Chapitre Trois - Les Révélations de L'aube.

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La nuit s'était abattue sur la ferme comme un manteau de plomb, étouffant les contours familiers et noyant le paysage dans une obscurité presque palpable. Le ciel, pourtant piqueté d'étoiles, semblait creux, privé de sa capacité à inspirer la sérénité. Chaque constellation brillait comme une promesse avortée, une lueur incapable de percer l'épaisseur du vide laissé par les hommes en noir. Leur départ n'avait rien apaisé. Au contraire, il avait aggravé le silence, le rendant plus lourd, presque oppressant, comme un écho sans fin des menaces qu'ils avaient proférées.

Les paroles qu'ils avaient lâchées flottaient encore dans l'air, acides et persistantes, s'infiltrant dans les murs, dans les cœurs, dans les esprits. On aurait dit qu'elles refusaient de s'éteindre, oscillant entre le réel et le cauchemar, comme si elles attendaient de s'enraciner.

Maëlle avait cherché refuge dans sa chambre, espérant fuir cette pesanteur étouffante. Elle avait refermé la porte derrière elle d'un geste fébrile, mais au lieu de repousser l'angoisse, elle l'avait emprisonnée avec elle. La pièce familière, ce cocon qui l'avait toujours protégée des tumultes extérieurs, semblait transformée, altérée par une présence invisible.

L'air était lourd, presque irrespirable. Chaque inspiration s'accompagnait d'un effort douloureux, comme si ses poumons refusaient de fonctionner correctement. Les murs, qu'elle connaissait par cœur, paraissaient se resserrer autour d'elle, distordant l'espace en une prison qu'elle ne reconnaissait plus.

Elle posa son regard sur les objets qui l'entouraient : une lampe, son bureau, un cadre photo posé de travers. Tout semblait déplacé, vidé de sens. Même son lit, refuge ultime, paraissait étranger. Elle s'assit au bord du matelas, les mains tremblantes, ses doigts agrippant machinalement le tissu rêche de la couverture. Le silence, encore une fois, se révéla plus insupportable que le bruit.

Elle ouvrit la fenêtre en grand, laissant entrer l'air frais de la nuit. Le vent s'engouffra aussitôt, faisant onduler les rideaux comme des spectres réveillés. Dehors, les arbres dansaient doucement, leurs feuillages murmurant un chant ancien, chargé de mystères et de non-dits. Habituellement, ces sons, si familiers, portaient une paix apaisante, un écho de la permanence de la nature. Mais pas ce soir. Ce soir, même la campagne semblait différente, comme altérée par l'ombre de cette révélation.

Les ombres, d'ordinaire accueillantes dans leur simplicité, paraissaient maintenant se creuser, devenir des abîmes insondables. Chaque bruissement, chaque craquement dans l'obscurité, résonnait comme un avertissement. Le cri d'une chouette perça soudain la nuit, strident et aigu, et Maëlle frissonna. Son regard glissa vers l'horizon, où les champs s'étendaient à perte de vue, une mer sombre et infinie prête à l'engloutir. Ce qui avait toujours été un refuge lui semblait à présent un piège, une immensité oppressante.

Elle porta une main tremblante à ses cheveux, cherchant désespérément une ancre, un point fixe dans ce tumulte intérieur. Mais il n'y avait rien. Rien d'autre que cette question qui lui rongeait l'esprit depuis l'instant où les hommes en noir avaient franchi le seuil de leur maison : Qui est cet homme ?

Elle recula, s'adossa au mur, croisant les bras sur sa poitrine comme pour se protéger d'une menace invisible. Comment une famille comme la leur, enracinée dans cette terre depuis des générations, pouvait-elle être liée à quelqu'un d'aussi important, d'aussi mystérieux ? Le simple fait d'y penser la poussait au bord du rire - un rire nerveux, maladroit, qu'elle étouffa à grand-peine. C'était absurde. Complètement absurde. Et pourtant...

Elle repensa à son grand-père, Samuel. Cet homme solide, marqué par les années et les saisons, avait montré quelque chose ce soir-là qu'elle ne lui connaissait pas. Une inquiétude latente, subtile mais réelle, qui avait creusé des lignes plus profondes autour de ses yeux. Après le départ des hommes, il n'avait rien dit. Pas un mot. Lui qui, d'ordinaire, avait toujours une anecdote ou une réflexion à partager, était resté figé, comme pétrifié dans un silence opaque. Ce mutisme inhabituel l'avait fait paraître étranger, perdu dans des pensées qu'il refusait de partager. C'était comme si ces visiteurs avaient rouvert une porte scellée, un pan de son passé qu'il avait tenté d'oublier.

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