À l'ombre de nos cœurs

Prologue - David

Juin 2014

Je cours. Mes poumons brûlent, mais je ne peux pas m'arrêter. Pas maintenant. Pas quand chaque seconde compte.

-Thomas !
Mon cri déchire l'air froid de novembre.

-Thomas, où es-tu ?

Le parc est plongé dans l'obscurité, les lampadaires projetant une lumière blafarde sur les allées désertes. Comment ai-je pu le perdre de vue ? Il était là, juste devant moi, il y a à peine quelques minutes.

Mon fils de six ans. Mon petit garçon aux boucles blondes et au rire contagieux. Celui qui me fait des câlins chaque matin avant que je parte travailler à l'hôpital. Celui qui me dessine des cœurs sur mes dossiers médicaux quand j'ai le dos tourné.

-Thomas !

J'appelle encore, ma voix se brisant sous l'effet de la panique.

C'est alors que je l'entends. Un cri. Faible, mais distinct. Venant de la direction du lac.

Mon cœur s'arrête.

Je sprinte, mes jambes me portant plus vite que je ne l'aurais cru possible. Les branches basses des arbres me griffent le visage, mais je ne sens rien. Rien d'autre que la terreur qui me serre la gorge.

J'arrive au bord du lac, haletant. La surface de l'eau est calme, trop calme. Puis je le vois. Un petit bras qui émerge, qui s'agite faiblement avant de disparaître sous la surface.

Sans réfléchir, je plonge. L'eau glacée me coupe le souffle, mais je nage frénétiquement vers l'endroit où j'ai vu Thomas. Mes mains tâtonnent dans l'obscurité, cherchant désespérément.

Enfin, je le sens. Son petit corps, inerte. Je le saisis et le ramène à la surface, luttant contre le poids de mes vêtements gorgés d'eau.

Sur la berge, j'entame un massage cardiaque. Mes gestes sont précis, automatiques. Des années de formation médicale prennent le relais.

-Allez, mon grand, je murmure entre deux insufflations.

-Respire pour papa. S'il te plaît, respire.

Les secondes s'égrènent, interminables. Autour de nous, le silence est assourdissant.

Puis, soudain, un son. Faible. Un toussotement.

Thomas ouvre les yeux, crache de l'eau. Je le serre contre moi, pleurant de soulagement.

Mais quelque chose ne va pas. Son corps est trop froid, trop mou dans mes bras.

-Thomas ? Ma voix tremble.

-Thomas, regarde-moi.

Ses yeux, d'habitude si vifs, sont vitreux. Distants.

-Non,je gémis.
Non, non, non. Reste avec moi, mon ange. Reste avec papa.

Mais je sais. Au plus profond de moi, je sais.

Les sirènes des ambulances retentissent au loin. Trop tard. Beaucoup trop tard.

Je serre le corps de mon fils contre ma poitrine, berçant doucement celui qui, il y a encore une heure, riait aux éclats sur la balançoire du parc.

-Je suis désolé, je sanglote. Je suis tellement désolé.

Le monde autour de moi s'effondre. Et je sais que rien ne sera plus jamais pareil.