Chapitre 2

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Lorsque les coqs chantèrent, le château du roi Arnaut II se mit à grouiller comme une fourmilière. Les serviteurs se levèrent d'un bond, allumant les torchères, remplissant des seaux d'eau aux divers puits disposés dans l'enceinte, tandis que les cuisiniers allumaient les foyers afin de préparer le premier repas de la journée. Le roi dirigeait son territoire d'une main juste et généreuse, ainsi ses sujets étaient heureux et bien nourris. Les gens d'armes, qui patrouillaient dans tous les recoins de son modeste royaume, assuraient aux citoyens libres une existence en toute sécurité, sans bandes organisées de vauriens ou détrousseurs. Le souverain entrait dans sa quarantaine et il portait fièrement ses années. De plus, le Sort lui avait épargné des blessures lors des nombreuses batailles auxquelles il avait participé. Il était grand, beau et sa barbe, bien que quasiment blanche, lui donnait un air sage et renforçait son statut de père du peuple. Il avait une femme belle et gentille, et Dieu lui avait donné un fils, qui se préparait à reprendre la succession du trône à sa mort.

Il y avait cependant un nuage noir sur ce beau tableau éclairé par le soleil divin, un ver noir qui s'infiltrait sournoisement dans les veines de ce digne roi. Depuis quelques semaines, il souffrait atrocement de profonds cauchemars qui l'empêchaient de dormir. Son sommeil était hanté par des images, des scènes qu'il lui semblait vivre et dont il se rappelait les moindres détails pendant plusieurs heures, le tout ponctué par des hurlements qui réveillaient toute l'aile du château et qui avaient fait fuir son épouse. Ne supportant plus de se faire réveiller à n'importe quelle heure et ceci plusieurs fois par nuit, elle avait demandé à son époux l'autorisation d'aller coucher dans une chambre éloignée. Elle entendait encore la nuit l'agitation que provoquaient ces cris, mais ne se réveillait plus en sursaut, le cœur battant.

Le manque de sommeil, la peur ressentie et l'angoisse à l'idée d'aller dormir avaient réduit Arnaut II à un état de délabrement mental et physique qui l'avaient fait vieillir de plusieurs années en peu de temps. Les serviteurs les moins fidèles quittaient leur roi les uns après les autres, craignant qu'une malédiction ne se fût abattue sur lui. Un royaume est une chose fragile quand il repose sur les seules épaules d'un souverain malade et affaibli.

Or, ce matin-là, la reine Eulalie se leva à l'aube, étonnée de ne point s'être réveillée durant la nuit. Elle appela immédiatement le chambellan, craignant qu'un malheur ne soit arrivé.

— Archibald, le roi est-il réveillé ?

— Je ne crois pas, Ma Reine.

Le fidèle chambellan avait pris l'habitude de laisser le roi s'éveiller à son rythme, car le pauvre comptait non plus des heures de sommeil, mais des minutes, dont chacune était précieuse.

— Allez voir, Archibald ! Vite !

Angoissé, le chambellan courut jusqu'à la chambre royale. Les deux gardes qui stationnaient devant la porte le regardèrent en soupirant et le laissèrent passer. Pour eux aussi, la situation était pénible, car au-delà des hurlements qui les faisaient sursauter, ils avaient appris au fil des années à aimer leur souverain et de l'entendre pareillement hurler était une souffrance.

Archibald poussa délicatement la porte et jeta un œil craintif. Le roi reposait sur le dos, les yeux fermés, la bouche ouverte. Archibald se mit à trembler et pénétra dans la pièce, n'osant pas prononcer un mot, de peur de le réveiller. Il avança jusqu'au lit, le regard fixé sur son souverain.

— Sire..., murmura-t-il.

Le chambellan écarquilla les yeux et retint sa respiration. Le visage du roi était cendreux, comme celui d'un mort. La vision du serviteur se brouilla, il trébucha et manqua de s'affaler sur le lit. Il inspira brutalement et s'accrocha à un gigantesque chandelier en fonte. Il s'avança lentement, la tête en avant, et murmura :

De dagues et d'épéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant