chapitre 5

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  Les mêmes questions sont posées : Comment vas-tu depuis la dernière fois ? Tu te nourris toujours bien ? Comment se passent tes relations amicales ? Tes cauchemars sont-ils revenus ? Il n'y a pas eu d'autres incidents ?
  La petite horloge rose est toujours accrochée au-dessus de sa tête, et Iris suit des yeux le tic-tac de la petite aiguille qui tourne à un rythme régulier. La femme aux cheveux gris et blancs, dont le mélange de couleurs n'est pas homogène et paraît délavé, a un regard insistant et un sourire forcé aux lèvres, attendant une réponse de la jeune fille.
  Iris n'a pas choisi d'être assise sur cette chaise, dans cette pièce bleue dont la décoration a clairement pour but d'être chaleureuse et accueillante. Mais cela, Iris le sait, et elle ne parvient pas à se sentir à l'aise. Elle s'ennuie, et le temps semble passer lentement. Néanmoins, le regard de la vieille dame l'incite à répondre. Des réponses brèves.
  « Je vais bien, je n'ai pas eu d'autres soucis depuis la dernière fois.
  — Bien, alors de quoi veux-tu parler aujourd'hui ?
  Iris n'aime pas cette question ; elle est prise de court et n'a pas le temps de réfléchir. Alors, elle répond simplement « je ne sais pas », en attendant que la dame prenne la conversation en main. C'est toujours de cette manière qu'elle se confie : par les questions ciblées que la psychiatre lui pose. Celle-ci les choisit attentivement pour obtenir les informations qui lui conviennent, à graver sur le papier. Ce n'est pas par plaisir qu'Iris répond ; elle le fait pour que la séance se termine le plus rapidement possible. De plus, la femme a toujours l'air satisfaite de son travail à la fin de l'heure.
  C'est encore le cas ce matin-là. La dame a un regard et un air satisfait alors qu'elle encaisse le chèque de fin de rendez-vous, tandis qu'Iris rassemble son petit sac à dos et son gilet marron aux bordures beiges. Toutes deux se saluent, et Iris ferme la porte derrière elle. En sortant, elle monte sur la selle de son vélo et enclenche la pédale avec son pied droit.

  Elle n'avance pas très vite, juste assez pour rentrer avant le dîner et profiter du calme dans les rues avant l'arrivée des touristes. Ces derniers fréquentent généralement le marché le matin, puis se promènent dans les rues pavées en début d'après-midi, avant de se rendre à trois points précis de la ville : la plage, la tour historique au bord de l'eau, dont les marches offrent une vue panoramique une fois en haut, et enfin, le centre-ville bordé de divers commerces et bars à thèmes.

  Le vélo posé contre le mur de sa maison, Iris ouvre la porte et dépose ses affaires à l'entrée avant d'enfoncer deux écouteurs dans ses oreilles. La chanson "Come Back and Stay" de Paul Young résonne à travers les fils. Discrètement, ses épaules bougent au rythme de la mélodie pendant qu'elle rejoint la cuisine. Elle se lave les mains, sort deux courgettes qu'elle épluche et coupe, puis les fait chauffer dans une poêle avec quelques épices. En attendant, elle fait cuire des morceaux de dinde et quelques oignons. La cuisine est rapidement envahie par des odeurs agréables, alors elle ouvre la porte vitrée menant au jardin pour aérer. Attiré par l'odeur, un chat se faufile à l'intérieur. Amusée, Iris le laisse explorer la pièce, le museau en l'air.
  « Cette bête doit probablement ramener plein de saletés. Mets-le dehors, veux-tu ? »
  La voix de sa mère la surprend alors qu'elle avait le dos tourné vers le félin. Sans hésiter, Iris prend l'animal dans ses bras et le remet à l'extérieur.
  Sa mère s'approche alors, lui posant doucement une main sur le visage pour la saluer. Elle se lave les mains tout en entamant une discussion banale avec sa fille.
  « Ça sent bon, qu'as-tu cuisiné, ma chérie ? 
  — Des courgettes et de la dinde. Il en restait dans le frigo. Ce sont les courgettes du marché, elles devraient être très bonnes ! 
  Elles se sourient puis mettent la table en silence. Sa mère se lave encore une fois les mains avec de l'eau et du savon. 
  — Comment s'est passé le travail ce matin ? 
  — Très bien, il n'y avait pas beaucoup de touristes à l'agence, donc j'ai pu prendre mon temps pour leur donner des informations sur la ville. Et toi, ce rendez-vous ? 
  — Bien, comme d'habitude. 
  Elle ne s'attarde pas sur le sujet ; elle ne parle jamais de ses rendez-vous avec ses parents. 
  Son père entre dans la pièce au même moment, les yeux cernés de fatigue, mais avec un sourire sur le visage. Sa femme pose la vaisselle qu'elle tient et l'embrasse à plusieurs reprises, lui chuchotant qu'elle est heureuse de le voir pour le dîner. 
  Chacun mange dans son assiette, discutant de choses du quotidien. Ces repas ne durent jamais trop longtemps, car les parents doivent repartir travailler peu de temps après. Pourtant, alors qu'ils débarrassent tous la table, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Le père, ayant terminé de laver la vaisselle, dit une nouvelle fois au revoir à sa femme et à sa fille en se dirigeant vers son bureau, tandis qu'Iris va ouvrir. 
  Un air de surprise se dessine sur son visage lorsqu'elle voit Jay sur le seuil de la porte, seul.
  « Le portail était ouvert alors je me suis permis de rentrer...
  Il a un regard embarrassé, mais sourit à Iris. Ils ne se sont pas vus depuis trois jours, chacun ayant eu besoin de se reposer un peu.
  — C'est qui, ma chérie ? Si c'est de la publicité, dis-leur que nous ne sommes pas intéressés !
  — C'est un ami, maman ! Je le fais entrer. Laisse-moi terminer de ranger, tu vas être en retard pour le travail.
  Sa mère pose précipitamment le torchon qu'elle tient entre ses mains en jetant un coup d'œil à l'horloge de la cuisine.
  — Oh là là, tu as raison, je devrais me dépêcher ! Bien, fais-le entrer, mais demande-lui bien d'enlever ses chaussures avant !
  Elle se précipite vers la porte arrière menant au garage, des talons hauts dans une main et son sac dans l'autre.
  — À ce soir ! Préviens ton père et moi si tu sors ! Je t'embrasse ! crie-t-elle depuis l'autre bout de la pièce.
  Les deux jeunes se regardent en souriant. Iris lui fait un signe de la main, ouvrant davantage la porte pour l'inviter à entrer.
  — Tu as entendu la dame.
  Jay se déchausse et range ses chaussures sur le côté de l'entrée. Iris attend, curieuse de connaître la raison de sa visite.
  — Elliot m'a donné ton adresse. Il voudrait aller au marché maintenant qu'il y aura moins de monde. Je suis donc de mission pour te demander de nous rejoindre.
  — Je vais chercher mon porte-monnaie dans ma chambre.
  Ne voulant pas le laisser patienter seul en chaussettes dans l'entrée, elle l'invite à monter avec elle.

  La chambre d'Iris est grande. Les murs sont blancs, tout comme le plafond, encadré de moulures en guise de décoration. Son lit à baldaquin est adossé au mur où se trouve la fenêtre. De grands rideaux en tulle blanc entourent le lit dont les draps sont bleus avec des motifs provençaux. En face, une vaste bibliothèque occupe toute la longueur du mur, remplie de livres, de CD et de vinyles, certains plus anciens que d'autres. Jay s'approche et laisse son regard parcourir les rangées de livres.
  — J'ai beaucoup aimé celui-ci.
  — Lequel ?
  — La pièce de théâtre qui parle d'un chevalier demandant l'aide de sa mère parce qu'il ne peut plus se battre seul. Je me souviendrai toujours de la première phrase de sa lettre : "Même caché sous mon armure, je reste sensible. Je ne peux contrôler ni mes cris, ni mes pleurs."
  — Pourquoi t'en souviens-tu si bien ?
  Jay prend un moment pour réfléchir.
  — C'est à ce moment-là que le personnage change. Un chevalier est censé être fort, un guerrier courageux. Mais là, il craque, il demande de l'aide pour la première fois. Je trouve ça beau, de voir que, peu importe qui nous sommes, on peut toujours demander de l'aide au lieu de se battre seul.
  Iris cesse de fouiller dans sa table de nuit pour chercher son porte-monnaie et le regarde, étonnée mais avec une attention particulière.
  — Tu as raison.
  Astrid avait raison : il peut être doux quand on apprend à le connaître.

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