est spacieux, trois cabines et cinq urinoirs installés sur le mur le plus éloigné, camouflés derrière une barrière nous protégeant de quoi qui puisse entrer et nous emmerder. Parce que s'il surveille que les mecs n'aillent pas déranger les demoiselles, la réciproque a dû se poser également. Et c'est précisément pour les urinoirs que je suis là, alors je ne peux pas m'empêcher de soupirer de soulagement. Une main sur le mur carrelé pour garder mon équilibre jusqu'au bout, j'errer un peu tout du long, pensant à... à quoi qu'il puisse y avoir dans mon esprit à cet instant précis, et j'ignore vers quoi m'orienter. Mon envie de pisser, mais j'y suis presque. Mon érection ? Une vague de chaleur me prend de nouveau au visage en repensant à la sensation serrée autour de mon bassin. Même si j'ai un peu débandé, assez pour pouvoir uriner sans trop d'ennui, ce n'est qu'une question d'un rien pour que ça reparte. Pour mon plus grand plaisir, je dois l'avouer. Bon sang, c'est juste le premier ou deuxième niveau d'ivresse à ce stade de la soirée, et la bière attaque mon système plutôt rapidement à mon goût ; j'aurais dû manger un peu plus avant de sortir, ou demander plus de cacahuètes à Tonio.

Du bruit me fait presque sursauter et bientôt j'entends plusieurs corps entrer dans les toilettes.

— Eh mec, est-ce que ça va ?

La voix vient de tout près et je prête à peine attention à la silhouette qui s'installe à l'urinoir à côté du mien. Il n'y a que ce frisson qui dévale mon dos à son timbre rauque et grave – merde, une voix faite pour le sexe.

Néanmoins, je fais l'effort de me redresser un peu tandis que je finis mon affaire, range ma queue et remonte ma braguette.

— O... ouais, c'est juste... putain, Tonio n'y est pas allé mollo, sifflé-je quand ma main ne peut pas lâcher le mur d'en face immédiatement, me forçant à me concentrer un peu plus. Il va avoir de mes nouvelles, l'enfoiré...

Un gentil gloussement résonne à mes oreilles et j'ai la sensation que je pourrais patauger dedans jusqu'à la fin de mes jours. C'est marrant, comme sentiment. Un peu familier, de manière à ce que mon palpitant s'emballe sans raison. Bientôt, tout est ruiné par le son de la pisse contre la porcelaine blanche et je reprends mes esprits. Un peu.

— Tonio est un chic type, mais il a la main lourde sur la bière, hein ? dit le type et je ne peux qu'acquiescer. Il ressemble à son beau-père, on ne se demande pas qui l'a élevé !

Cette fois, je me fige un peu à cette voix si profonde et, bon sang, si agréable, qui fait son chemin dans mon cerveau. Je la connais, je l'ai déjà entendue, évidemment, mais rarement sur du parler. C'est surtout la façon dont ce type prononce les voyelles qui le trahit.

Cette fois, je risque un œil de biais et manque m'étouffer malgré moi.

Noah de Courage.

Sous les néons blancs, sa peau est tannée, à des endroits un peu plus claire que celle d'Ocean, et court sur son visage, ses mains, ses bras. Cette pâleur illumine la cicatrice qui traverse le milieu de sa lèvre inférieure jusqu'à son menton – tout le monde se souvient de l'accident d'il y a deux ans, de son visage ouvert dans les journaux télévisés et tous les fans se sont plongés à corps perdus dans la douleur de cette annonce, plus effrayés que ce type mette un terme à sa carrière dans la chanson que par ce qu'il devait vivre à titre personnel. Pourtant, à peine sa guérison terminée, il était reparti. Un peu différent d'avant, évidemment. Et d'aussi près, il semble encore un autre, loin de la télévision, des émissions diverses, des lives sur écran et des shootings photos dans les magazines. Comment peut-il être aussi réel et tout autant sorti d'un rêve d'ado, au juste ? Ou c'est la bière ? Pourtant, je suis loin d'être ivre. Pas à ce point. Je crois.