In Casu Vulpis

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— Cassé cassé ?
— Cassé cassé ! Il m'a glissé des mains, il s'est claqué au sol et depuis, il ne déclenche plus !
James reposa avec dépit son double cheeseburger. Il n'avait vraiment pas faim. Il était abattu. Il avait fait chuter son appareil photo la veille, et il était devenu obsolète. Son amie Lara avait pensé qu'un tour au fast-food du coin lui remonterait le moral, même si c'était plutôt parce qu'elle avait très envie d'une portion de nuggets. Elle savait bien que la photo était la grande passion de James, et que la perte de son boîtier était particulièrement terrible, surtout à ce moment-là.
— Et tu ne peux pas... En emprunter un autre, ou un truc dans le genre ? lui demanda-t-elle en enfournant le dernier morceau de poulet dans sa bouche.
— Non Lara c'est... C'est pas possible ça, je peux pas finir ma série avec un autre appareil, ça va flinguer toute la cohérence, ça va se voir, y'aura plus aucune unité dans le projet, et c'est rédhibitoire ça, ça va ruiner tout ce que j'ai fait jusque-là. Et évidemment, c'est impossible de tout reprendre depuis le début... Et j'aurais jamais le temps de trouver quelqu'un qui a le même boîtier que moi, j'te rappelle que je suis censé finir cette série d'ici une semaine.
James était un photographe plutôt doué. Il s'était découvert cette passion en parallèle de ses études supérieures de physiques appliquées, à la sortie du lycée. Malgré ses vingt-et-un ans, il avait déjà été publié dans quelques magazines et exposé dans deux ou trois lieux publics locaux. Bref, il avait du talent pour ça. Un tel talent qu'il y a de ça quelques mois, un célèbre galeriste de la capitale l'avait repéré sur les réseaux sociaux. Il l'avait alors contacté pour lui proposer de l'exposer. Une chance inespérée pour James, une exposition qui pourrait bien lancer sa carrière, qui le propulserait non plus au rang d'expert, mais véritablement d'auteur photographique. Une consécration. Et surtout, un très beau moyen de gagner sa vie. Mais le galeriste avait exigé de lui une série totalement inédite. Un tout nouveau travail. James s'était donc attelé à cette tâche entre deux révisions de partielles. Mais maintenant...
— ... tout est foutu bordel ! déclarât-t-il, résigné.
— Tu finis pas ton cheese ?
— Non, prends-le...
Ce n'était pas tombé dans l'oreille d'une sourde. Lara saisit le burger à pleines mains et le dévora en quasi une seule bouchée, avant de reprendre, bouche pleine :
— Et tu peux pas, genre, acheter le même boîtier ?
— Si Lara, bien sûr que si, répondit-il avec sarcasme, sauf qu'il coûte deux mille cinq cent euros, et je les ai pas !
— Hum, y me reste un billet de vingt sur moi si jamais...
James lança à son amie un regard agacé. Il n'avait vraiment pas envie de plaisanter. Elle haussa les épaules en s'essuyant les mains, vida sa bouche et s'excusa :
— Rhô ça va, désolée, j'essaie de dédramatiser comme je peux. James, je suis désolée, je sais. Je sais qu'avec cette expo, t'avais l'opportunité de devenir un "vrai" photographe. En plus, tu sais que j'ai toujours cru en toi. J'veux dire, pour moi c'était sûr, c'est ce que t'allais faire de ta vie, d'ailleurs je me demande ce que tu fais encore à la fac tellement t'as de l'or dans les yeux. Et j'suis dévastée pour toi, vraiment. Seulement tu me connais, j'suis pas ce genre de meuf. Là, je sais juste pas quoi te dire, ni quoi faire pour arranger la situation mais crois moi, ça me donne envie d'égorger des bébés chats ton histoire là, tellement c'est tellement pas juste ! T'allais devenir un putain d'artiste et...
James leva la main pour la faire taire. Il souriait enfin. Le premier sourire depuis des heures. La jeune fille s'étonna.
— Lara... Merci... C'est ce que j'avais besoin d'entendre. Tu peux rien faire, mais une pote qui partage ton malheur, ça fait plaisir.
— Yes ma poule et tu sais quoi ? Tu vas faire des économies, tu vas t'acheter un nouveau boîtier encore plus pro, tu vas recommencer ta série qui sera encore plus ouf que la première, et crois-moi garçon, c'est pas ici que tu vas exposer, tu vas aller conquérir New-York ! Hé ouais ! Londres, Madrid, Pékin, allez ! Un photographe international, c'est ça qu'on veut James !
Le garçon ria franchement, amusé de l'enthousiasme de son amie.
— Haha tu m'éclates Lara ! Merci. T'as toujours cru en moi et même encore maintenant. Tas raison... J'vais faire ça. C'est con mais ça me remonte le moral ce que tu viens de me dire.
— Câlin ? lui proposa-t-elle en ouvrant grand ses bras.
— Câlin ! répondit-il avec enthousiasme.
Il se leva de sa chaise et serra fort son amie contre lui. Ca ne réparerait pas son appareil photo, mais ça réchauffait le cœur. Lorsqu'ils finirent leur étreinte, Lara eu un sourire aux lèvres.
— Qu'est-ce qui t'arrives ? lui demanda-t-il.
— J'suis désolé James ! répondit-elle fendarde.
— Quoi ?
— J't'ai mis de la sauce barbecue plein ton t-shirt !
— Ha non Lara, t'abuses ! plaisanta-t-il. C'est mon préféré en plus, celui avec les Kanji !

Des Nouvelles d'Elles...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant