Chapitre 8

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Aujourd'hui

Aliénor

Depuis maintenant deux jours, notre calèche parcourt les paysages désolés des steppes de Fumeterre. Je grimace en voyant un filet de bave s'échapper de la bouche entrouverte de la femme de chambre qui m'accompagne. Répugnant. Je ne connais pas son nom, elle n'a pas voulu me le dire. Elle fait semblant de ne pas me comprendre mais je sais qu'elle parle la langue véhiculaire. Comme toute mon escorte d'ailleurs. Je les entends discuter entre eux lorsque je suis enfermée dans ma chambre. Par la déesse, qu'ils soient maudits.

Il y a une semaine, les hommes de main d'un misérable ont débarqué durant mon cours de harpe. Certains malmenaient cette pauvre Camila pendant que je me débattais entre deux armoires à glaces à la mine patibulaire. Ils m'ont placée sans ménagement dans cette calèche dans laquelle je dépéris depuis tout ce temps.

J'ai harcelé chacun de questions. Je me suis débattue comme une furie. Les nombreuses traces de griffures et de morsures sur leurs bras en attestent. Ils se murent dans le silence tandis que je deviens folle, essayant vainement de comprendre ce qui m'arrive. J'ai compté les nuages, les arbres, les perles sur ma robe. Chaque garde a un nom, une famille et une vie - atroce bien évidemment - imaginés par mes soins. Tous les soirs en m'endormant, je fantasme sur toutes les horreurs que je leur ferai subir le jour où je m'enfuirai.

L'arrêt du convoi me ramène à la réalité. Mon ventre se noue. L'odeur de feu de bois qui se dégage de l'auberge devrait pourtant me détendre. Nous sommes au bord d'une route, à l'orée d'un bois dépouillé par le rude hiver que nous subissons. Un énième lieu isolé où mes chances de survie s'amenuisent. Mes épaules se voutent un peu plus. Plus nous approchons du sommet de la chaîne des Valmory plus mes espoirs sont réduits à néant. Le chef des gardes descend de sa monture pour me délivrer de ma prison roulante.

Une geôle pour une autre. Le même rituel des soirs durant. Il me menace avec son épée pour que je recule au fond de la calèche alors qu'il déverrouille le cadenas. Je suis attachée aux poignets et aux chevilles par des liens qui lui ont coûté deux cicatrices supplémentaires. Je comprends qu'il se méfie.

— Descends, m'ordonne-t-il.

Il me fait signe d'approcher mes mains pour qu'il puisse se saisir de la corde. Je me recroqueville sur mon siège, ce qui lui fait hausser les sourcils. Il est évident que je ne lui faciliterai pas la tâche.

— Ou sinon ?

Ce petit jeu entre nous l'agace, il rentre directement et m'attrape pour me tirer vers l'extérieur. Un cri de douleur m'échappe lorsque mes genoux cognent bruyamment sur le sol. Je mords l'intérieur de mes joues pour éviter à quelques larmes de couler. Traitresses.

Il m'agrippe par le bras et me traîne vers l'auberge. La femme de chambre nous suit comme un chien. Je la hais.

Nous empruntons la porte arrière qui nous mène face à un escalier. Des gardes nous ont sûrement précédés pour sécuriser les lieux car nous montons directement à l'étage. Ma nouvelle cage pour la nuit. Les bruits assourdis de la salle principale me parviennent. Des effluves de cochon grillé font gargouiller mon ventre. Mes rébellions incessantes leur ont fait reconsidérer leurs arrêts pour le déjeuner. Je me contente donc d'une miche de pain que ma surveillante me donne quand elle le désire.

Le cerbère s'arrête devant la porte de ma chambre. Elle est ouverte et une odeur familière s'en échappe. Elle me rappelle...la tourte aux légumes de notre chef cuisinier? Impossible, je divague.

Il me pousse sans ménagements dans la chambre et je marque un temps d'arrêt en apercevant un homme de dos devant la fenêtre. 

Je contiens un mouvement de recul lorsqu'il se retourne. La moitié de son visage, allongé comme un museau de souris, est marquée par une énorme cicatrice. Il est assez trapu, les cheveux roux, une moustache et porte une peau d'ours sur les épaules. Sûrement pas un habitant du reinaume.

L'AchilléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant