Chapitre 1

61 10 33
                                    


Aujourd'hui

Erzsebét

Ce corps est un véritable chef-d'œuvre : une toile hâlée sur laquelle de splendides abdominaux luisants de sueur apparaissent. Impossible de ne pas se perdre dans leur contemplation.

Un mouvement attire mon regard. Je lève la tête. Il s'approche doucement de moi. Mon rythme cardiaque s'accélère. Ma bouche s'assèche. Mes paumes deviennent moites et mon entrejambe s'humidifie. Un prédateur fonçant sur sa proie. Je me laisse dévorer quand il le souhaite. Sa main droite se pose sur ma hanche tandis que de l'autre il saisit une mèche de mes cheveux. Ses lèvres s'approchent de mon oreille pour me murmurer...

— Erzsebét !

La voix est... étrange. Trop aiguë. Incongrue. Quelque chose ne va pas.

— Erzsebét !

Le rêve s'effrite brutalement, disparaissant sous le poids de la réalité froide et désagréable. Par la Déesse, qu'elle soit maudite. Sa petite voix nasillarde me vrille les tympans. Je me cache la tête sous l'oreiller pour en atténuer le bruit. Je tente de terminer ce rêve. Le sort en décide autrement alors que des pas précipités montent les escaliers.

— Erzsebét ! m'interpelle ma sœur, en ouvrant brutalement la porte. Je sais que tu m'as entendue. Arrête de faire la sourde oreille.

Un bruit sourd me vrille les tympans et résonne dans toute la pièce tandis que la porte butte dans le mur. Une nouvelle secousse. Pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qu'elle se tient au pied du lit, les mains sur les hanches. Elle adore adopter ce petit air de cheftaine. Elle ressemble beaucoup à notre mère lorsqu'elle prend cette pose.

— Hmmmh.

— Le ptit-déj est prêt. Tu vas être en retard. Dépêche-toi !

— D'accord. Fiche-moi la paix ! marmonné-je en lui balançant mon oreiller dans la figure.

— Loupé ! s'écrie Gemma en courant dans l'autre sens.

Avant de partir, cette sale mioche ouvre les rideaux en grand. Je bougonne et me retourne sur mon matelas pour mieux me cacher de la lumière aveuglante. Mais, enveloppée comme je le suis, j'étouffe.

J'émerge de cette montagne de tissus, prenant lentement conscience de l'importance capitale de cette journée. L'excitation me gagne et je manque de tomber tant je me lève précipitamment.

Oh mazette ! C'est aujourd'hui.

J'enfile mes pantoufles dépareillées, et dévale l'escalier en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Difficile de garder l'équilibre avec une semelle qui se décolle. Essoufflée et rouge comme une pivoine, j'atterris face à mes deux parents et à ma sœur qui me regardent comme si j'étais devenue folle.

— Erzsebét, je t'ai déjà dit de ne pas courir dans l'escalier ! relève maman.

J'embrasse la scène qui s'offre à moi.

Ma mère se trouve près de la crémaillère où pend notre vieille bouilloire en cuivre. Des arômes de thym et de citron me parviennent. Un sifflement strident nous signifie qu'il est l'heure de s'installer. Cela faisait bien longtemps qu'une si bonne odeur n'avait pas flotté dans notre pièce de vie.

Près de la cheminée, de l'autre côté, se trouve la table avec ses quatre tabourets. Mon regard se déplace vers la droite, à côté de celle-ci, face à la fenêtre, où se trouvait un fauteuil où j'aimais m'installer le soir pour lire. Nous avons dû le vendre le mois dernier pour acheter de la farine et de l'huile. Mes yeux se voilent à cette pensée. Je me ressaisis rapidement.

L'AchilléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant