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Ezra

« Synopsis : Femme (jeune adulte ?) originaire de banlieue parisienne. Emménage chez son père (ancien préfet ?) pour s'occuper de lui (accident ? Maladie?). Père alité, sous médicaments, esprit qui déraille. Un jour, il l'appelle par un prénom inconnu. Elle entend des bruits la nuit. Décide d'inspecter la maison en pensant à des rats (ou autre nuisible ?). Découvre une personne enfermée dans son grenier (enfant caché ? Enlèvement ? Trafic ?).

Fin : Dénonce son père ? Fuis ? Décide d'ignorer ? Prend part au crime ? »

Je lâche un soupir, balance mes lunettes sur le bureau. L'arrête du nez pincée entre mon index et mon pouce, je m'efforce de garder en route la machine dans ma tête. La nuit dernière, une bouffée d'inspiration s'est emparée de moi. Durant des heures, j'ai regroupé mes concept en pêle-mêle avant de les sélectionner, jusqu'à ce que la fatigue me gagne. Depuis mon réveil, il me semble que la magie s'étiole.

Mon plan d'écriture se déroule en trois actes : l'exposition, la confrontation et la résolution. Un schéma tertiaire qui m'a toujours convenu, efficace et ordonné. Suffisamment pour m'apporter une perspective de conduite sans refréner ma créativité. À la base, noter mes idées devait me permettre de trouver un fil, d'établir une perception globale de l'histoire, et d'encourager mon imagination. À dix-huit heures passées, je relis mon essai de synopsis, encore et encore, et plus je détaille les lignes, moins je suis convaincu. Bloquer sur le résumé incomplet de son manuscrit à venir est de mauvais augure.

Peut-être devrais-je tenter un chapitre zéro. Une ébauche que je garderais, ou pas, comme une sorte de prologue, pour me familiariser aux personnages.

Je balance ma tête à l'arrière de mon siège à roulette, ferme les yeux. De l'autre côté de la fenêtre, j'entends Nora sur la terrasse. Elle discute au téléphone. Au vu des gloussements qu'elle pousse, je suppose qu'il s'agit de sa sœur. Elle ne rit jamais autant avec d'autres, et depuis cinq ans, Julie est la seule à qui elle réserve ce traitement.

Pudding s'est incrusté dans mon espace de travail, installé sur mon sweat, roulé en boule derrière mon ordinateur. Ses yeux noisettes plissés, la manière dont il me regarde me rappelle un fumeur de Weed. Une expression qu'un vieil ami utilisait.

Je grince des dents, redresse mon écran pour me cacher la vision du chat. Je refuse d'y penser.

Ma femme a passé la journée à la maison, pour soigner son protégé. Je me suis enfermé dans mon bureau pour ne pas les déranger, et m'éviter le couplet que je connais par cœur. Des questions, des conseils, de la paperasse à remplir. En dehors des formalités, elle ne m'a pas adressé la parole. Je suppose qu'elle fait toujours la gueule.

Je m'étire sur la chaise. Une cigarette me fera le plus grand bien, prendre l'air également. Mon épouse m'interdit de fumer dans la maison, et j'ai suffisamment outrepassé cette loi aujourd'hui. Ça a peut-être accentué sa rancœur. La rejoindre à l'extérieur nous donnera l'occasion de discuter – ou m'apportera un prétexte pour m'assurer que la personne qui lui arrache ces rires est bien sa sœur.

Dès l'instant où j'ouvre la porte, mes muscles se tendent. En plein sur ma trajectoire visuelle, notre mouton noir est installé dans un fauteuil. La capuche de son sweat-shirt sur la tête, les genoux repliés, un livre dans les mains. Mon livre.

Une typographie argentée, en relief sur un fond brumeux, « Quidam » luit entre les doigts graciles du jeune homme. Une obstruction soudaine gonfle dans ma gorge, tel un nuage orageux. Le tonnerre gronde en moi. Une tempête étrange, particulière, paradoxale. De la colère, en premier lieu. Un sentiment d'impolitesse, pour avoir osé sortir mon best-seller de son présentoir. Puis de l'excitation. Elle me prend au creux de la poitrine, anime la flamme artistique. Elle quémande le retour de son spectateur.

Cher LazareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant