Une autre tournure

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Vue de Jinshi

-Il y a une lettre sur votre bureau, monsieur, m'a annoncé ma gouvernante en ouvrant la porte de ma pièce.

-De qui provient cette lettre ? ai-je demandé dans un soupir en m'épongeant le front qui était totalement recouvert de sueur. Tu vois, ça fait trois mois que je suis sur le champ de bataille, dans des conditions complètement horribles malgré mon haut rang, j'aimerais bien avoir un bain chaud avant de me remettre au travail...

-Tout de suite, Jinshi, m'a répondu la vieille dame avant de s'éclipser, me laissant seul dans la grande pièce.

  Ça faisait peut-être deux mois que je n'avais pas vu cette pièce qui m'était si familière avant que la guerre ne se déclare, m'obligeant par mon haut rang à rejoindre l'empereur sur le champ de bataille pour diriger les opérations du mieux que je pouvais. Seulement, je n'en pouvais plus, de ce froid, cette famine, ces terribles conséquences de la mort imprévisible d'une concubine telle que Lolan qui n'a toujours pas été remplacée. Je n'en pouvais plus de voir mes hommes s'effondrer devant moi, de voir du sang d'innocents jaillir devant moi sans raison, de voir tous ces hommes qui avaient certainement une famille et qui n'allaient pas avoir la chance de les revoir une dernière fois avant qu'une balle dans la tête ait raison d'eux. Non, cet horrible spectacle auquel j'assistais sans pouvoir rien dire m'insupportait  terriblement. Alors, quand l'empereur m'a donné l'opportunité de me rendre de nouveau à la cour impériale, j'ai tout de suite sauté sur l'occasion de me détacher quelques jours des combats pour régler quelques affaires qui n'avaient pas une très grande importance à mes yeux mais qui semblaient tout de même préoccuper assez l'empereur pour me renvoyer moi là-bas.

  Quelques minutes plus tard, mon bain chaud était déjà prêt, et j'ai enfin pu être seul, juste avec moi-même, après toutes ces scènes terribles qui s'étaient déroulées sous mes yeux, ces derniers mois.

  Je me suis glissé dans la grande baignoire qui moussait trop rapidement à mon goût, et j'ai poussé un soupir de soulagement tout en me délectant de la douce chaleur dont s'imprégnait mon corps. C'était un contact si agréable, cela m'a empli d'une vague de plaisir dans tout mon corps, qui s'est d'un coup détendu, oubliant un instant toute cette tension et cette pression qui pesaient sur mes épaules.

  Je suis resté ainsi, les yeux fermés pour profiter de chaque seconde de ce moment si apaisant, pendant peut-être une heure, avant que l'eau se refroidisse et que les plis sur mes doigts m'indiquent qu'il était temps pour moi que je sorte de la baignoire.

  Je me suis essuyé un peu partout avec une serviette d'une douceur très agréable, puis j'ai enfilé un peignoir pour aller m'asseoir à mon bureau pour étudier quelques papiers d'affaires malgré le fait que la nuit tombait dehors. Mais il y avait devant moi la fameuse lettre dont m'avait parlé ma gouvernante, et j'ai poussé le tas des papiers officiels sur le côté pour n'avoir qu'en face de moi cette fameuse lettre, encore enfermée dans une délicate enveloppe d'un blanc parfait et hypnotisant.

  J'ai écarquillé les yeux. « Pour Jinshi », cette écriture, je ne la connaissais que trop bien. Mao Mao. Mao Mao m'a écrit une lettre. J'ai déchiré l'enveloppe dans des gestes brusques pour en sortir le précieux papier blanc où elle avait écrit dessus. Je me suis empressé de la lire, trop impatient, comme obsédé d'avoir un signe de vie de mon apothicaire, de ma Mao Mao, depuis trois mois où j'étais malheureux loin d'elle, sur les champs de bataille, elle je ne sais encore où.

  Il y avait deux feuilles de papier, c'est qu'elle avait sûrement beaucoup de choses à me dire. Je ne savais pas vraiment si ça présageait quelque chose de bon, ou, au contraire, de mauvais. L'inquiétude s'est emparée de moi alors que je commençais la lecture.


Cher Jinshi,

Après avoir été virée de la cour impériale, je suis partie travailler au Palais Vert-de-Gris avec la vieille à qui vous m'aviez achetée il y a un peu plus d'un an. Oui, je suis devenue une prostituée, et je me désole sûrement autant que vous de mon pitoyable destin, mais il faut croire que tout cela avait été écrit et, de toute manière, je n'ai pas le choix.

J'ai rencontré sur le chemin jusqu'au Palais Vert-de-Gris le petit frère de Lihaku, une personne adorable, avec qui je n'ai parlé que très brièvement. J'ai également appris ce même jour la mort de mon père adoptif, Luomen, ce qui m'a fait un énorme coup au morale, et je m'en veux encore de ne pas avoir été auprès de lui quand il a eu cet ultime AVC qui lui a enlevé la vie.

J'étais au plus bas, j'ai songé plusieurs fois à mettre fin à ma vie, mais je n'avais qu'une ultime raison de me maintenir vivante, et c'est vous, Jinshi. Je suis partie de la cour impériale parce que nous avons commis l'irréparable sous l'effet de l'alcool, et qu'évidemment la faute me revenait, cependant, je ne peux pas blâmer l'empereur sur sa décision, c'est lui qui nous contrôle. Mais je dois me résoudre à vous avouer que, pour moi, maintenant que je ne suis plus ivre comme cette nuit-là, j'aurais quand même fait l'amour avec vous parce je suis amoureuse de vous, follement amoureuse. J'ai mis du temps à me l'avouer moi-même, parce que je ne savais très bien que notre amour est complètement impossible.

Jinshi, si vous saviez à quel point je me sens coupable et que je me pense à vous quand je dois passer mes nuits avec d'autres hommes que vous, je rêve à chaque fois que je me fais toucher que c'est vous qui m'offrez ce plaisir si divin. Mais je dois me rendre à l'évidence et accepter la dure réalité, non, ce n'est pas vous qui me touchez, me murmurez des mots doux, me faites gémir, me faites jouir, me faites l'amour. Non, ce sont des putains d'hommes qui sont déjà mariés mais qui ne sont visiblement pas assez satisfaits sexuellement pour aller tromper leur femme avec des jeunes minettes comme moi qui n'ont aucune forme et un physique peu flatteur, et en plus dépenser une fortune juste pour une nuit.

Il y a quelques jours, Lihaku est venu pour acheter Pailin, une de mes collègues du Palais Vert-de-Gris. J'étais si heureuse qu'il rende heureuse et sa liberté à celle que j'ai toujours considérée comme ma grande soeur, j'en ai même pleuré le soir, car j'étais heureuse pour elle, mais en même temps jalouse d'être encore enfermée pour jouer mon rôle d'objet à toucher. Je lui ai demandé de m'aider à m'infiltrer à la cour impériale, parce que je ressentais le besoin d'aller trouver le coupable de la mort de Lolan, je m'en sentais capable.

J'ai observé son cadavre, bien que déjà décomposé, j'ai regardé sa chambre, j'ai relevé les empreintes sur le récipient qui contenait le poison. Non, on ne l'a pas empoisonné dans ses plats, ou ça aurait été sa goûteuse qui aurait trouvé la mort, elle s'est empoisonnée elle-même. Alors je suis allée voir le charlatan pour mettre les choses au clair, et c'est d'ailleurs lui qui a déposé cette lettre sur votre bureau, et je le remercie d'avoir gardé ma visite secrète.

Il m'a expliqué que, la nuit avant qu'on la retrouve morte le lendemain matin, Lolan s'était rendue elle-même voir le charlatan pour un remède contre des maux de tête sévères, d'après ses dames de compagnie, mais le charlatan était absent car c'était au beau milieu de la nuit. Elle a alors dû fouillé vers l'endroit où j'ai marqué « remèdes » sur une banderole à l'époque où j'étais encore apothicaire, le problème, c'est que le charlatan a la furieuse tendance à tout mélanger et, de plus, certains de mes remèdes sont des poisons. J'ai analysé tout ce que je pouvais : elle a bu un des poisons que j'avais préparés, moi, et ça, les incompétents d'enquêteur et de médecin que vous avez engagé ne tarderont pas à s'en rendre compte. Alors, je dois me rendre à l'évidence : je suis la meurtrière de Lolan, et je dois aller me dénoncer et purger ma peine pour cesser cette guerre. Je n'ai jamais voulu cette mort, mais j'en suis responsable pour avoir laissé des poisons en évidence, j'ai tué Lolan avec mes poisons et mes plantes, et à cause d'un de mes foutus produits, une guerre est en train de tuer la moitié des hommes du pays.

Je ne sais pas quand vous lisez cette lettre, mais sachez que, désormais, je suis en route jusqu'aux champs de bataille pour aller remédier à tout ça.

J'ai été heureuse de vous connaître Jinshi, que vous soyez rentré dans ma vie, et je ne pourrais sans doute jamais assez vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi.

Adieux,
Mao Mao

Mao Mao x Jinshi : Sauve-moi...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant