La maison du coin

8. Le talisman

Quelques jours après Noël, Violette déambulait dans la maison détendue. Elle adorait s'occuper des plantes, et c'est ce qu'elle faisait pour occuper son temps libre. Le bruit de l'eau qu'elle versait délicatement sur les feuilles l'apaisait, presque autant que le contact du terreau frais sous ses doigts.

Percy l'observait à distance, assis dans un fauteuil près de la fenêtre. Ses pensées, cependant, étaient loin de la tranquillité de ce moment. Depuis la révélation d'Anne-Lise, il se sentait en proie à une responsabilité nouvelle et écrasante. Il savait que Violette était la clé, mais la voir ainsi, absorbée dans ses tâches quotidiennes, le rendait encore plus anxieux. Comment pourrait-il réveiller cette lueur en elle ? Il le devait, non seulement pour elle, mais surtout pour Anne-Lise, qui semblait, d'une manière qu'il n'expliquait pas encore, coincée entre les deux mondes.

Cette idée le hantait. Chaque nuit, il rêvait du regard absent d'Anne-Lise, flottant dans un voile brumeux, incapable de rejoindre pleinement ni la vie ni la mort. Il la voyait tendre la main vers Violette, son murmure à peine audible : "Elle est l'élue, Percy... aide-la."

Il se sentait presque lui-même concerné par le poids du passé qui régnait entre ces murs. Il avait entendu les voix, les chuchotements, il avait ressenti les brises autour de son corps. C'était devenu son quotidien, et il se surprenait parfois à attendre qu'un tel phénomène se produise.Isabelle et Percy avaient discuté des jours auparavant d'un plan qui pourrait secouer Violette. C'était un tantinet violent, mais ils se disaient que c'était ce qui marcherait le mieux.

"Elle ne se réveillera pas d'elle-même," avait-elle dit, le visage inquiet. "Je connais Violette depuis son plus jeune âge, et elle a toujours été effrayée par l'inconnu. Mais maintenant, elle n'a plus le choix... Tout cela ressemble fortement à une prophétie, et il n'est jamais bon pour une sorcière de fuir ses dons. Il lui faut un choc. Quelque chose qui la mettra au pied du mur."

Percy avait hésité. La simple idée de bousculer Violette lui semblait presque cruelle. Mais Isabelle avait raison. Chaque jour où Violette repoussait sa destinée, la situation devenait plus grave. Anne-Lise restait piégée, les secrets de Margot restaient enfouis, et la maison accueillait de plus en plus d'esprits en colère, comme si tout cela alimentait une tempête prête à éclater.

"Un choc... Mais de quelle nature ?" avait demandé Percy, le regard fixé sur les flammes.

Isabelle avait pris un moment avant de répondre, comme si elle cherchait les mots justes.

"Je pense que nous devons la confronter directement à la magie. Elle essaie de l'éviter, de la repousser. Mais si nous l'exposons à une manifestation assez puissante, elle ne pourra plus nier ce qui l'attend. Ce ne sera plus une simple théorie ou un rêve lointain."

Percy s'était redressé dans son fauteuil, les sourcils froncés. "Et comment comptes-tu faire cela ?"

Un sourire s'était dessiné sur les lèvres d'Isabelle. "Je suis une sorcière, Percy, et j'ai connu Margot. Je n'étais pas assez puissante de son vivant, mais j'ai gagné en assurance, j'ai appris à contrôler mes émotions et à canaliser mon énergie magique. Je pense être la personne idéale pour montrer à Violette qu'elle doit accepter son sort."

Percy avait acquiescé, même si une part de lui redoutait encore ce qu'ils s'apprêtaient à faire.

"C'est le seul moyen." murmura-t-il pour lui-même, déterminé.

Ce matin-là, Violette s'était réveillée comme chaque jour depuis des semaines, paisible, ignorant les préparatifs qui se faisaient autour d'elle. Isabelle, dans une pièce voisine, se préparait pour le rituel, veillant à ce que chaque détail soit en place. Ce rituel, ancien et puissant, n'était pas à prendre à la légère. Il marquerait le début de l'éveil de Violette, en déverrouillant la magie scellée en elle par Margot.

Violette descendit finalement, attirée par l'atmosphère étrange qui imprégnait la maison. Elle sentit immédiatement que quelque chose était différent. Le silence, plus lourd que d'habitude, la poussa à chercher Percy. Il l'attendait près de la porte de la salle où Isabelle était prête.

"Que se passe-t-il, Percy ?" demanda-t-elle, intriguée.

Il ne répondit pas immédiatement. Il la prit par la main et l'entraîna vers la salle. Lorsqu'ils entrèrent, Violette fut frappée par la scène qui se déroulait devant elle : des bougies formaient un cercle parfait autour d'Isabelle, et l'air semblait vibrer sous l'effet d'une énergie invisible mais palpable. La sorcière murmura des incantations sous sa respiration, et chaque mot résonnait dans l'espace restreint comme un écho.

"Isabelle ? Qu'est-ce que tu fais ?"

Isabelle se redressa, les yeux brillant d'une étrange lueur.

"Je fais ce que je dois faire pour que tu acceptes enfin ce que tu es. Il est temps, Violette."

Violette recula, effrayée.

"Est-ce que tu veux que je devienne comme ma mère ?" fit-elle d'une voix effacée.

"Tu ne seras jamais comme elle." La voix d'Isabelle était douce mais ferme. "Ma douce Violette...Il est temps que tu rencontres ton destin."

Percy s'avança, posant doucement une main rassurante sur l'épaule de Violette.

"Nous ne te ferons pas de mal, Violette. Tu dois juste faire face à la vérité. Isabelle va t'aider."

Violette, le souffle court, sentait son cœur battre à tout rompre. La tension dans la pièce était palpable, et elle ne savait plus à quoi se raccrocher. Mais elle vit la détermination dans les yeux d'Isabelle, la confiance silencieuse de Percy, et elle comprit que ce moment était inévitable.

Elle fit un pas en avant, puis un autre, et entra dans le cercle. Isabelle lui tendit les mains, et Violette les prit avec hésitation. Le contact fut comme un choc électrique : une vague de chaleur l'envahit, des souvenirs et des sensations oubliées remontèrent à la surface. Des images de sa mère, Margot, dansant dans sa tête. Des images d'Anne-Lise. De toute sa famille.

Les paroles d'Isabelle devinrent plus fortes, plus intenses, et Violette sentit quelque chose s'ouvrir en elle, une porte longtemps fermée. Les énergies qui tourbillonnaient autour d'elles se cristallisèrent, et Violette comprit, enfin, qu'elle ne pourrait plus se cacher.

Isabelle s'avança prudemment vers Violette, sa protégée, celle qu'elle avait élevée et aimée comme sa propre fille. Elle lui tendit un talisman, symbole du lien qui les unissait désormais. Ce talisman appartenait à Isabelle depuis son propre rite de passage, qu'elle avait traversé à l'âge de dix-sept ans. À l'époque d'Isabelle, les sorcières pratiquaient ces rites pour initier les jeunes femmes au coven. Une fois le rituel accompli, elles faisaient partie du cercle à jamais, ou du moins jusqu'à ce qu'elles choisissent de s'envoler vers d'autres horizons. À présent, Isabelle était devenue la marraine de Violette, comme Astrid avait été la marraine d'Isabelle.

Violette était prête, même si elle ne l'avait jamais voulu. Après tant d'années, elle était enfin libérée. L'élue.