chapitre 2

2 1 0
                                    

  La jeune fille quitte la salle d'eau pour rejoindre le bas des escaliers. Elle appelle Elliot d'une voix forte pour savoir où il se trouve. Quelques secondes passent avant qu'un son encore plus fort que le sien retentisse depuis sa chambre. Se trouvant à l'étage, elle n'a pas d'autres choix que de longer les murs blancs, couverts de cadres photos et de peintures signées "Amy, 7 ans" ou "Elliot, classe de CM1", et arrive devant la porte en bois clair de la chambre d'Elliot. Celle-ci est entrouverte, alors elle entre sans prendre la peine de toquer.
  Elliot se lève précipitamment du sol, tenant un t-shirt qu'il cache derrière son dos. Bien qu'il soit méticuleux dans le rangement de sa chambre, il s'autorise parfois à laisser traîner quelques affaires par flemme, qu'il range directement le lendemain. Son amie l'a simplement surpris en train de faire son rangement rapide et habituel. Il la regarde avec un visage innocent auquel elle répond par un regard complice, avant de s'affaler sur sa chaise à roulettes. Elle scrute son bureau des yeux, observe les nombreux crayons à dessin éparpillés sur le côté droit, maintenus en place par deux gommes qui les empêchent de rouler et de tomber au sol. Elle contemple la seule photo qu'ils ont imprimée dans un photomaton en ville, fixée avec de la patafix sur les planches en bois décoratives de son mur blanc. Sur cette photo, Elliot tient fièrement les cheveux longs de part et d'autre de la tête de son amie, tandis qu'elle rit de toutes ses dents, un rire sincère. Ce moment reste gravé dans sa mémoire comme l'un des plus drôles qu'elle ait partagé avec lui.
  Un léger mouvement derrière elle attire son attention, alors elle se retourne, place ses jambes de chaque côté de la chaise, croise ses bras sur le dossier, et pose sa tête sur ses avant-bras. Elliot plie le dernier vêtement qu'il a trouvé au sol et le range dans son armoire.
  « Je ne veux pas être indiscrète, mais tu ne m'as pas parlé des "invités"...», dit-elle.
Il se pose enfin sur le bord de son lit, face à elle. 
  « Ce sont des gens qui viennent régulièrement ici. Je n'y ai pas pensé parce que leur présence est tellement habituelle qu'elle ne compte plus comme un "événement-important-et-nouveau-de-ma-vie-que-je-dois-absolument-raconter". Mais pour t'expliquer, il s'agit de mes amis d'enfance. Ils n'habitent pas si loin, mais le trajet est épuisant, alors depuis peu, leur père ne les emmène plus aussi souvent. L'aller-retour est un peu long pour lui. Du coup, leurs parents leur ont acheté des billets de train, et ils arrivent ce soir. 
  — Ils restent combien de temps ?
  — Toutes les vacances d'été. »
  Elle écarquille les yeux, étonnée par la durée pendant laquelle Elliot va jouer les hôtes. Ses parents à elle ne la laisseraient jamais partir aussi longtemps dans une autre ville sans eux. 
Il reprend : 
  « Ma mère est très heureuse d'avoir de la vie à la maison, tu sais comment elle est. Et puis, leurs parents partent en Grèce pour leur 20e anniversaire de mariage pendant ces deux mois, donc disons que nous faisons une sorte de "garderie pour jeunes adultes". Tu les rencontreras forcément. Je peux te proposer de venir les chercher à la gare avec nous si tu le veux. » 
  Sa curiosité prenant le dessus, elle accepte.

  Elle reste chez Elliot tout l'après-midi. Ils parlent, jouent à des jeux de société avec sa sœur. La mère d'Elliot leur prépare des petites choses à manger, comme des muffins et des cookies. Cette femme adore cuisiner, et elle montre son amour à travers ses plats. Elle a toujours peur de prendre des kilos en plus quand elle vient ici, mais elle aime secrètement ça. Grignoter entre les repas, ce n'est pas quelque chose qu'elle fait chez elle, ses parents étant plutôt stricts sur les horaires des repas.
  Aux alentours de seize heures, ils regardent un film devant lequel elle verse discrètement des larmes. Elliot se moque d'elle, comme à son habitude, avant de lui tendre une boîte de mouchoirs.
Selene sort enfin de son bureau de travail. Elle travaille à distance, dans un emploi lié au tourisme, semble-t-il, mais elle n'a jamais vraiment compris comment ça fonctionne et ce que cela implique exactement. Elle pense que Selene devrait se reconvertir dans un métier culinaire, ouvrir son restaurant ou quelque chose d'autre pour faire goûter au monde ses délices. Sa spécialité est le concombre farci, une recette fraîche pour l'été :
Elle coupe un concombre en deux, le vide de ses pépins indigestes, puis prépare la mixture qu'elle placera ensuite dans le creux du légume. La mixture se compose de thon à l'huile d'olive, d'un demi-citron jaune, un peu de crème fraîche, une échalote, du persil ainsi que du sel et du poivre : recette testée et approuvée par le père de la jeune fille.
  Quoi qu'il en soit, Selene travaille beaucoup pour ses enfants et ça se voit. Elliot raconte souvent à quel point il lui est reconnaissant ; lui et sa sœur n'ont jamais manqué de rien, et c'est une chance. Beaucoup de jeunes de l'église n'ont pas la vie facile et ils en témoignent souvent lors de leurs échanges, ce qui semble le toucher profondément. Elliot se lève du canapé, attrape sa sœur qu'il porte sur ses épaules, et leur annonce qu'il est temps de partir à la gare.

  Le paysage défile devant ses yeux au même rythme que les vagues s'écrasent sur le sable humide de la plage. Le vent entre par sa fenêtre ouverte et fait voler ses cheveux blonds, illuminés par le soleil, sur le dossier du siège de la voiture. Elliot, assis sur le siège passager avant, met de la musique et danse à contretemps de la mélodie. On perçoit dans son attitude qu'il est heureux, alors qu'elle ne peut s'empêcher d'être un peu stressée.
  La voiture ralentit enfin, laissant le bruit des cailloux écrasés du parking résonner sous les pneus. Il n'y a pas autant de voyageurs sur le quai qu'elle ne l'avait imaginé, il ne sera pas compliqué de repérer les amis d'Elliot. 
Ce dernier s'approche alors pour observer l'arrivée du train, et c'est au bout de plusieurs minutes qu'elle le voit revenir précipitamment vers elle afin d'annoncer l'arrivée de la machine sur la voie ferrée. La locomotive s'arrête complètement, la voix préenregistrée annonce les prochains horaires de départ, les portes s'ouvrent.
  « Je les vois ! », s'écrie Elliot en accourant vers deux jeunes, une fille aux cheveux châtains clairs et un garçon lui  ressemblant légèrement.
  Elle ne s'avance pas, mais Elliot la désigne du doigt, et le garçon aux cheveux châtains s'approche d'elle, avec un léger sourire, le bras gauche chargé de sacs et la main droite tendue dans sa direction. 
  « Jay.
  — Iris », lui répond-elle timidement. 

Blue Wine's FlowerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant