EN COLÈRE

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Ce soir-là, ma sœur m'invite à dîner chez elle, dans cette maison que j'ai toujours appelée "l'enfer". L'idée même d'y aller me donne des frissons, mais je ne peux pas refuser sans provoquer de nouvelles tensions. Alors je m'y rends, à contrecœur.

Quand j'arrive, tout est comme dans mes souvenirs. L'atmosphère est lourde, pesante. Je respire profondément avant de franchir le seuil. Ma sœur m'accueille avec un sourire, mais je reste fermée, mon visage impassible.

"Ça me fait plaisir que tu sois venue," dit-elle d'une voix douce, essayant de briser la glace.

"Merci pour l'invitation," je réponds simplement, sans chaleur, me contentant de la politesse habituelle.

Nous nous mettons à table. Albert tente de me remonter le moral avec des conversations légères, et bien qu'il fasse de son mieux, l'ambiance reste tendue. Ma sœur, bien que bienveillante, ne fait qu'attiser mon inconfort. J'essaie de me contenter d'être polie, en gardant mon attention focalisée sur mon assiette.

Le dîner avance péniblement, chaque bouchée me semble interminable. La conversation reste superficielle jusqu'à ce que mon beau-frère, notre cousin, prenne la parole.

"Alors," dit-il avec ce ton faussement décontracté qui m'irrite à chaque fois, "qu'est-ce que tu deviens, depuis tout ce temps ? Toujours aussi silencieuse, hein ?"

Je serre les dents, sentant déjà la colère monter en moi. "Je suis occupée," dis-je froidement. "J'ai mes propres préoccupations."

"Des préoccupations, vraiment ?" rétorque-t-il, se penchant un peu en avant. "Il serait peut-être temps de tourner la page, tu ne crois pas ?"

Je fronce les sourcils, sentant son insinuation me piquer directement. "Que veux-tu dire par là ?" demandé-je, en me redressant légèrement.

Il me regarde, un sourire moqueur aux lèvres. "On sait bien de quoi je parle, de Edmond bien sûr. Tu ne penses pas qu'il est temps de passer à autre chose ? Ça fait des années maintenant, il est... parti."

Ces mots frappent comme une gifle. Je sens une vague de colère m'envahir, mais je m'efforce de garder mon calme. Mon regard se fait glacial.

"Parti ?" je répète, ma voix tremblante. "C'est comme ça que tu veux décrire ce que tu lui as fait ?"

Albert, voyant la situation dégénérer, tente d'intervenir. "Calmons-nous, tout le monde. Ce n'est pas le moment pour des disputes."

Mais ses efforts pour apaiser la situation sont vains. Ma sœur, elle aussi, essaye de désamorcer le conflit, mais la tension est palpable.

Ma sœur tente d'intervenir, sentant la tension monter. "Allons, ce n'est pas le moment d'en parler..."

Mais je ne peux plus me retenir. Toutes les années de silence, de douleurs enfouies, remontent à la surface. Je regarde mon beau-frère, les yeux pleins de mépris.

"Ce que tu lui as fait, ce que vous lui avez fait... Ne me dis pas de tourner la page ! Edmond a été trahi, détruit, et toi, tu veux que je fasse comme si de rien n'était ?"

Il reste silencieux un instant, puis soupire, agacé. "On a tous fait ce qu'on avait à faire à l'époque. La vie continue. Edmond est mort, et il est temps pour toi de vivre, de passer à autre chose. Tu ne peux pas rester coincée dans le passé indéfiniment."

Ces mots me frappent en plein cœur. "C'est facile pour toi de dire ça," dis-je en serrant les poings. "Toi, tu as tout ce que tu voulais, n'est-ce pas ? Tu as ma sœur, une vie confortable... Pendant qu'Edmond a tout perdu à cause de ta lâcheté."

Ma sœur, paniquée, tente une nouvelle fois de calmer les choses. "S'il te plaît, pas ce soir. On ne va pas tout gâcher..."

Je me lève brusquement, incapable de rester assise une seconde de plus. "Je ne peux pas," dis-je, la voix tremblante. "Je ne peux pas faire semblant d'être d'accord avec ce que vous avez fait. Je ne passerai jamais à autre chose."

Mon beau-frère se lève à son tour, visiblement exaspéré. "Tu es ridicule. Edmond est mort. Rien ne le ramènera. Tu perds ton temps et ton énergie à t'accrocher à des fantômes."

Je le regarde droit dans les yeux, le souffle court, avant de tourner les talons. "Je préfère m'accrocher à des fantômes plutôt que de vivre dans le mensonge comme toi."

Sans un mot de plus, je quitte la pièce, laissant ma sœur derrière moi, désemparée, et mon beau-frère, amer, incapable de comprendre la profondeur de ce que je ressens.

Je rentre chez moi en furie, les émotions tourbillonnant dans ma tête comme un cyclone incontrôlable. La colère et la frustration que j'ai ressenties pendant le dîner me brûlent encore, me rendant presque incontrôlable. En entrant dans ma maison, je me dirige directement vers le salon, la rage me guidant.

Sans réfléchir, je commence à tout casser. Les objets volent en éclats : les vases, les cadres, tout ce qui est fragile. Le bruit des débris qui se brisent sous la pression de mes gestes me soulage, mais aussi m'enfonce encore plus dans un abîme de désespoir. Les larmes mélangées à la sueur coulent sur mon visage, et je crie pour libérer cette colère sourde.

Finalement, épuisée, je me rends compte que cette destruction ne me fera pas oublier ce que je viens de vivre. Il me faut autre chose, un échappatoire, un moyen de noyer ce tourbillon intérieur.

Je prends une décision impulsive. Malgré les conventions sociales qui jugeraient sévèrement une femme dans un bar en soirée, je me change rapidement en un ensemble qui me permet de passer incognito. Je quitte ma maison en trombe, déterminée à aller au bar du coin. J'ai besoin de me noyer dans l'alcool, de perdre toute lucidité pour oublier, ne serait-ce qu'un instant, la douleur et l'humiliation.

Quand j'entre dans le bar, le regard des autres femmes qui m'observent, leurs jugements silencieux, ne m'atteignent pas. Je m'approche du comptoir et commande un verre. Puis un autre. Et encore un autre. Les verres se succèdent rapidement, et je les enchaîne, vidant chaque nouvelle boisson d'un trait.

L'alcool commence à m'enivrer, et peu à peu, la réalité se brouille. La douleur et la colère se transforment en une sorte de chaleur diffuse, un brouillard qui m'enveloppe. Les conversations autour de moi deviennent floues, les visages des autres clients se mélangent, tout se mélange dans un tourbillon confus.

Je me retrouve à moitié avachie sur le comptoir, les pensées éparses, incapables de me concentrer sur quoi que ce soit. Les mots du dîner, les reproches de mon beau-frère, la douleur d'Edmond... Tout se mélange et se dilue dans l'ivresse.

C'EST TOI // LE CONTE DE MONTE CRISTOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant