Chapitre 4 David

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David

Le bip régulier des moniteurs cardiaques rythme mes pas dans le couloir. Une journée ordinaire à l'hôpital, jusqu'à ce que Sarah, l'infirmière de garde, m'interpelle.

-Dr. Bennett ! On a une urgence en salle 3. Adolescent, 18 ans, multiples contusions, possible traumatisme crânien.

Je hoche la tête, mon esprit déjà en mode professionnel.

-J'arrive tout de suite.

En entrant dans la salle d'examen, mon cœur rate un battement. Le garçon allongé sur le lit, son visage tuméfié et son corps couvert d'ecchymoses, me rappelle instantanément Thomas. Mon fils aurait eu quasiment son âge aujourd'hui.

Je secoue la tête, chassant ces pensées. Ce n'est pas le moment.

-Bonjour, je suis le Dr. Bennett, dis-je d'une voix que je veux calme et rassurante. Comment t'appelles-tu ?

-Ethan, murmure-t-il, ses yeux remplis de peur et de douleur.

Quelque chose dans son regard me transperce. Une vulnérabilité, une souffrance qui va bien au-delà des blessures physiques.

Je commence mon examen, mes gestes précis et doux. Chaque contusion, chaque marque raconte une histoire de violence que je connais trop bien. J'ai vu des cas similaires au fil des ans, mais celui-ci me touche particulièrement.

-Ethan, je demande doucement, peux-tu me dire ce qui s'est passé ?

Il détourne le regard, son corps se tendant visiblement.

-Je... je suis tombé dans les escaliers.

Le mensonge est évident, mais je ne le pousse pas. Pas encore.

-D'accord, je réponds, gardant un ton neutre. Je vais devoir faire quelques examens supplémentaires pour m'assurer qu'il n'y a pas de blessures internes.

Alors que je continue mon examen, je ne peux m'empêcher de remarquer les anciennes cicatrices qui parsèment son corps. Des marques de violences répétées, probablement sur des années.

Une colère sourde monte en moi. Qui a pu faire ça à cet enfant ? Comment peut-on infliger une telle souffrance à un être si jeune ?

-Ethan, je dis doucement. Tu es en sécurité ici. Personne ne te fera de mal. Si tu veux parler, je suis là pour t'écouter.

Ses yeux croisent les miens, remplis de larmes contenues. Pour un instant, j'ai l'impression de voir Thomas. Mon fils, que je n'ai pas pu protéger.

-Je... je ne peux pas rentrer chez moi, murmure-t-il finalement, sa voix à peine audible.

Ces mots me frappent comme un coup de poing. La réalité de sa situation devient soudain claire comme du cristal.

-Tu n'auras pas à y retourner, je promets, surpris par la fermeté de ma propre voix. Nous allons trouver une solution.

Une lueur d'espoir apparaît dans ses yeux, rapidement remplacée par la peur.

-Mais mon père... il va me retrouver. Il va...

-Chut, je l'interromps doucement, posant une main rassurante sur son épaule. Personne ne te fera de mal ici. Je te le promets.

À cet instant, je réalise que je suis émotionnellement impliqué d'une manière qui dépasse largement le cadre professionnel. Je devrais me récuser, passer le dossier à un autre médecin. C'est ce que dicterait l'éthique.

Mais je ne peux pas. L'idée d'abandonner Ethan m'est insupportable.

-Je vais devoir signaler cela aux services sociaux, je l'informe doucement. Mais je resterai avec toi à chaque étape. Tu n'es plus seul, Ethan.

Les larmes qu'il retenait depuis si longtemps commencent à couler silencieusement sur ses joues. Sans réfléchir, je le prends dans mes bras, offrant le réconfort dont il a si désespérément besoin.

Ce geste, si naturel et pourtant si éloigné de mon comportement habituel, me surprend moi-même. Depuis combien de temps n'ai-je pas étreint quelqu'un avec une telle intensité ? Même avec ma propre fille, Emma, je maintiens toujours une certaine distance.

Mais avec Ethan, c'est différent. C'est comme si une partie de moi que je croyais morte depuis longtemps se réveillait soudain.

Lorsque je me sépare enfin de lui, je remarque le regard interrogateur de l'infirmière. Je sais que mon comportement est inhabituel, peut-être même inapproprié. Mais à cet instant, je m'en moque.

-Je vais m'occuper personnellement de ce cas, je lui dis d'un ton qui ne souffre aucune discussion.

Alors que je quitte la salle pour aller faire mon rapport et contacter les services sociaux, une pensée me frappe : pour la première fois depuis dix ans, je me sens vivant. Vraiment vivant.

Et c'est terrifiant.

Car je sais, au plus profond de moi, que rien ne sera plus jamais pareil. Que ce jeune garçon brisé vient de faire voler en éclats les murs que j'avais si soigneusement érigés autour de mon cœur.

Reste à savoir si je suis prêt à affronter les conséquences de ce bouleversement.

À l'ombre de nos cœurs Où les histoires vivent. Découvrez maintenant