II. La Descente dans l'Inconnu

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Les murmures devinrent une présence presque tangible à mesure que le groupe s'enfonçait plus profondément dans le gouffre. Chaque pas résonnait comme un coup de marteau dans une tombe oubliée, et chaque souffle semblait aspirer l'air d'un monde où la vie n'avait pas sa place. Adrien, pourtant, ne ralentit pas. Il sentait une force étrange le pousser en avant, quelque chose au-delà de la simple curiosité scientifique, une compulsion qui lui paraissait étrangère et intime à la fois.

Marc et Julien, quant à eux, n'avaient plus la même détermination. Ils murmuraient entre eux, jetant des regards furtifs vers les ténèbres qui les enveloppaient. Paul, fidèle assistant, tentait de rassurer les deux jeunes hommes, mais lui aussi n'était plus le même. Ses gestes, d'ordinaire précis et assurés, étaient devenus nerveux, hésitants. L'ombre qui planait au-dessus de leurs têtes semblait se matérialiser dans leurs esprits.

- Professeur, osa finalement Marc, sa voix tremblante brisant le silence sépulcral, il y a quelque chose qui ne va pas. Ces bruits... ces murmures... ce n'est pas normal. Nous devrions peut-être faire demi-tour avant qu'il ne soit trop tard.

Adrien s'arrêta un instant, regardant autour de lui. Les parois du gouffre semblaient se refermer sur eux, comme si la montagne elle-même tentait de les emprisonner. Il fixa Marc avec intensité, ses yeux perçant le voile de la peur du jeune homme.

- Nous sommes venus ici pour une raison, Marc. Pour découvrir des secrets que personne d'autre n'a jamais trouvés. Reculer maintenant serait non seulement une lâcheté, mais une insulte à la connaissance que nous pourrions acquérir.

Marc déglutit, sentant le poids de la pression intellectuelle et sociale qui pesait sur lui. Mais les murmures... ces murmures incessants... Il hocha la tête sans conviction et reprit sa marche à contrecœur. Julien, lui, semblait s'être enfermé dans un mutisme profond, ses yeux écarquillés fixant les ténèbres comme s'il y voyait quelque chose que les autres ne pouvaient percevoir.

Ils continuèrent à descendre, les cordes se déroulant lentement dans l'obscurité. Les parois devinrent plus étranges à mesure qu'ils progressaient, les gravures de plus en plus nombreuses. Certaines représentaient des scènes de vie, ou du moins ce qui semblait être des rituels d'une civilisation inconnue. Des figures se tenaient en cercle autour de structures monolithiques, les mains levées en adoration vers des créatures difformes et grotesques. Adrien ne pouvait s'empêcher d'admirer la précision de ces œuvres. Qui étaient ces êtres, et que faisaient-ils dans ces profondeurs ?

Les parois rocailleuses s'évasèrent soudainement pour dévoiler une immense caverne souterraine, si vaste que les faisceaux lumineux de leurs lampes ne parvenaient pas à en saisir les contours. Le groupe s'immobilisa devant l'ampleur du spectacle. Devant eux s'étendait une scène inimaginable. Le sol était jonché de restes, des ossements blanchis par le temps, humains et animaux entremêlés, éparpillés comme les fragments d'un cauchemar millénaire. À la lueur des lampes, ces ossements prenaient des formes grotesques, des silhouettes de créatures hybrides, moitié humaines, moitié bestiales, se dessinant dans l'imagination tourmentée des explorateurs.

Mais ce n'était pas tout. Au centre de la caverne se dressait un monument massif, un monolithe d'un noir de jais, gravé de runes que personne ne pouvait déchiffrer. Le monolithe dégageait une aura palpable, une sensation de puissance ancienne, primordiale, qui résonnait dans l'esprit d'Adrien comme un écho lointain. Il sentit une envie irrépressible de s'approcher, de toucher la surface polie de la pierre, comme si cette simple action pouvait lui révéler des vérités enfouies depuis des millénaires.

Les statues qui entouraient le monolithe étaient tout aussi inquiétantes. Hautes de plusieurs mètres, elles représentaient des créatures cauchemardesques, à mi-chemin entre l'homme et l'animal, avec des yeux vides et des bouches béantes. Adrien se sentit irrésistiblement attiré par ces figures. Elles semblaient plus réelles que tout ce qu'il avait vu jusqu'à présent, comme si elles n'étaient pas simplement des sculptures, mais des reliques d'êtres ayant autrefois marché sur cette terre. Peut-être que ces créatures, ou celles qu'elles représentaient, avaient un jour été vénérées ici, dans les ténèbres, par des êtres humains ou quelque chose d'encore plus ancien.

- Qu'est-ce que... qu'est-ce que c'est que cet endroit ? balbutia Julien, son visage blême à la lueur de sa lampe. On... on devrait partir... maintenant...

Adrien, cependant, était déjà perdu dans ses pensées. Il ne voyait plus les craintes de ses compagnons, ne sentait plus l'atmosphère lourde et oppressante. Tout son être était focalisé sur cette découverte, sur la vérité qui se cachait derrière ces pierres, ces gravures, ce monolithe. Il avait toujours su qu'il y avait plus dans ce monde que ce que la science pouvait expliquer. Et ici, dans ces profondeurs oubliées, il avait enfin trouvé quelque chose qui échappait à toute explication rationnelle.

- Nous sommes si près, murmura-t-il, sa voix se perdant dans l'immensité de la caverne. Si près de découvrir ce qui se cache depuis des millénaires...

Mais avant qu'il ne puisse faire un pas de plus vers le monolithe, un cri perçant déchira le silence. C'était Marc. Il avait disparu dans l'obscurité, son cri résonnant encore à travers les tunnels qui menaient au gouffre. Paul se précipita à sa recherche, mais ce qu'il trouva ne fut que l'écho vide du cri qui s'éteignait peu à peu.

- Marc ! Marc ! appela Paul, sa voix se brisant dans le désespoir. Mais il n'y eut aucune réponse. Juste un silence oppressant, lourd, où les murmures semblaient avoir cessé pour la première fois depuis leur descente.

Adrien, malgré la panique qui commençait à s'emparer de lui, se forçait à rester rationnel. Il regarda autour de lui, cherchant une explication logique à cette disparition. Mais dans ce lieu, où tout semblait défier la raison, il n'y avait aucune explication à trouver. Juste l'obscurité, les statues figées dans leur adoration silencieuse, et le monolithe, imposant et immuable.

Paul revint vers eux, les yeux écarquillés, les mains tremblantes.

- Il... il a disparu, professeur. Comme... comme si quelque chose l'avait happé.

Adrien ouvrit la bouche pour parler, pour formuler une hypothèse rassurante, mais aucun mot ne sortit. Il ne pouvait nier la vérité qui s'imposait à lui. Quelque chose d'indescriptible, d'ancien, habitait ce gouffre. Quelque chose qui ne souhaitait pas être dérangé.

Julien, dans un état de choc palpable, ne cessa de marmonner des phrases incohérentes.

- Ils sont là... Ils nous regardent... Ils attendent...

Adrien posa une main sur son épaule, mais le jeune homme tressaillit comme s'il venait de le frapper.

- Julien... calme-toi. Nous devons garder notre sang-froid.

Mais au fond de lui, Adrien savait que Julien avait raison. Ils n'étaient plus seuls. Les statues, les murmures, les ossements... Tout cela faisait partie d'une histoire qu'ils ne pouvaient comprendre. Une histoire qui allait bien au-delà de leur simple expédition géologique.

- Replions-nous pour aujourd'hui, dit Adrien à contrecœur. Nous reviendrons... mieux préparés.

Mais tandis qu'ils se préparaient à remonter, Adrien ne put s'empêcher de jeter un dernier regard vers le monolithe. Les runes semblaient luire faiblement dans l'obscurité, comme si elles pulsaient d'une énergie ancienne, vivante.

L'Appel du GouffreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant