Entre nos mains

Chapitre Dix - Un Nouveau Royaume.

    Le tarmac de l’aéroport, désert et incandescent sous un soleil impitoyable, les accueillit comme une terre étrangère, hostile et fascinante à la fois. L’air brûlant, chargé d’une fine poussière ocre, s’engouffra autour d’eux dès qu’ils franchirent la porte vitrée. Il s’infiltra dans leurs poumons, lourd et sec, un choc brutal après la fraîcheur aseptisée des couloirs climatisés. La chaleur ne se contentait pas d’assaillir leur peau ; elle semblait s’infiltrer dans leur chair, s’insinuer dans leurs os, les alourdissant sous le poids invisible de l’adaptation à venir. 

Devant eux s’étalait un paysage en contraste permanent, un étrange mélange de modernité et d’authenticité brute. Les bâtiments de l’aéroport, aux lignes épurées et futuristes, se dissipaient rapidement derrière eux, cédant la place à un horizon fait de dunes mouvantes et de routes poussiéreuses, où chaque détail semblait imprégné d’une réalité radicalement différente. Le ciel, d’un bleu si pur qu’il paraissait irréel, s’étendait sans interruption, éclatant sous la lumière crue. Ce bleu dévorant, écrasant, formait un contraste saisissant avec les souvenirs de Maëlle : celui des nuages bas et épais de Paris, qui semblaient presque protecteurs comparés à cette immensité indifférente. Ici, le ciel semblait vouloir tout avaler, le regard, l’esprit, les certitudes. 

Une file de voitures noires les attendait à quelques mètres. Les véhicules, impeccables, brillaient comme des miroirs sous le soleil. Leurs vitres teintées renvoyaient des éclats aveuglants, créant un jeu de reflets presque irréel avec le décor de sable et de roche qui les entourait. Ces machines élégantes et imposantes semblaient déplacées, comme des ombres mouvantes arrachées à un monde urbain et parachutées ici, au milieu de cette aridité intemporelle. 

Un chauffeur s’avança, vêtu d’une tenue traditionnelle immaculée. Avec un geste précis et mesuré, il ouvrit la portière d’un 4x4 aux lignes puissantes, un cocon de luxe destiné à les transporter dans cet univers écrasant. Ce simple geste, empreint de respect cérémonial, troubla Maëlle. Elle détourna légèrement le regard, mal à l’aise. 

Elle savait ce qui l’attendait. Très bientôt, on la présenterait comme une princesse. Cette idée la faisait frissonner, mais pas de plaisir. Elle n’était pas faite pour ce rôle, elle le savait au fond d’elle. Depuis toujours, elle s’était sentie plus proche du sol que des sommets, plus à l’aise dans la simplicité que dans la grandeur. Être considérée comme supérieure lui semblait absurde, presque une imposture. Elle-même avait toujours eu du mal à croire en sa propre valeur. Alors, jouer ce rôle, sous ces cieux impitoyables, entourée d’étrangers et de protocoles, relevait d’un défi qu’elle n’était pas certaine de pouvoir relever. 

La chaleur semblait peser un peu plus lourd sur ses épaules, comme pour lui rappeler que cette terre ne tolérerait aucune faiblesse. 

Victor, fidèle à lui-même, laissa sa jeune cousine entrer la première dans la voiture, ses gestes précis et mesurés, comme s’il portait le poids du monde sur ses épaules. Chaque pas semblait calculé, dicté par cette responsabilité silencieuse qu’il refusait de partager. Maëlle avançait d’un pas plus hésitant, ses pensées encore happées par les derniers instants dans son pays natal. Les adieux lui revenaient en échos douloureux : des voix tremblantes, des étreintes qui se prolongeaient comme pour retenir le temps, et ces regards empreints de promesses qu’elle savait difficiles à tenir. 

Ely et Summer, ses deux chiens, avaient été soigneusement installés sur leurs coussins à l’arrière. Pour Maëlle, leur confort était non négociable. Ces animaux représentaient un ancrage dans l’incertitude, et leur offrir un espace sécurisé était son moyen de maintenir un semblant d’ordre dans ce chaos qu’ils s’apprêtaient à affronter. Elle caressa distraitement la tête d’Ely avant de prendre place, ses doigts trouvant refuge dans la douceur rassurante de son pelage.