IN GRATIA ANGELI

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Sarah Lisa Hornswäckel détestait son prénom. Aussi, elle se présentait à tout le monde sous le nom de Sally. Ce qu'elle trouvait plus chantant, plus facile à retenir, et à prononcer, sans pour autant vexer l'héritage qui lui avait transmis ses parents en lui choisissant un prénom composé par ceux de ses deux grands-mères. Le comble étant qu'elle n'eut jamais vraiment connus ces dernières.

Très peu de gens étaient donc au fait de sa véritable identité en dehors de sa propre famille. Et encore, quelques cousins éloignés avaient sans doute oublié son véritable prénom tant ils ne l'avaient jamais réellement entendu. Elle ne le donnait que lorsqu'elle en était légalement forcé, comme pour tout ce qui relevait de l'administratif officiel, assurance, banque, contrat de location. Et bien évidemment, à son patron. Mais pour l'ensemble de ses collègues, même les plus proches, elle était, et restera toujours Sally. Elle avait pourtant de très bonnes relations avec les autres membres de son équipe. Tout ceci n'était pas une question de confiance, mais purement personnel.

Sally travaillait dans une grande entreprise internationale, dont la mission première était de jouer en bourse avec l'argent des autres sociétés. C'est du moins ce qu'elle répondait ironiquement quand on lui posait la question sur ce qu'elle faisait de sa vie. Mais c'était évidemment un peu plus complexe que cela. Cependant, hormis elle-même et ses propres collègues, personne n'avait jamais réellement compris comment elle gagnait sa vie. Pire encore, certains de ses camarades de bureau ne saisissaient pas non plus sa fonction, et vice-versa. Il faut dire que lorsque l'on passe près de huit heures par jour le nez collé sur des tableaux de calculs et de chiffrage, au soixantième étage d'une immense tour vitrée, dans un bâtiment qui abrite plus de monde que certaines principautés d'Europe, il est parfois difficile de comprendre le rôle exact de chacun, dans l'entreprise comme dans la vie en général. Mais comme le disait si bien le patron de Sally, un peu trop à son goût d'ailleurs : "C'est nous qui faisons tourner le monde" !

Certes, ce n'était pas un boulot très palpitant, plutôt procédurier et très sédentaire, mais il payait bien. Très bien même. Et ça convenait parfaitement à Sally. Pas uniquement le salaire, mais bel et bien la fadeur de son emploi. Elle n'était pas ce genre de personne exubérante ou farfelue. Elle aimait que les choses se déroulent selon un plan, et s'y tenir. Un plan qu'elle aurait minutieusement établi en amont d'elle-même, bien évidemment. Et voir ce plan se dérouler sans accroc était pour elle une grande satisfaction. Un emploi dont le principe fondamental reposait là-dessus était une aubaine pour elle. Sally adorait la sécurité et l'apaisement qu'offrait la routine et le quotidien. Ses journées étaient organisées à l'avance pour lui garantir le moins de surprises et d'imprévus possible. Ce qui, selon elle, évite les frustrations. Elle consacrait toujours un temps de sa journée pour planifier celle du lendemain. Journée planifiée elle-même autour d'une semaine type bien rodée et organisée également. Si elle se laissait aller, elle irait même jusqu'à organiser ses mois entiers à l'avance, mais elle savait que cela entrainerait trop de modification en fonction de certains paramètres, et quoi de pire que de devoir changer des plans déja établis ? Mais bien qu'elle trouvait une pleine satisfaction à régir sa propre existence selon des règles précises, le fait est qu'elle l'assumait moins en public. Voir même face à elle-même, voilà pourquoi elle ne poussait pas le vice aussi loin.

Nous étions jeudi, et comme tous les jeudi, Sally quittait le travail à 17h30 précise. Quelques simples minutes de retard suffisaient à l'agacer, car elles pouvaient mettre en péril tout le reste du timing de sa soirée, par effet domino. Heureusement, être à ce point organisé ne relevait pas uniquement que de la névrose, cela la rendait aussi extrêmement efficace au travail. Elle finissait toujours à l'avance toutes les tâches qui lui incombaient.

A 17h40 environ, elle prenait le métro. 16 stations jusqu'à son domicile. Et chaque jour, une prière pour qu'il ne tombe pas en panne. Mais avec l'expérience, Sally avait appris à inclure dans son rythme de vie minutieux les aléas des compagnies de transport public. Si le trajet présentait des difficultés, cela n'affectait pas spécialement son planning. Et si le trajet se passait sans encombre, cela lui donnait simplement de l'avance sur ses projets. Le retard est un fléau, mais l'avance est évidemment une bénédiction. Les mardis et les jeudis, Sally profitait de ces quarante-huit minutes de trajet pour écouter un album de musique qu'elle ne connaissait pas encore. Elle avait établi une liste d'artistes susceptible de lui plaire aux vues de ses goûts musicaux, avait décliné cette liste en album. Comme toutes personnes obsédées par l'optimisation de son temps, Sally adorait faire des listes. Elle écoutait ces albums après les avoir tiré totalement au sort dans la liste. On peut être maniaco-rigide sur son agenda, ça n'empêche pas de parfois laisser décider le hasard. Il arrivait que Sally faisait donc des découvertes musicales très plaisante, parfois elle subissait le trajet plus qu'autre chose. Mais elle se forçait tout de même à écouter l'album jusqu'au bout "au cas où un titre s'avère tout de même sympa". Et pour ceux qui se posent la question, les lundis et les mercredi, Sally occupait son trajet avec la lecture d'un magazine culturel qu'elle achetait tous les mois au kiosque. Comprendre que l'achat garantissait le choix de la date d'acquisition du dit-magazine, ce qui n'était pas le cas de l'abonnement, car ce dernier dépendait alors des services des postes, et imaginez qu'elle eut finit un numéro, disons un mardi, et que le numéro suivant ne soit pas encore livré chez elle dans la journée ! Un mercredi sans magazine dans le métro ? Inconcevable !

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