RACONTE MOI

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Je relève doucement la tête, mes larmes enfin apaisées, et je le regarde dans les yeux, si proche que je peux sentir son souffle sur mon visage. Ce moment, cette proximité, me donne le courage de demander ce que j'ai toujours voulu savoir, ce que je dois entendre, même si cela risque de me briser encore plus.

"Raconte-moi tout," murmuré-je, ma voix faible mais déterminée. "Je dois savoir. Tout."

Il recule légèrement, desserrant un peu son étreinte. Je vois une lueur d'hésitation dans ses yeux, comme s'il pesait le pour et le contre, se demandant s'il devait enfin me dire ce que je demande. Il reste silencieux un long moment, ses traits crispés par une lutte intérieure visible.

"Je ne suis pas sûr que tu veuilles vraiment l'entendre," dit-il d'une voix rauque, presque douloureuse. "Ce que j'ai vécu... ce que j'ai fait... Ce n'est pas ce que tu imagines."

"Je le veux," insisté-je doucement, mes mains se resserrant sur son manteau. "J'ai besoin de savoir."

Il ferme les yeux, prend une profonde inspiration, puis les rouvre, fixant un point invisible au loin, comme s'il était déjà replongé dans ses souvenirs, loin de nous, loin de ce parc.

"Très bien," murmure-t-il finalement, la résignation dans sa voix. "Je vais te raconter."

Son regard devient distant, et je sens son corps se tendre légèrement. Il commence à parler d'une voix basse, mais chaque mot est lourd, chargé de l'amertume de ce passé qu'il n'a jamais vraiment quitté.

"Tout a commencé avec mon arrestation, ce jour où j'étais si naïf, où je croyais encore en la justice, en l'honneur, et surtout... en l'innocence des hommes. Ils m'ont jeté dans une cellule sans explication, sans procès, sans rien... juste parce qu'ils pouvaient. J'étais jeune et fou d'espoir. Je pensais que tout cela était une erreur. Mais l'erreur, c'était de croire que quelqu'un viendrait me sauver."

Je l'écoute en silence, mon cœur se serrant à mesure qu'il plonge dans ce récit. Il continue, son regard sombre, presque absent.

"Les jours sont devenus des mois, les mois des années. J'ai perdu toute notion du temps dans cette cellule humide du Château d'If. Le désespoir... il m'a englouti, m'a presque tué. Mais un jour, alors que j'étais au bord de la folie, j'ai entendu un son. Un bruit. C'était comme un signe de vie, quelque chose... quelque chose qui m'a ramené à la réalité."

"Un autre prisonnier ?" chuchoté-je, presque inconsciente de parler tant je suis absorbée par son récit.

Il hoche la tête. "Oui. L'abbé Faria. Il creusait un tunnel pour s'échapper, et ce tunnel l'a conduit à moi. Il m'a sauvé de la folie, et plus encore."

Il marque une pause, ses traits se durcissant à l'évocation de leurs noms. Je peux voir la haine briller dans ses yeux, même après tout ce temps.

"Faria m'a aussi confié un secret, celui qui a tout changé. Le trésor de Monte-Cristo. Un immense trésor caché sur une île, que seul lui connaissait. Il est mort avant de pouvoir s'enfuir avec moi, mais il m'a laissé son savoir et la clé de ce trésor. Alors, j'ai pris sa place dans le sac destiné à transporter son corps hors de la prison... et je me suis évadé."

Je retiens mon souffle. Il parle de cette évasion avec une précision froide, comme s'il relatait un simple fait, mais je peux sentir dans sa voix le poids de chaque instant vécu.

"Je suis devenu quelqu'un d'autre ce jour-là. Edmond Dantès est mort dans cette prison. Le Comte de Monte-Cristo est né lorsque j'ai découvert le trésor. Et avec cette fortune... je me suis promis de faire payer ceux qui m'avaient trahi."

Je sens une larme couler de nouveau sur ma joue, mais cette fois, c'est de la douleur pour lui, pour ce qu'il a enduré, et pour l'homme qu'il est devenu.

C'EST TOI // LE CONTE DE MONTE CRISTOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant