Ca galope à toute allure dans la nuit noire.
Evidemment, j'me suis planté de chemin, et voilà que ça fait plus de vingt minutes que j'arrive pas à sortir de cette maudite forêt. Haldrix m'avait pourtant fait une feuille de route assez précise, je sais pas ce que j'ai foutu. Le cheval a un peu de mal aussi, faut dire qu'il s'est mis à pleuvoir depuis deux bonnes lieues, et forcément la gadoue arrange pas ses affaires. Autant dire qu'entre la pluie et la nuit, j'vois vraiment pas grand chose. Je sais pas quelle heure il est, mais je prie pour pas arriver trop tard. J'ai aucune idée à quelle heure ferme l'exploitation, j'espère juste ne pas avoir fait la route pour rien. J'ai pas franchement envie de passer la nuit dans une auberge du coin, ni de refaire toute la route en sens inverse. A vrai dire je sais même pas si y'a une auberge dans le coin. Ni si j'suis dans un réel coin en fait.
J'aperçois une lueur au loin. Faut espérer que ça soit une bougie à une fenêtre. Le chemin sort enfin de la forêt. D'après Haldrix, je devrais plus être très loin. Juste à la sortie du bois qu'il m'a dit. La lueur se rapproche. Je passe au trot, histoire de voir un peu mieux. J'essuie l'eau sur mon visage. En effet, il semble qu'il y ait une énorme bâtisse au loin. Une baraque en bois aussi grande que quatre navires.
Je suis la lueur. Je discerne enfin une fenêtre, une porte. Pas de panneaux, pas d'enseigne. On verra bien si c'est ça. Je descends du cheval et je l'attache à coté, à un bout de barrière pas loin, et j'oublie pas la sacoche évidemment. Punaise, Haldrix ne m'avait pas menti, c'est immense. Je pense que la longueur de ce bâtiment doit bien faire cinq ou six troncs entiers de sapins. C'est impressionnant. Il parait que c'est lui le plus gros fournisseur de la contrée, donc forcément j'imagine que ça demande de la place. C'est bien simple, de là où je suis, j'en discerne pas le bout. Bref.
J'vais toquer, j'espère vraiment qu'on m'ouvre. Grands Dieux qu'est ce que ça pue ! C'est immonde. J'suis même pas encore entré que c'en est déjà insupportable. Je frappe trois fois contre la porte en bois. Aucune réaction. Ne me laissez pas sous la pluie s'il vous plait, surtout que je ne vois aucun autre signe de vie dans les environs. J'insiste. Je refrappe trois coups. Plus fort cette fois.
— Oui bha entrez !! hurle alors une voix de l'intérieur.
J'pouvais pas deviner que c'était ouvert moi, et pis j'vais pas rentrer comme ça sans gène. Je pousse la porte. Une odeur de transpiration et d'excrément me fouette le visage. J'en ai la nausée. Me demande comment ils font pour bosser là-dedans...
Je pénètre dans le hall d'entrée. Un vieux type est en train de gratouiller du parchemin avec une plume défoncée sur un bureau, à la lueur d'une lanterne au moins aussi vielle que moi. Et c'est tout. Il n'y a rien d'autre dans cette pièce. Le type, le bureau, la bougie à la seule fenêtre de la baraque, et une lanterne. Ha, et une porte dans le fond. Et le sol n'est qu'une espèce de terre battue dégueulasse.
C'est oppressant. C'est sombre, glauque, ça pue, le mec me considère même pas, c'est plus oppressant, c'est carrément flippant. Comme je dégouline de partout et que j'suis en train de tremper le sol, le transformant en boue, je m'excuse auprès du vieux de la merde que j'suis en train de faire.
— On s'en cogne ! qu'y me répond sur un ton agressif, sans même relever les yeux de ses notes.
D'accord. Fort bien. J'ai tenté de lui faire comprendre que j'étais là mais non. Il reste bloqué sur son papelard. Du coup moi je reste là, planté comme un poireau, ruisselant, dans un silence de mort avec juste la plume qui gratte le papier. On reste comme ça plusieurs longues secondes, tellement longues que ça va en devenir des minutes. C'est quoi son problème à ce type ? J'suis là putain, accueille moi ! T'as beau être le plus grand vendeur de Sacrifices du coin, ça t'empêche pas de soigner tes clients. J'peux pas m'empêcher de lâcher un gros soupir, mais le mec continue de m'ignorer. Au moment où j'allais ouvrir la bouche pour le rabrouer, il pose sa plume et me lâche comme ça, comme si j'le dérangeais:
— Ouais ? Alors ? C'est pour quoi ?
Comme si c'était moi qui le faisait attendre depuis avant, tu sais. Gonflé le maraud, mais est-ce que j'ai le choix ?
— Je viens récupérer la commande pour Haldrix.
— Ha, c'est vous son apprenti ?
— Oui, c'est bien cela.
— Ho bha fallait le dire avant !
Sérieusement ? La blague. Maintenant que je vois enfin son visage, il me parait encore plus vieux. Energique, mais vieux. Il continue :
— Je suis Okrich, c'est moi l'exploitant. Le patron si tu préfères !
Ha donc on se tutoie maintenant ?
— Comment va Haldrix ?
— Plutôt bien.
C'est vrai, mais j'ai pas envie de rentrer dans le détail. J'suis pas ici pour faire la causette, j'ai pas spécialement envie de rentrer demain.
— Tant mieux, tant mieux. Ca fait un moment que je l'ai pas vu. C'était bien un mâle et une femelle qu'il lui fallait c'est ça ?
— C'est ça...
— Alors on est bon. Vous savez ce qu'il compte en faire ?
— Pas spécialement non.
— Y compte pas les utiliser en une fois j'espère ?
— Comme j'vous dis, j'en sais rien.
— Nan parce qu'Haldrix j'le connais le bougre hein, pas qu'il retente ses sorts de destruction ou quoi, à chaque fois qu'il a tenté de lancer de gros trucs avec de gros Sacrifice, ça lui a pété à la tronche ! J'espère que ça lui a passé.
— Il se contente d'enseigne la Magie en ce moment, donc...
— Ouais donc il va les détailler, je suppose que ça sera pour toi et les autres apprentis, histoire de lancer des sorts mineurs ?
— Probablement...
— Ok, histoire que ça lui dure, je devrais avoir des gras en stock.
Okrich se lève et attrape la lanterne qui traine sur son bureau. Et il reste planté comme ça, à me fixer. Jusqu'à ce qu'il me lâche enfin :
— Heu... T'as l'argent gamin ?
— Ha oui, oui bien sûr pardon.
Je sors de ma sacoche la petite bourse qu'Haldrix m'a donné et je la pose sur le bureau. Le marchand l'entrouvre, jette un coup d'œil pis me sort :
— Boah je suppose que le compte est bon, j'lui fais confiance, au pire hein, je sais où le trouver !
Et là il éclate de rire, je comprends pas pourquoi, et il pousse la porte du fond et me fait signe de la suivre.
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Des Nouvelles d'Elles...
Short StoryEnsemble de nouvelles et d'histoires courtes pour la plupart fantastiques (fantasy ou science-fiction). Chaque chapitre correspond à une nouvelle d'or et déjà terminée, mais retrouvez régulièrement une nouvelle histoire dans ce recueil qui s'étoffe...