Chapitre 3

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On me soulève et me traîne jusqu'au fond des souterrains où se trouve une petite pièce avec deux chaises trônant au milieu. Mes mains et mes jambes sont solidement attachées à l'une d'elle et le soldat s'assoie en face de moi, ses bras se croisent sur son torse tandis qu'il s'appuie contre le dossier de la chaise. Je sens son regard me brûler l'épiderme mais le miens reste cloué au sol, ce voyage m'a tellement fatigué que je peine à garder les yeux ouverts, et c'est sûrement le dernier de ses soucis puisqu'il m'ordonne de sa voix rauque et autoritaire :

- Regarde moi.

Je soupire et lui obéis. Son regard sombre me sonde et sa mâchoire se contracte, il laisse planer un dernier silence avant de débuter son interrogatoire.

- C'était vraiment stupide de votre part de vous en prendre à un camps de soldats de la garde royale, mais ce n'est pas surprenant venant de vous.

Je m'emprisonne dans mon mutisme et le fixe de manière nonchalante. Plusieurs questions me viennent en tête, il semble avoir un rang important mais il n'a pas l'air si vieux que ça. Quel âge peut-il avoir ? Je lui donnerais la vingtaine ou peut-être un peu plus. Est-ce un simple soldat ? Ses vêtements sont bien plus luxueux que les uniformes des autres hommes donc ça m'étonnerait.

- Je te conseille de répondre à mes questions, mes hommes n'ont aucune pitié pour les gens de ton espèce. Son ton est glacial, sans émotions.

Mon sang ne fait qu'un tour.

- De mon espèce, et vous vous prenez pour qui, pour le roi peut-être ? Je crache mes mots sans prendre le temps d'articuler correctement. Il hausse un sourcil et décroise les bras pour poser son menton sur le dessus de sa main.

- Alors il suffit de te provoquer pour que tu m'adresse la parole ? Où se trouve le reste de ta bande.

Ma bouche se referme aussitôt, nos regards s'affrontent tour à tour mais le sien s'attarde sur mon œil à moitié fermé et sur les nombreuses coupures qui occupent mon visage.

- Bien commençons par quelque chose de plus simple, j'ai tout mon temps. Pourquoi avoir dépassé la frontière autorisée. Vous connaissez les règles.

Un homme qui était jusque là posté dans le coin de la pièce s'avance d'un pas et dit :

- Monsieur, je ne crois pas que nous ayons le temps pour..

- Qui est votre supérieur.

- Vous monsieur.

- Alors sortez, je sais faire mon travail.

L'homme sort de la pièce avec confusion et le plus vieux croise les jambes, toutes ces questions commencent vraiment à me les briser. Je m'agite alors sur ma chaise à cause des cordes serrées qui m'irrite de plus en plus la peau. Il m'observe sans dire un mot de plus, comme s' il attendait que je me calme pour recommencer son questionnement.

Malheureusement pour lui je perd patience et beaucoup plus vite que je ne l'aurais pensé, alors je continue de bouger jusqu'à m'en faire mal. Ma peau est rouge et une goutte de sueur coule le long de mon front. Lui ne bouge pas d'un pouce. Je remue tellement que je fais tomber la chaise avec moi et mon épaule rencontre le sol gelé, je suis totalement coincé les liens sont trop serrés, je ne peux même pas me relever. Seul le bruit de ma respiration irrégulière résonne, il se lève et s'abaisse vers moi.

- Tu as fini ?

Je ne réponds pas et tout mon corps se relâche contre la pierre.

- Sois tu me réponds, sois tu passes la nuit par terre et attaché à cette chaise, choisi. 

Après un long silence, je me résigne et murmure.

- Cette terre ne vous appartient pas, nous n'avons franchi aucune frontière.

Je sens qu'il empoigne la chaise et mes pieds regagnent le sol. Je me cogne intérieurement pour avoir ouvert la bouche et répondu à sa putain de question. Je dois rester concentré et ne rien dévoiler, tout repose sur moi, sur les mots que j'emploie et sur la manière dont mon corps réagit. Je dois être impassible.

- Tu penses qu'elle vous appartient ? vous ne possédez rien, ni les terres ni le droit de vivre. Répond le soldat.

- Vous avez tout ce dont vous avez besoin dans vos châteaux et vos palais, si vous vous aventurez à l'extérieur assumez-en les conséquences. Mes phalanges se resserrent entre elles pour tenter de contenir ma colère.

- Continue de me provoquer et je te tranche la gorge. Son ton est glacial, il n'y a pas de doutes il pense ses mots.

- Vous avez besoin de moi. Et rassurez-vous, j'ai cette même envie qui me démange depuis que je suis né. Transpercer ce sang "pur" avec mes dagues, qu'est-ce que ce serait jouissif vous n'avez pas idée.

Il échappe un long soupir et recroise ses bras, lui donnant une image de contrôle et d'autorité. Je n'ai jamais su contrôler mon répondant, c'est plus fort que moi je ne supporte pas qu'on me marche dessus.

- Où se trouve ton camp, c'est dans ton intérêt de me répondre.

Je ne peux pas m'empêcher d'étirer mes lèvres de manière si peu visible que ce n'est même pas un sourire, toute cette situation m'amuse autant qu'elle me terrorise, ma boule au ventre ne m'a pas quitté. Mes yeux dérivent sur son visage et c'est à ce moment là que je me rends compte qu'il ne porte pas son masque, son nez droit et sa mâchoire si bien creusé donne l'impression qu'on l'aurait sculpté. Ses lèvres sont fines et serrées, ne laissant rien entrevoir, elles sont droites. Ses yeux noirs sont étirés en amande et ses cils sont épais, ils s'étalent sur les côtés dessinant la forme de son regard.

Sans que je m'y attende, il empoigne doucement mais sévèrement mon menton pour m'obliger à le regarder et chuchote :

- J'obtiendrais toutes les informations que je veux et tuerais chaque homme de ta race dès que j'en aurais l'occasion. Jusqu'au dernier.

Mes dents se contractent et mes yeux se plissent. J'ai l'impression que mon sang bouillonne, les veines de mes muscles ressortent à un point ou elles vont exploser. Je le revois une fois de plus en train de les égorger. Ce soldat inconnu qui me hante prend maintenant son visage. J'ai envie que ce soit lui, j'ai envie de le détester autant que cet homme. Car pour moi ils sont tous les mêmes, ils sont tous ce même monstre.

Il me fixe et remarque que je ne suis plus là, que je me suis enfoncé dans ma noirceur, je suis trop loin maintenant. Il se lève, fait demi-tour et quitte la petite pièce, je ne cherche pas à comprendre pourquoi, je ne pense même plus à lui. Ses hommes me détachent et me jettent de nouveau dans ma cellule, mon corps ne réagit plus et je m'écrase contre la paille. Je savais un jour que tout allait remonter, que tout allait m'exploser au visage et me paralyser, je le sentais. Mon instinct ne me trompe jamais. J'espère au fond de moi avoir assez de temps pour l'égorger lui aussi, et de tuer tous les autres. Tous jusqu'au dernier. Si ils veulent un bain de sang, ils l'auront.

Les barreaux de la fenêtre laissent passer un rayon de soleil qui illumine le côté droit de mon visage, il réchauffe mes traits fatigués. La prison est entièrement vide, il n'y a aucun son. J'ai l'impression d'être à nouveau seul au monde, il y avait ce même silence qui résonnait le jour où mes parents s'éteignaient sur le parquet de notre maisonnette. Je l'ai quitté le soir même, ne supportant plus l'odeur de cadavre qui y régnait et j'ai tout laissé sur place. Tous mes souvenirs sont restés là bas, je n'ai même pas eu le courage de la brûler, j'ai préféré laisser mes parents pourrir sans sépulture plutôt que d'affronter leur regard vide. C'était au-dessus de mes forces, j'étais trop jeune et effrayé. Pour moi ils étaient toujours en vie, seulement endormis. 

Mes doigts plongent dans le col de ma chemise à lacets et sortent une bague reliée d'une chaîne dorée, c'est peut-être le bien le plus précieux que je possède. Elle était faite d'or avec un petit diamant au milieu, malgré son âge elle brille toujours autant lorsqu'elle traverse le rayon de soleil. Et je reste là à la contempler jusqu'à ce que la lumière du jour laisse place aux étoiles et à l'obscurité.

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𝐋'𝐞́𝐭𝐫𝐞𝐢𝐧𝐭𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 {bxb}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant