chapitre 4

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  Iris est rentrée tard de la plage avec ses nouvelles connaissances. La nuit était déjà bien avancée, et tous commençaient à être fatigués.
  À peine avaient-ils franchi la porte que Selene les attendait sur le canapé, une tisane chaude et fumante entre les mains. Dès qu'elle les aperçut, elle se leva et proposa à Iris de la raccompagner chez elle. Iris savait au fond d'elle que ce n'était pas une vraie proposition. Selene lui aurait de toute façon interdit de prendre son vélo en disant quelque chose comme : Il est bien trop dangereux pour une jeune fille de rouler seule en pleine nuit, surtout avec le froid et le manque de visibilité ! Non, non, et non ! Soit tu dors ici, soit je te ramène !
Iris imaginait parfaitement comment la mère de famille aurait parlé, ce qui l'amusait. Elle accepta donc d'être raccompagnée par Selene et son fils.

  Garés devant la grande maison de pierre, Iris et Elliot sortirent de la voiture pour se dire au revoir. Selene attendait patiemment que son fils remonte pour rentrer.
  Alors qu'il échangeait ses derniers rires avec Iris, Elliot, en levant la tête, aperçut à travers l'une des fenêtres légèrement éclairées de l'étage une femme enroulée dans une robe de chambre rose, le regard foudroyant. Il resta silencieux, laissant son amie s'éloigner avec une mine joyeuse et innocente.
  Ce soir-là, Iris se précipita dans sa chambre en secret, sur la pointe des pieds.

  En se réveillant tôt ce matin, à cause de la lumière du jour qui s'infiltrait entre ses volets, Iris s'est levée de son lit et a préparé son sac. Elle a rejoint silencieusement son père dans son bureau au rez-de-chaussée, l'a embrassé et l'a prévenu qu'elle serait de nouveau chez Elliot aujourd'hui pour récupérer son vélo. Son père a simplement acquiescé en lui souriant avant de replonger dans ses papiers. L'odeur du café flottait dans l'air, imprégnant toute la pièce. Elle en a déduit qu'il n'avait encore pas dormi de la nuit et qu'il n'en était pas à son premier expresso.

  Après un long trajet à pied dans les rues de sa petite ville, Iris se trouve à présent dans le jardin des Ardiets. L'air est plus frais sous l'ombre de l'olivier où elle s'est installée, un carnet bleu sur les genoux et un stylo orné de doré entre les doigts. Selene, qui travaille tôt le matin, l'avait accueillie à son arrivée. La maison est silencieuse et tout le monde semble encore dormir, sauf Astrid qui apparaît dans un débardeur jaune ample, ses cheveux courts ébouriffés rebiquant sur les côtés à cause du sommeil.

Iris trace sur le carnet, le croquis d'un chat entre les buissons du jardin commence à se dessiner. Le chat, à la différence des buissons, n'existe pas, mais Iris aime mélanger imagination et réalité.
  Intriguée par les dessins d'Iris, Astrid entame une discussion. Pendant près d'une heure et demie, elles parlent de leurs vies respectives. Astrid parle surtout de son frère, un sourire aux lèvres, les yeux pétillants. Son regard se tourne souvent vers le ciel, comme pour réfléchir ; elle semble chérir son frère et être très proche de lui. Elle laisse entendre qu'elle en est fière et admirative. Pourtant, d'après ce qu'elle raconte, Iris devine qu'ils sont très différents. Jay est naturellement timide, mais devient très attentionné et doux lorsqu'il se sent à l'aise. Elle avait tout de suite remarqué son attitude fermée lors de leur première rencontre, contrairement à celle enjouée de sa sœur. Habituellement, ce sont les caractères comme ceux d'Astrid qui se démarquent, dont les gens sont les plus fiers et admiratifs, car ils envient leur aisance relationnelle et leur énergie. Cette remarque intrigue un peu plus Iris sur la personnalité de Jay.

  Midi approche à grands pas et Astrid se motive à cuisiner une salade de tomates pour tout le monde. Au même moment, Jay apparaît à l'entrée de la véranda qui sépare la maison du jardin. Il porte des couleurs neutres, une jolie chemise beige légèrement ouverte en décolleté, ainsi qu'un bermuda marron. Ses cheveux sont coiffés et il n'a pas la même mine fatiguée que sa sœur.
Quant à Elliot, il dort encore ; il a toujours été indolent. Après quelques minutes, des cris et des rires retentissent depuis l'étage. Amy, excédée par la paresse matinale de son frère, a décidé de lui sauter dessus pour le réveiller. L'enfant doit sûrement être impatiente du fait de passer une nouvelle journée à ses côtés.

  Lors d'une discussion durant le repas, Selene prend des nouvelles des parents des jumeaux. Astrid reste silencieuse, alors Jay prend la parole après avoir soigneusement avalé sa bouchée.
  « J'ai eu mon père au téléphone ce matin. Il vous embrasse et vous remercie de nous accueillir si longtemps ! Ils sont heureux de se débarrasser de nous pour profiter de leurs vacances. »
  Selene rigole, accompagnée de ses enfants et de Jay. Astrid ne dit toujours rien, probablement trop occupée à croquer l'une des tomates coupées dans son assiette. Son regard est fuyant lorsque Iris essaie de le croiser, comme lorsqu'elles discutaient sous l'olivier, mais cette fois, c'est différent : elle ne semble pas perdue dans ses pensées, mais plutôt éviter le regard volontairement.
  Remarquant le malaise ambiant, Elliot propose une nouvelle virée à la mer, cette fois dans un endroit entouré d'arbres, où l'on peut se balancer sur une corde comme Tarzan. Amy est conviée à se joindre à eux pour laisser Selene travailler en paix.

  Le temps est agréable : l'air chaud est adouci par l'ombre des arbres, et le soleil de midi, déjà passé, épargne les peaux peu habituées à l'été des brûlures.
Amy, Astrid, et Elliot se chamaillent dans l'eau salée. Les deux aînés veillent attentivement sur la plus jeune, s'assurant qu'elle ne s'éloigne pas trop.
  Un peu plus loin, Iris et Jay sont assis à l'écart, au sec, tous deux silencieux. Jay est perdu dans ses rêveries, les yeux fermés, la tête penchée en arrière pour profiter des quelques rayons de soleil filtrant à travers les branches. Iris observe l'eau qui sèche lentement sur sa peau subtilement hâlée. Sans s'en rendre compte, elle laisse son regard parcourir les courbes de son corps : son ventre replié, ses mains enfoncées dans le sable, son cou tendu. Elle remarque les quelques grains de beauté éparpillés sur ses bras et son dos, ses jambes à moitié étendues et ses mollets sculptés par la course à pied. Malgré l'odeur marine environnante, elle parvient à distinguer son parfum naturel, et se dit que le sien doit être tout aussi perceptible, ce qui lui cause un léger embarras.
  À ce moment-là, Jay tourne la tête et leurs regards se croisent. Ils échangent un sourire maladroit, sans savoir quoi dire. Le silence retombe avant qu'Iris ne se décide à lui poser la question qui la tracasse depuis plusieurs heures.
  « Il y a un problème entre ton père et Astrid ?

Jay affiche un visage neutre, Iris ne parvient pas à déterminer si sa question est déplacée, tant il lui est difficile de déchiffrer la moindre émotion dans ses yeux.
  — Pourquoi tu demandes ça ?
  Sa voix est posée et sèche, et Iris se sent honteuse d'avoir posé cette question. Elle a l'impression d'être idiote, comme si elle ignorait une évidence.
  — Pendant le repas tout à l'heure, elle avait l'air embêtée au sujet des nouvelles de tes parents. Du peu que je la connaisse, elle n'est pas du genre à être silencieuse. Alors je me demandais...
  Quelques secondes s'écoulent sans réponse, juste le temps pour Jay de se redresser et de ramener ses jambes contre son torse.
  — Elle n'avait sûrement rien à dire. Elle est comme ça parfois, elle peut parler des heures puis ne plus rien dire un moment. Dans ce cas, elle est dans son monde, elle n'entend plus personne. »
  Cette réponse est évidente et rationnelle, mais Iris reste perplexe. Elle n'explique pas pourquoi Astrid avait le regard fuyant, ni pourquoi ils s'étaient tous les deux regardés avant de parler, comme s'ils s'étaient silencieusement mis d'accord sur la réponse à donner à Selene. Pourtant, elle ne dit rien, et Jay se lève en époussetant le sable de son short de bain, tendant la main vers Iris.
  « On va se baigner avec les autres ? »

  Les jours passent, suffisamment pour permettre à Iris et aux jumeaux de faire connaissance. Ils explorent la ville, visitent les petits commerces populaires et se promènent au bord de la mer au coucher du soleil. Parfois, Iris se retrouve seule chez elle, à dessiner dans son carnet en attendant l'heure des repas pour dîner avec ses parents, qui travaillent le reste du temps. Bien que leurs emplois du temps soient chargés, ils s'efforcent d'être présents quelques heures pour leur fille unique. Elle a l'habitude et apprécie ces moments de solitude, mais lorsque le temps devient long, elle aime s'installer dans le bureau de son père.
  Ce dernier reste absorbé par ses dossiers, mais il met toujours du rock en fond sonore, et Iris apprécie cette ambiance : l'odeur des journaux et des papiers que son père feuillette, le café froid de la veille, et la légère senteur de cigarette qu'il dissimule à sa femme. Et puis, il y a la musique en fond, la brise marine qui s'immisce à travers la baie vitrée, faisant onduler les rideaux accrochés.
Parfois, elle dessine son père, concentré sur son travail, une main soutenant son visage penché en avant sur son bureau, les sourcils froncés et les yeux cernés, entouré de feuilles volantes au sol ou épinglées sur les murs derrière lui. En feuilletant son carnet, elle remarque que tous ses croquis de son père se ressemblent, chacun avec une perspective légèrement différente.

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