V. Le Réveil des Ténèbres

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Paul courait, son souffle saccadé résonnant dans le tunnel qui menait à la surface. Chaque pas semblait l'éloigner davantage de la réalité et le plonger plus profondément dans un cauchemar sans fin. Les murmures le poursuivaient, se tordant et se mêlant à des rires étouffés, des cris à peine audibles, et ces voix — toujours ces voix — qui semblaient l'appeler par son nom, l'incitant à revenir. Mais Paul ne se retourna pas. Son esprit n'était plus que panique et désespoir, focalisé uniquement sur la fuite, sur la lumière froide de l'aube qui l'attendait quelque part à l'extérieur.

Il émergea enfin du gouffre, se jetant presque hors de l'entrée comme un homme se réveillant d'un mauvais rêve. La fraîcheur de l'air matinal le frappa avec violence, mais elle n'apporta aucun réconfort. Le ciel, d'un gris morne, semblait peser sur lui, et les montagnes alentours, autrefois majestueuses, n'étaient plus que des sentinelles sinistres, gardiennes silencieuses des horreurs enfouies en leur sein.

Paul chancela et tomba à genoux, sa respiration rauque et irrégulière. Il tenta de calmer son esprit, de reprendre le contrôle de ses pensées, mais les images de ce qu'il venait de voir étaient gravées en lui, brûlées dans son esprit comme des cicatrices. Adrien... son ami, son guide dans cette expédition maudite, n'était plus qu'une ombre, un pantin au service de forces qu'aucun humain ne devait côtoyer.

L'idée de l'abandonner là-bas, seul avec ces horreurs, le frappa soudain comme un coup de poignard. Mais que pouvait-il faire ? Paul n'était pas un héros. Il était un homme ordinaire, pris dans un tourbillon de terreur qui dépassait tout ce qu'il pouvait comprendre. Et pourtant, une petite voix, enfouie au fond de lui, murmurait qu'il devait faire quelque chose. Qu'il devait sauver Adrien, ou du moins essayer.

Mais cette pensée fut rapidement étouffée par une autre vérité, bien plus sombre : Adrien n'était plus sauvable. Il avait franchi une limite que Paul ne pouvait même pas concevoir, et il en était revenu changé, ou pire encore, possédé par ces entités anciennes qui habitaient le gouffre. Paul savait qu'il devait fuir. Fuir loin de cette vallée, loin de ces montagnes, et ne jamais, jamais revenir.

Il se redressa péniblement, ses jambes tremblant encore sous l'effet de l'adrénaline. Le village était à une heure de marche, peut-être moins, mais la distance lui semblait infinie. Pourtant, il n'avait pas le choix. Il devait rejoindre les autres, peut-être trouver un moyen de les prévenir, de les convaincre de partir avec lui avant que le mal qui émanait du gouffre ne s'étende au-delà de ces montagnes.

Alors qu'il s'éloignait de l'entrée du gouffre, une pensée fugace traversa son esprit, un souvenir que ses sens avaient saisi dans le chaos de sa fuite. Ce n'était pas seulement Adrien qui avait changé. La caverne elle-même... Elle avait réagi à sa présence. Les statues, le monolithe... tout avait commencé à bouger, comme si une force intérieure se réveillait peu à peu. Paul savait que ce n'était que le début. Ce qu'ils avaient réveillé était encore en train de se manifester, de reprendre forme.

Le chemin vers le village fut silencieux, mais pas calme. À chaque pas, Paul avait l'impression d'être suivi, d'être observé. Les ombres semblaient se mouvoir à la lisière de son champ de vision, et même les arbres paraissaient se courber légèrement, comme s'ils se penchaient vers lui pour l'écouter, pour recueillir ses murmures d'angoisse. À un moment, il crut entendre des pas derrière lui. Il se retourna brusquement, le cœur battant à tout rompre, mais il n'y avait rien... rien d'autre que la brume qui s'épaississait à mesure qu'il avançait.

Lorsqu'il atteignit enfin les premières maisons du village, Paul sentit un soulagement temporaire l'envahir. Mais cela ne dura pas. Les habitants semblaient encore plus distants qu'avant, leurs visages fermés, leurs regards pleins d'une crainte muette. Il se précipita vers la maison qu'ils occupaient depuis leur arrivée, espérant trouver Julien. Mais en entrant, il fut accueilli par un silence lourd, oppressant. L'intérieur était plongé dans la pénombre, malgré la faible lumière du jour qui perçait à travers les volets fermés.

- Julien ? appela-t-il, sa voix brisant le calme de la pièce. Pas de réponse. Paul fit quelques pas hésitants à l'intérieur, son regard cherchant frénétiquement son compagnon. Tout semblait étrangement en place, comme s'ils n'avaient jamais quitté cette maison. Mais quelque chose n'allait pas. L'air lui-même semblait plus lourd, plus épais, comme chargé d'une énergie invisible.

Il trouva Julien assis dans un coin sombre de la pièce, exactement là où il l'avait laissé la veille. Ses yeux étaient grands ouverts, mais ils ne semblaient pas vraiment voir. Il murmurait encore, comme un automate, répétant les mêmes mots, les mêmes phrases que Paul avait appris à redouter :

Ils sont là... ils nous attendent... nous ne pouvons pas fuir...

Paul s'approcha doucement, mais il n'y avait plus rien à faire. Julien n'était plus que l'ombre de lui-même, un homme brisé par ce qu'ils avaient éveillé. Paul recula lentement, la gorge serrée par la terreur. Il savait maintenant qu'il ne pouvait plus rester ici. Il ne pouvait plus aider Julien, tout comme il n'avait pas pu aider Adrien. La seule chose qui lui restait à faire, c'était fuir.

Il se précipita hors de la maison, son esprit cherchant désespérément une solution. Il fallait quitter ce village, quitter ces montagnes. Il ne restait plus que la fuite, la fuite loin de cette malédiction qu'ils avaient réveillée. Mais alors qu'il courait dans les ruelles du village, une idée l'effleura, un ultime frisson de lucidité : pouvait-on réellement fuir ces ténèbres ? Les murmures semblaient être partout maintenant, imprégnant chaque pierre, chaque brin d'herbe. Où qu'il aille, ils le suivaient.

Il atteignit enfin la sortie du village, son corps épuisé par l'effort et la peur. Les montagnes s'étendaient devant lui, massives et impassibles. Mais quelque chose avait changé. Il le sentait dans l'air, dans le sol même. Les murmures, autrefois confinés aux entrailles de la terre, s'étaient désormais répandus au-delà du gouffre. Une présence invisible enveloppait les montagnes, une force ancienne et implacable qui semblait se nourrir de la terre elle-même. Paul pouvait le sentir — le mal qu'ils avaient réveillé était en train de s'étendre.

La route vers la vallée paraissait plus longue qu'elle ne l'avait jamais été. Chaque pas était une lutte contre l'épuisement et la terreur qui menaçait de l'engloutir. Les souvenirs du gouffre, des statues mouvantes, du monolithe vibrant d'une énergie sinistre, tournaient dans son esprit comme un tourbillon sans fin. Il savait maintenant que ce qu'ils avaient libéré ne se contenterait pas de rester sous terre. Cela allait se propager, lentement mais inexorablement, empoisonnant tout sur son passage.

À mi-chemin, Paul s'arrêta, le souffle court, le regard perdu dans l'immensité sinistre qui l'entourait. Il n'avait aucune idée de la distance qu'il avait parcourue, ni même s'il se dirigeait dans la bonne direction. Mais au fond de lui, une pensée glaçante prenait forme : peut-être qu'il n'y avait plus nulle part où aller. Peut-être que ce qu'ils avaient réveillé finirait par le rattraper, où qu'il aille, parce que ce mal n'était pas simplement physique. Il était ancré dans l'esprit, dans l'âme même de ceux qui l'avaient touché.

Un bruit lointain, à peine perceptible, interrompit ses pensées. Un grondement sourd, venant des profondeurs de la montagne, résonnait à nouveau. Paul se figea, ses sens en alerte. C'était comme si la terre elle-même répondait à un appel, un appel auquel il ne pouvait échapper.

Le gouffre l'appelait à son tour.

L'Appel du GouffreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant