Les jours suivants furent une épreuve de nerfs, une lente et insidieuse descente dans la folie. Adrien se retrouvait incapable de fuir ces montagnes, comme si une force invisible le retenait là, tissant une toile de ténèbres autour de lui. Le village, d'abord refuge temporaire, devint rapidement une prison mentale. Les murs des maisons semblaient se resserrer autour de lui, les ombres s'étiraient d'une manière anormale, et les murmures... les murmures résonnaient toujours, inlassables, plus proches que jamais.
Paul, quant à lui, tentait désespérément de rester rationnel, mais l'inquiétude se lisait sur son visage creusé par l'angoisse. Il passait ses journées à préparer des plans d'évasion, cherchant à convaincre Adrien qu'il fallait partir immédiatement. Cependant, Adrien, lui, ne l'entendait pas. Ses pensées étaient devenues obsédantes. Le gouffre l'appelait, comme un chant lointain et envoûtant auquel il ne pouvait plus résister. Les statues, le monolithe... Tout cela ne pouvait pas rester inexpliqué.
Julien, de son côté, s'était enfoncé dans une folie grandissante. Il refusait de sortir de la maison, et passait ses journées recroquevillé dans un coin, marmonnant des phrases incompréhensibles. Les villageois, quant à eux, les observaient de loin avec une méfiance grandissante. Ils évitaient de croiser leur chemin, comme s'ils les considéraient déjà condamnés, porteurs d'un mal invisible et incurable. Le vieil homme, celui qui les avait avertis, venait parfois devant leur porte, marmonnant des prières à mi-voix avant de disparaître à nouveau dans les ruelles désertes.
Finalement, ce fut une nuit sans sommeil qui poussa Adrien à prendre une décision irrévocable. Les murmures s'étaient amplifiés, devenant presque des voix distinctes, des chuchotements insistants qui pénétraient son esprit, l'incitant à revenir.
- Ils t'attendent, disaient-ils. Ils t'ont choisi.
Il se leva brusquement du lit, son corps agité par une énergie fébrile. Sans même réfléchir, il enfila sa veste et sortit dans la nuit glaciale. Le village était plongé dans un silence de mort, mais quelque part, dans les profondeurs des montagnes, il sentait le gouffre l'appeler. Ses pieds le guidèrent sans hésitation vers cette ouverture béante dans la roche, là où tout avait commencé.
Paul, réveillé par le bruit, se précipita à sa suite.
- Adrien ! Qu'est-ce que tu fais ?! Tu ne peux pas retourner là-bas !
Adrien ne s'arrêta pas. Sa voix, lorsqu'il répondit, semblait distante, comme si elle appartenait à quelqu'un d'autre.
- Je dois y retourner, Paul. Je dois comprendre. Quelque chose là-bas... m'appelle.
Paul attrapa son bras avec force, le regard empli de panique.
- Non ! Ce gouffre... c'est la mort, Adrien ! Tu l'as dit toi-même, quelque chose a été réveillé ! Nous devons partir, pas retourner là-bas !
Adrien le fixa, son regard intense, mais étrangement calme.
- Tu ne comprends pas. C'est plus fort que nous. Ce que nous avons trouvé... ce que nous avons éveillé... Ce n'est pas juste de la curiosité. C'est un appel. Et je dois y répondre.
Paul, désemparé, secoua la tête.
- Tu parles comme Julien maintenant ! Regarde ce que ce gouffre a fait de lui ! Ne le laisse pas faire la même chose de toi !
Mais c'était trop tard. Adrien avait déjà pris sa décision. D'un geste brusque, il se dégagea de l'emprise de Paul et reprit sa marche, ses pas résonnant contre les pavés du village endormi. Paul, à contrecœur, se résigna à le suivre, incapable de le laisser partir seul vers cette abîme maudite.
Ils quittèrent le village, laissant derrière eux les lumières tremblotantes des rares lanternes encore allumées. La montagne se dressait devant eux, sombre et imposante, et le chemin qui menait au gouffre semblait plus sinistre qu'avant, comme si la nature elle-même conspirait pour les retenir. Les murmures se faisaient plus forts à mesure qu'ils approchaient de l'entrée béante, et Adrien les accueillait presque avec soulagement. Ils ne chuchotaient plus seulement des mots indistincts. Ils formaient des phrases, des incantations venues d'un autre temps, d'un autre monde.
La descente dans le gouffre fut plus rapide cette fois. Adrien ne s'embarrassait plus de précautions. Il connaissait déjà le chemin, chaque fissure, chaque paroi rugueuse. Il n'avait plus peur. Au contraire, il se sentait guidé, protégé même, par cette force obscure qui l'attirait toujours plus bas. Paul, derrière lui, tentait de masquer sa terreur, mais ses mains tremblaient sur la corde qui les menait dans les ténèbres. Il savait que ce qu'ils faisaient était insensé, mais quelque chose l'empêchait de rebrousser chemin. Était-ce la loyauté envers Adrien ? Ou était-ce cette même force invisible qui les poussait à revenir ?
Quand ils atteignirent à nouveau la vaste caverne, le spectacle qui s'offrit à eux était encore plus terrifiant que dans leurs souvenirs. Les statues semblaient avoir bougé, leurs silhouettes imposantes se dressant comme des gardiens sinistres autour du monolithe. Les gravures sur les murs luisaient faiblement d'une lumière qui ne semblait pas naturelle, comme si une énergie ancienne pulsait à travers la pierre.
Le monolithe, quant à lui, était différent. Il n'était plus simplement une pierre noire, inerte et mystérieuse. Il vibrait légèrement, comme s'il réagissait à leur présence, et les runes qui le couvraient brillaient d'une lueur malsaine. Adrien s'avança, fasciné, oubliant tout le reste. Il tendit la main vers le monolithe, sentant une chaleur étrange émaner de sa surface. Les murmures devinrent plus clairs, plus insistants.
- Adrien ! cria Paul, sa voix déformée par l'écho de la caverne. Ne fais pas ça !
Mais Adrien ne l'écoutait plus. Ses doigts effleurèrent la surface du monolithe, et aussitôt, il sentit une décharge électrique parcourir son corps. Ce n'était pas une douleur physique, mais une sensation plus profonde, une connexion mentale, spirituelle. Il vit des images, des visions terrifiantes d'un autre monde, d'une réalité où des êtres monstrueux dominaient, où le temps et l'espace se distordaient sous l'influence de puissances cosmiques. Il comprit alors l'horreur de ce qu'il avait réveillé.
Ces créatures... ces « enfants du gouffre »... n'étaient pas simplement des légendes. Elles étaient réelles, et leur sommeil avait été troublé. Le monolithe n'était pas qu'un simple artefact, mais un sceau, une prison qui retenait ces entités loin de leur monde. En le touchant, Adrien avait commencé à lever ce sceau.
Il retira sa main, haletant, mais il était trop tard. Le sol se mit à trembler, et un grondement sourd résonna dans les profondeurs du gouffre. Les statues, auparavant immobiles, semblèrent s'animer, leurs formes grotesques bougeant lentement, comme si elles se réveillaient après un sommeil éternel. Paul, paralysé par la peur, regardait la scène avec horreur.
- Adrien... qu'est-ce que tu as fait ?
Mais Adrien ne répondit pas. Son esprit était envahi par les visions, les murmures qui se faisaient de plus en plus clairs. Ils chantaient son nom maintenant, l'invitant à rejoindre leurs rangs, à devenir l'un des leurs. Il tenta de résister, de retrouver son propre esprit, mais la connexion était trop forte. Il tomba à genoux devant le monolithe, les yeux révulsés, tandis que la caverne s'emplissait d'une lumière surnaturelle.
Paul, dans un ultime acte de bravoure ou de désespoir, se précipita vers Adrien pour l'éloigner du monolithe, mais il fut arrêté net par une force invisible. Une aura sombre entourait maintenant Adrien, le séparant du reste du monde. Paul sentit la terreur s'insinuer en lui comme un venin, mais il ne pouvait détourner le regard de son ami, qui semblait se transformer devant ses yeux.
Adrien, toujours à genoux, murmurait maintenant des paroles dans une langue ancienne, des mots qu'il n'avait jamais appris, mais qui sortaient de sa bouche avec une fluidité morbide. Il levait les mains vers le ciel, comme s'il implorait une divinité cachée dans l'obscurité. Et tandis que les murmures atteignaient un crescendo insoutenable, Paul comprit enfin la vérité.
Ils n'étaient pas simplement descendus dans un gouffre. Ils avaient franchi une porte vers un autre monde, un monde où des forces inimaginables attendaient de reprendre leur place. Et Adrien... Adrien était devenu leur émissaire, un pont entre les deux réalités.
Alors que le grondement s'intensifiait et que les statues se mettaient en mouvement, Paul ne trouva qu'une seule solution : fuir. Il se retourna et courut vers l'entrée de la caverne, laissant Adrien derrière lui, entre les griffes des forces obscures qu'ils avaient libérées. Les murmures semblaient le poursuivre, l'envelopper, mais il ne s'arrêta pas. Tout ce qu'il voulait maintenant, c'était échapper à cet enfer, fuir cette montagne maudite, et espérer que, quelque part, il trouverait la paix.
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L'Appel du Gouffre
HorrorPaul et ses amis partent en expédition dans les Pyrénées. Ce qu'ils découvrent dépasse leur imagination : un gouffre oublié renfermant des statues mystérieuses, un monolithe étrange, et des forces obscures qui ne demandent qu'à être libérées. Lorsqu...