In Sirenis Canticum

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Troublant le calme de l'océan, le Prince sombra
Au milieu des ténèbres, emporté par les flots
Au creux de la vague, la Sirène son chant stoppa
Et son secours elle apporta au Prince forclos

Elle le rejoignit et par le bras l'agrippa
Pour l'emmener au fond des abysses sans dire mot
Sur leurs deux visages un sourire se dessina
Pendant qu'en surface en flamme était les bateaux


Et lentement se leva le soleil à l'horizon, venant caresser de sa douce lumière le fond scintillant de la Mer des Joyaux. En quelques minutes, les vagues prirent une teinte dorée, argentée, bleue, rouge, verte, reflet de toutes ces pierres précieuses tapissant les abîmes.
Le Prince ne se lassait pas de ce spectacle. Matin après matin, il avait pris l'habitude de contempler ce spectacle que la nature lui offrait du haut de sa fenêtre. Une symphonie de lumière et de couleur...
Mais ce matin, il resta quelques minutes de plus qu'à l'accoutumée. Le tapis de feu avait déjà recouvert l'eau depuis un moment tandis qu'il perdait son regard vers l'horizon. La nuit fut courte. Ou plutôt agitée. Ses songes furent brouillons, mais intense. Agréables mais nauséeux. Intriguants, mais effrayants. Hypotoniques.
Le bruit sourd mais discret de la servante sur la porte en bois de ses appartements le sortit de sa torpeur.
— Votre Père le Roi m'envoie vous demander s'il doit vous attendre pour le repas ou non? dit une voix étouffée à travers la porte.
Sans détacher son regard de l'infini qui le fascinait tant, il répondit par l'affirmative. Il resta encore une minute ou deux, bercé par le bruit de l'écume s'échouant sur les rochers en contrebas, avant de pousser un long soupir puis de partir pour la salle à manger du château.
— Hé bien fils, vous ne vous être pas apprêté ce matin ? lui lança son père en guise de salut, sur un ton qui se voulait moqueur, mais que son autorité naturelle trahissait en réel reproche.
C'est vrai, le Prince ne s'était ni débarbouillé, ni pris le temps d'enfiler un vêtement convenable. Il avait rejoint la table du petit déjeuner en simple chemise de nuit et pantalon de coton, ses longs cheveux noirs en bataille et sa barbe drue. En guise de réponse, il se contenta d'hausser les épaules. Et attrapa un morceau de brioche encore chaude avant de s'affaler sur son siège.
Ysidraëlle, sa sœur, avait quant à elle presque déjà finie son assiette, tandis que Bakhi, le sage et magicien de la cour, était comme à son habitude plongé dans la lecture de parchemins que lui seul parvenait à déchiffrer. Le Prince ne comprenait pas, ne comprenait plus ce rituel ridicule du petit déjeuner dit "familial". Les discussions y étaient mornes et sans saveur, quand discussions il y avait, et depuis la disparition de la Reine, il comptait à vrai dire généralement plus de serviteurs que d'invité. D'ailleurs, comme depuis un moment, il n'y avait même plus d'invités. Rien que lui, sa sœur Ysidraëlle, le sage Bakhi et son père, le Roi Théoborène. Pourtant la cour de l'île Boréale fut un temps joyeuse, faste et animée... Peut-être n'était-ce pas plus mal après tout...

***

La jolie petite blonde jouait avec les boucles de ses longs cheveux, assise sur le sable fin et clair de la plage. Combien y avait-il exactement de trésor au fond de l'eau ? Et comment toutes ces pierres étaient-elles arrivées ici ? Elle se le demandait presque tous les jours, mais comme tous les habitants de l'île Boréal, elle l'ignorait totalement. Ce n'était pas faute d'avoir demandé à son père, ou même à Bakhi, lui qui semble être ici depuis toujours, mais jamais ils ne purent lui clarifier ce mystère. Ysidraëlle finit par laisser ses boucles tranquilles, ainsi que ses pensées, pour s'allonger de son long sur le sable. Elle était censée attendre le signal de l'île Azur, mais elle savait d'ores et déjà qu'elle ne le verrait pas. Alors à quoi bon rester attentive ? Elle observa ce ciel sans nuage et se prit à rêver... De courte durée, car déjà la voix de son frère se fit entendre :
— Hé bien très chère sœur, vous me décevez beaucoup ! Est-ce là une façon pour une jeune princesse d'occuper ses journées ?
Ysidraëlle, le regard toujours vers l'infini, lui répondit très calmement :
— Mon frère adoré, sachez qu'il est assez mal placé de me reprocher des erreurs que vous-même commettez au quotidien !
Le Prince ne répondit pas, son visage se figea. Ysidraëlle tourna alors son regard vers son grand frère. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Puis tout deux éclatèrent de rire à gorge déployée. Le Prince se laissa tomber fesses les premières sur le sable aux cotés de la jeune fille, qui déclara en reprenant son souffle.
— Je ne comprendrais jamais pourquoi Papa nous impose un tel langage entre toi et moi! Mais tu l'imites très bien!
— Le protocole Ysidraëlle, le protocole, tu sais qu'il en est fou!
— Quand il y a des invités je veux bien comprendre, mais quand nous sommes seuls...
Le Prince ramassa une petite brindille sur le sol et commença machinalement à tracer des cercles et des lignes aléatoires sur le sable. Sa sœur se redressa sur son séant et vint se blottir contre son épaule large et son bras puissant.
— Sans plaisanter, qu'est ce que tu fais à la plage dès le matin ? lui demanda-t-il
— Tu as déjà oublié ? En tant que plus jeune enfant du Roi, c'est à moi d'envoyer le retour, la confirmation du signal de l'île Azur...
— C'est déjà aujourd'hui qu'ils partent ?
— En principe oui, tu pourrais suivre un peu grand frère ! Je sais que tu n'es pas souvent au château ces derniers temps, mais je suis sûr que même à la taverne on parle du Tournoi qui aura lieu dans quelques jours !
— Je ne suis peut-être pas au château, mais je ne suis pas à la taverne pour autant.
— Où es-tu donc alors ? ... Ne réponds pas, je ne veux pas savoir en fait.
Le Prince esquissa un sourire à mi-chemin entre la fierté et la gêne, avant de lui répondre sur un ton ironique.
— Je ne vois pourtant pas ton drapée ni ton mat, comment vas-tu leur indiquer que tu as bien vu les leurs ?
— Cher frère, vois-tu l'île Azur au loin ?
— Non, elle est bien trop loin... dit-il en scrutant tout de même l'horizon devant lui.
— Par conséquent comment veux-tu que je les vois agiter leur emblème pour me dire qu'ils partent ? Encore une coutume ridicule de notre nation... Comme tous les ans, nous nous contenterons de voir la caravane de bateaux au loin et de hurler très fort dans le château qu'ils arrivent. De toutes les manières nous savons qu'ils partent aujourd'hui, et de toutes manières nous commencerons à tout préparer pour le Tournoi dès cet après-midi...
Le Prince ricana. Sa sœur avait raison. Signal ou pas, tous les serviteurs de son père devaient déjà être sur le pied de guerre pour accueillir Démétrios, le roi de l'île Azur, et sa suite. La tradition veut que la veille du Tournoi, le roi hôte organise une très grande fête pour le roi invité, et évidemment, à chaque édition, chacun rivalise de faste avec l'autre pour lui en mettre plein la vue. C'est presque comme si le Prince sentait déjà l'odeur de la pintade braisée et des panais frits. Et du vin acidulé. Surtout ne pas oublier le vin.
— Pourquoi passer la journée ici alors ? lui demanda le Prince
— Parce que si je traîne au château ou dans la citadelle, papa risque de me tomber dessus, tout simplement. Et il va régner une telle agitation dans quelques heures que je préfère rester au calme ici!
Le Prince baisa alors tendrement le front de sa sœur, se libéra de son emprise et se leva, avant d'épousseter le sable sur ses vêtements.
— Où vas-tu ? lui demanda la jeune fille.
— Toi il ne faut pas que notre père te trouve en ville, mais pour moi c'est tout l'inverse justement! S'il ne me trouve pas, je vais avoir droit à un énième sermon sur mes obligations d'héritier. J'imagine qu'il a une tonne de tâche à me confier pour la préparation du Tournoi.
— C'est bien la première fois que tu te soucies des sermons de notre père et la première année que tu te soucies de l'organisation de ce Tournoi, lui rétorqua-t-elle un peu sèchement, même si en vérité elle était plutôt inquiète.
En guise de réponse, la jeune fille obtint un soupir et un regard plein de tendresse. Puis le Prince lui fit une révérence exagérément ridicule, ce qui fit une fois de plus pouffer sa sœur, avant de partir en direction du château...

Des Nouvelles d'Elles...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant