L'enfant sage

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Jusqu'à mes quatorze ans mes journées se déroulaient ainsi : je me réveillais à cinq heures du matin pour aller à la piscine et enchaîner les longueurs, les plongeons ou les exercices de musculation pendant deux heures. A sept heures tapantes, les cheveux mouillés, le corps éreintée par l'effort je devais attendre mon père pour qu'il m'accompagne à l'école. Il n'était jamais en retard, quelques minutes après ma sortie des vestiaires je voyais déjà sa grosse berline rouge sur le parking de la piscine.

Pendant les quarante minutes de trajet qui me séparaient de mon collège, j'avais l'habitude de lire et si j'avais fini un livre il m'arrivait de somnoler. Cependant, dès que mes yeux se fermaient mon père claquait sa main sur ma cuisse , et d'un ton faussement sévère il me disait des trucs du genre.

- Bah alors Bella, 13 ans ce n'est pas un âge pour être fatiguée !

Après ça il me répétait que la vie d'adulte était difficile, qu'il fallait travailler dur et être disciplinée si je voulais arriver à quelque chose dans ma vie. Ou alors ( le plus souvent ) il me faisait répéter mes leçons du jour.

Au collège, j'étais la meilleure élève de ma classe, certains profs me disaient même que j'étais la meilleure élève du collège. Les cours pour moi étaient tellement faciles. J'avais beau être la meilleure je ne comprenais pas ce que je faisais là, je ne comprenais pas pourquoi j'étais dans un cour de maths à faire des exercices sur des équations du premier degré alors que mon père, lui m'avait déjà fait travaillé ceux du second degré, alors j'attends. J'attendais aussi pendant les récréations,  seule assise sur mon banc. Mes journées d'école se résumaient à attendre. Bien sûr j'essayais d'être attentive et de répondre aux questions sans pour autant passer pour une miss-je-sais-tout et puis quand la sonnerie de la fin retentit j'attendais de nouveau mon père pour qu'il m'amène à mon cour de violon, d'échecs, ou de russe.

A dix neuf heures c'était le moment des devoirs et des cours particuliers, mon heure préférée de la journée. Mme Sutton ne voyait aucun intérêt  a donner les mêmes exercices de maths que des élèves en école d'ingénieur à une élève de quatrième alors on sortait de son bureau et on partait en ballade. On allait au lac, à la forêt, elle m'a même emmené faire du patinage durant l'hiver de mes douze ans. Elle adorait également me raconter tout un tas d'histoires, heureusement que mon père n'en sait rien c'est notre petit secret à toutes les deux.

Les week-ends c'était le moment des compétitions de natation, de violon et souvent l'après midi je partais avec mon père visiter des musées ou d'autres lieux culturels. Bien sûr une fois rentrée a la maison il me demandait toujours un compte rendu écrit. Avec un tel emploi du temps, il m'arrive toujours de me demander comment j'arrivais à trouver du temps pour mon heure de télévision hebdomadaire ou pour mes parties d'échec ou de belote en ligne.

Avant que je m'endorme, ma mère venait toujours s'assoir sur mon lit pour me poser tout un tas de questions.

- Tu n'es pas trop fatiguée
- Mme Sutton t'as fait faire quoi aujourd'hui ?
- Tu as des amis à l'école ?
- Papa n'est pas trop dur avec toi ?

Elle me posait toutes les questions qu'elle se retenait de me poser dans la journée car mon père lui dirait "t'inquiètes je sais ce que je fais". C'est sa phrase préférée. Il me la dit quand je lui ai demandé pourquoi je faisais de la musique, de la natation, j'apprenais une quatrième langue ou encore pourquoi je devais jouer aux échecs plutôt qu'avec des poupées.

Je me suis entêtée à les poser jusqu'à en avoir marre d'entendre la même réponse alors j'ai arrêté, j'ai arrêté de poser toute questions et j'ai commencé à obéir aux adultes qui, comme mon père me donnaient l'impression qu'ils savaient ce qu'ils faisaient.

J'étais devenue une enfant sage.

Le village des enfants pas sages Où les histoires vivent. Découvrez maintenant