Aujourd'hui
Saraï
— Je t'attends depuis des heures, grogné-je en saisissant le bras de d'Erzsebét.
Elle est gelée. Je retire vivement ma main. En y regardant de plus près, une goutte menace de tomber de son nez. Je remarque l'absence de vêtements sur ses épaules.
— Tu vas mourir de froid, m'exclamé-je. Assieds-toi et essayes de te réchauffer. Je vais te chercher une cape.
Je pars en courant. Ma respiration est rendue difficile par le froid qui comprime mes poumons. J'entends quelques mésanges à mesure que j'avance. Depuis quelques jours, elles se font de plus en plus nombreuses. Des ombres sont visibles à travers les sous-bois. Sûrement des cerfs. L'odeur de pins est atténuée par la fine couche de givre qui recouvre le sol. Après quelques minutes, la maison est enfin en vue. Mon chat, Perdu, est encore assis sur le rebord de la fenêtre à faire sa toilette. Je m'arrête quelques instants. Aucune fumée ne s'échappe de la cheminée. Mon oncle et ma tante sont déjà partis dans les champs pour la journée.
Je vis avec eux et mon cousin depuis ma naissance. Ma mère, qui travaillait au palais, est morte lors de la dernière grande épidémie. Mon père restera un inconnu, son identité repose avec elle.
J'ouvre la porte de la maison pour saisir une de mes capes sur la patère. Le silence règne dans le salon. Ariel est encore au lit, comme à son habitude. Je prends quelques pièces de cuivres posées sur le vaisselier pour acheter de la farine. Nous habitons à des kilomètres du village et cela nous fera économiser un déplacement.
De retour à l'orée du bois, je m'avance à pas feutrés vers Beth mais les feuilles mortes me trahissent.
— Tiens, lui dis-je en déposant le vêtement sur ses épaules.
— Merci. Désolée, j'ai oublié la mienne mais vu son état, elle ne m'aurait pas vraiment servie.
Son regard s'assombrit. Beth et sa famille ont des soucis d'argent depuis environ un an. Les dernières semaines ont été particulièrement rudes. Leur capacité à rester souriants me fascine chaque jour un peu plus.
— Allez, lève-toi ! Le vieux Rolisk risque de ne pas nous attendre.
Je lui tends la main pour qu'elle se relève. Nous prenons la route vers le village où nous attend notre chauffeur. Le tanneur se rend pour la journée à Bersmark pour vendre quelques peaux. Les billets de loterie ne sont disponibles que dans les quatre grandes cités de l'Achillée. Nous profitons donc de sa charrette pour l'accompagner.
Beth me raconte ses maladresses matinales. Du Beth tout craché.
— Je ne sais pas pourquoi cela te surprend ! Tu serais capable de tomber même assise au ras du sol, la taquiné-je en la prenant par l'épaule.
Elle bougonne tout en sachant que j'ai raison.
Nous arrivons devant la boutique du tanneur. Son attelage est prêt tandis qu'il finit de charger. Nous l'entendons pester après son jeune apprenti.
Je jette un regard en coin à Beth et surprend sa grimace. Ses pensées me sont aussi familières que les miennes. Nous sommes amies depuis l'âge de trois ans. Elle n'apprécie pas le vieux Rolisk.
Avec son ventre bedonnant, sa calvitie bien avancée et son nez en forme de chou-fleur, il a une allure charmante. Lorsqu'il se retourne pour nous accueillir, je lui donne un coup de coude pour qu'elle lui fasse son plus beau sourire.
— Bonjour Monsieur Rolisk, nous exclamons-nous en chœur tandis qu'elle me pince le bras.
Il nous jette son regard froid habituel et marmonne ce qui semble être une réponse tout en nous faisant signe de monter. Je me précipite avant Beth et m'accroche au montant en bois pour faire levier. La puanteur des peaux tannées m'assaille alors que je me hisse difficilement. Un haut-le-cœur me saisit. Je prends mon châle pour le placer devant mon nez et inspire les odeurs de feu de bois et d'aiguilles de pins qui s'en dégagent. M'imaginer dans mon salon rendra-t-il ce voyage moins pénible ? Erzsebét me tend sa main pour que je l'aide à monter. Son pied glisse du rebord et je soupire alors que je l'agrippe fermement pour qu'elle s'installe.
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L'Achillée
FantasyIl y a deux ans, la Reine Alina est morte dans d'étranges circonstances. Tout comme sa mère Dahlya et sa tante Rose, avant elle. Toutes les jeunes femmes de plus de 21 ans sont invitées à participer à la grande loterie pour tenter de décrocher la c...