ALBERT

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Les années passent, mais rien ne semble changer dans ma vie. Je continue de célébrer les anniversaires d'Edmond et de Louis à l'église, respectant ainsi un rituel devenu une sorte de devoir pour honorer leur mémoire. Cependant, en dehors de ces moments de commémoration, ma vie est dominée par une quête insatiable de richesse. Mon ambition est devenue le seul moteur de mon existence, chaque succès financier ne faisant que creuser davantage le fossé entre moi et mes émotions.

Les hommes sont devenus pour moi de simples distractions d'un soir, des moyens éphémères de fuir la nullité de mon quotidien.
Mes parents, récemment disparus, n'ont pas eu à voir le chemin que ma vie a pris. Leur absence ne fait qu'ajouter une couche de solitude à ma condition.

Le seul rayon de lumière dans ma vie actuelle est mon neveu Albert, âgé de 15 ans. Depuis qu'il est tout petit, je fais en sorte de passer du temps avec lui, l'emmenant régulièrement avec moi. Albert est l'un des rares à qui j'accorde encore un peu de chaleur humaine, même si je me garde de tout contact avec ma sœur.

Avec Albert, je trouve une forme de rédemption en lui transmettant des compétences et des passions qui m'ont été chères. Je lui apprends à se battre, non seulement comme une compétence pratique mais aussi comme un moyen de canaliser sa force intérieure et sa détermination.
Je lui enseigne à danser, lui montrant comment se mouvoir au rythme de la musique, je lui enseigne à chanter, à exprimer ses émotions à travers les notes, et à rire, retrouvant dans ses éclats de joie un écho des sourires perdus.

Albert, curieux, me demande un jour : « Pourquoi n'as-tu pas de mari ? »

Je le regarde, un soupir lourd dans la voix. « L'homme dont j'ai été amoureuse, et dont je serais amoureuse à jamais, est décédé il y a bien longtemps. »

« Ah oui ? Qu'est-il arrivé ? » demande-t-il, cherchant à comprendre.

Je ferme les yeux un instant, laissant la douleur remonter. « Une chose horrible, » dis-je, la voix tremblante.

Il me regarde avec une sincérité qui m'émeut. « Et tu ne veux pas aimer quelqu'un d'autre ? »

Je secoue la tête avec une conviction désespérée. « Jamais, » dis-je fermement.

La réponse est empreinte d'une tristesse persistante, un écho des années de douleur qui continuent de façonner mon existence.

Albert me regarde avec compassion. « C'est triste, » dit-il doucement.

« Ce qui serait triste, c'est de trahir celui que j'aime, » rétorquai-je, essayant de masquer ma douleur avec une pointe de détermination.

« Mais lui, il voudrait que tu sois heureuse, » insiste Albert, ses yeux emplis de sincérité.

« Je suis heureuse, » dis-je, tentant de convaincre autant lui que moi-même.

Il secoue la tête, voyant au-delà de mes mots. « Tu mens. »

Je souris, une étincelle de tendresse adoucissant ma peine. « Toi, par exemple, tu me rends heureuse, morveux, » dis-je en le chatouillant, cherchant à alléger l'atmosphère.

Albert éclate de rire, et pour un instant, le poids de la tristesse semble s'alléger, remplacé par une bulle de joie partagée.

« Tu vas finir vieille fille ma tante », rigole il.

« Ne t'en fais pas pour moi », dis je en lui faisant un clin d'œil.

C'EST TOI // LE CONTE DE MONTE CRISTOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant