III. La Terreur s'Installe

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La remontée fut bien plus difficile que la descente. Chaque mouvement semblait alourdi par une force invisible, comme si le gouffre lui-même cherchait à retenir ceux qui osaient perturber son sommeil millénaire. Adrien, habituellement si sûr de lui, sentait sa détermination vaciller. Les murs de la caverne semblaient se rapprocher, comme une mâchoire qui se refermait lentement autour d'eux.

Paul ne cessait de jeter des coups d'œil anxieux par-dessus son épaule, les traits tirés, et Julien, à peine conscient de son environnement, marmonnait toujours des paroles incohérentes. Les murmures s'étaient à nouveau intensifiés, mais cette fois, ils n'étaient plus simplement un écho lointain. Ils étaient là, tout autour d'eux, comme un chœur invisible qui récitait des paroles incompréhensibles, mais terriblement oppressantes. Adrien ne pouvait plus ignorer ce qu'il avait tenté de rationaliser. Quelque chose les entourait, quelque chose qui n'appartenait ni au monde des vivants, ni à celui des morts.

Lorsqu'ils atteignirent enfin la surface, la lumière du jour, pourtant voilée par les nuages épais, les frappa avec une brutalité inattendue. Elle semblait fausse, artificielle, comme si après être descendus dans les profondeurs, ils avaient pénétré un monde où la réalité elle-même était altérée. Le groupe s'éloigna précipitamment de l'entrée du gouffre, leurs mouvements maladroits et désespérés, comme s'ils fuyaient un prédateur invisible.

Le village qui se dressait au loin leur apparaissait maintenant comme une oasis de normalité, mais une normalité fragile, prête à s'effondrer à tout moment sous le poids de ce qu'ils avaient découvert. Adrien ordonna une pause, le souffle court, et s'assit sur une roche, son esprit tourmenté par les événements des dernières heures. Paul et Julien s'effondrèrent non loin, épuisés, physiquement et mentalement.

- Que s'est-il passé, Adrien ? murmura Paul d'une voix à peine audible, le regard fixé sur l'entrée du gouffre qui disparaissait peu à peu dans le brouillard. Où est Marc ?

Adrien ne répondit pas immédiatement. Les événements dans la caverne se bousculaient dans sa tête. Le cri de Marc, les murmures, le monolithe... Il tenta de structurer ses pensées, d'analyser ce qu'il avait vu, mais aucune réponse ne venait. Les lois de la science, les méthodes rigoureuses qu'il avait toujours suivies, semblaient inutiles ici, comme des outils obsolètes face à une force qui échappait à toute compréhension humaine.

- Je ne sais pas, Paul, finit-il par répondre, sa voix étrangement calme malgré la tempête intérieure.
Mais je sais une chose... Ce que nous avons découvert là-bas n'appartient pas à ce monde. Nous avons ouvert une porte sur quelque chose de plus ancien, de plus terrible que tout ce que nous pouvions imaginer.

Paul fronça les sourcils, son visage trahissant une peur grandissante.

- Vous parlez comme ces villageois avec leurs légendes absurdes... Ce ne sont que des histoires, Adrien. Il doit y avoir une explication rationnelle à tout cela.

Adrien le regarda avec une intensité nouvelle.

- Rationnel ? Un rictus amer déforma ses traits. Ce que nous avons vu là-bas défie toute rationalité. Les ossements, les statues, ces gravures... Et ce monolithe ! Ce n'étaient pas des créations humaines. Pas de notre époque, en tout cas. Il y a des forces, Paul, des forces que nous ne comprenons pas encore. Et je crains que nous les ayons réveillées.

Julien, toujours recroquevillé, éclata soudain de rire, un rire creux et délirant qui fit écho dans la vallée.

- Réveillées... réveillées... Oui, elles étaient endormies... Elles attendaient... Et maintenant, elles nous observent... Elles... Elles veulent que nous revenions...

Adrien et Paul échangèrent un regard. Le jeune homme était clairement en état de choc, mais ses paroles résonnaient étrangement dans l'esprit d'Adrien. Une part de lui savait que Julien avait raison. Ce gouffre n'était pas simplement un trou dans la terre. C'était une prison, une tombe pour quelque chose d'ancien. Et en descendant aussi profondément, ils avaient peut-être rompu un équilibre fragile, quelque chose qui les dépassait tous.

Après quelques heures de repos, ils décidèrent de retourner au village, espérant y trouver un semblant de sécurité. Mais tandis qu'ils marchaient, Adrien ne pouvait s'empêcher de sentir une présence derrière eux, une ombre invisible qui les suivait, silencieuse mais terriblement palpable. Il n'était plus question de science ou de découverte. Il s'agissait de survie, d'échapper à ce qu'ils avaient éveillé dans les entrailles de la terre.

Le village apparut enfin à l'horizon, ses maisons basses et austères se dressant comme des fantômes dans la brume. Les habitants, silencieux et méfiants, observèrent le petit groupe revenir avec des regards lourds de reproches et de crainte. Ils savaient. Adrien pouvait le lire dans leurs yeux. Ils savaient que quelque chose avait été perturbé, que le gouffre avait été dérangé. Les murmures ne leur étaient pas inconnus.

Un vieil homme s'approcha d'eux alors qu'ils pénétraient dans la place centrale du village. Son visage ridé était marqué par les années, mais ses yeux brillaient d'une lueur étrange, presque surnaturelle. Il s'arrêta devant Adrien, le fixant longuement avant de murmurer d'une voix rauque :

- Vous n'auriez pas dû descendre là-bas, monsieur. Ce gouffre... Ce gouffre est une porte. Une porte vers un monde que nous, simples mortels, ne devrions jamais franchir.

Adrien ouvrit la bouche pour répondre, mais le vieil homme leva la main, l'interrompant.

- J'ai vu des hommes comme vous avant, des hommes qui pensaient pouvoir comprendre ce qui se cache là-dessous. Aucun n'est revenu indemne. Certains sont morts. D'autres... sont devenus autre chose. Vous avez éveillé les enfants du gouffre, monsieur. Et maintenant, ils vous veulent.

Ces mots résonnèrent dans l'esprit d'Adrien comme un glas. Le poids des événements se faisait de plus en plus lourd sur ses épaules. Avait-il réellement réveillé quelque chose ? Ces murmures, ces présences invisibles... Étaient-elles les fameux « enfants du gouffre » ? Une part de lui refusait d'y croire, mais une autre, plus sombre, savait que ce vieil homme avait raison.

- Que devons-nous faire ? demanda Paul, l'angoisse perçant dans sa voix. Comment pouvons-nous leur échapper ?

Le vieillard secoua lentement la tête.

- Vous ne pouvez pas. Pas maintenant. Ils sont éveillés. Ils vous suivent, où que vous alliez. Votre seul espoir est de partir... de quitter cet endroit... et de prier pour que cela suffise.

Adrien sentit un frisson parcourir son corps. Fuir. C'était tout ce qui leur restait. Fuir loin de ces montagnes, loin de ce gouffre maudit. Mais au fond de lui, il savait que ce ne serait pas si simple. Ces présences qu'ils avaient éveillées... Elles ne les laisseraient pas partir si facilement.

Le groupe se retira dans l'une des maisons du village, prêtée par un villageois compatissant, mais la nuit fut loin d'être paisible. Les murmures... toujours présents. Même à l'abri des murs de pierre, Adrien les entendait, chuchotant à la lisière de son esprit. Des mots qu'il ne comprenait pas, mais qui portaient en eux une promesse de terreur.

Julien ne trouvait pas le sommeil. Il fixait le plafond avec des yeux fous, murmurant sans cesse les mêmes paroles :

- Ils sont là... Ils nous regardent... Ils attendent...

Adrien, quant à lui, était allongé sur le lit de fortune, mais il savait qu'il ne trouverait pas le repos. Quelque chose les guettait dans l'ombre, quelque chose d'indescriptible, d'impitoyable. Et tandis que la nuit avançait, il réalisa avec horreur que ce n'était plus une question de fuir. C'était une question de temps avant que l'obscurité qu'ils avaient réveillée ne vienne les réclamer, un par un. Mais il savait aussi qu'il devait retourner au gouffre.

Le gouffre l'appelait.

L'Appel du GouffreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant