Chapitre Deux - L'Annonciateur d'Ombres.

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L'aube étendait lentement son voile sur la ferme, une lumière dorée se glissant entre les ombres longues des collines et s'épanchant sur les champs de blé, agités par une brise tiède. Les épis dansaient comme une mer d'or vivant, leurs reflets ondulants donnant l'illusion d'un monde en paix. D'ordinaire, cette vue apaisait Maëlle, l'enveloppant d'un calme profond, un réconfort brut et ancien, celui qu'offrent seulement la terre et ses cycles immuables.

Mais ce matin, ce calme lui échappait. Une tension sourde flottait dans l'air, lourde et impalpable, comme un murmure à la limite de l'audible. Le silence de la campagne, d'ordinaire si accueillant, semblait peser sur elle, chargé d'un malaise qu'elle ne parvenait pas à nommer.

Un grondement lointain déchira cette torpeur étrange. D'abord indistinct, il se fit plus clair, insistant. Maëlle se figea, son regard se portant instinctivement vers l'horizon. Une main se posa sur la barrière à ses côtés, le métal froid mordant sa paume et l'ancrant à cette réalité. Un moteur. Une voiture. Une présence étrangère dans leur sanctuaire rural.

Son cœur, jusqu'alors régulier, s'emballa, chaque battement résonnant dans sa poitrine comme un écho au grondement mécanique qui se rapprochait. Elle scruta la ligne des arbres qui bordaient la route, mais ne vit rien. Pas encore. Pourtant, l'air lui semblait vibrer, porteur de quelque chose d'invisible mais inexorable.

D'un coup d'œil rapide, elle chercha la maison. Le toit, encore dans l'ombre, semblait si loin, presque inaccessible. Le malaise se mua en urgence. Elle se mit à courir, ses bottes frappant le gravier avec un bruit sourd et répétitif, comme un tambour dans l'immensité silencieuse. Le vent s'engouffra dans ses cheveux, soulevant les pans de sa robe, qui flottaient derrière elle comme un étendard improvisé. Elle n'osait pas se retourner, ne voulait pas confirmer ce qu'elle pressentait.

Le grondement s'amplifia encore, enveloppant la vallée d'un bourdonnement sourd, annonciateur d'une intrusion.

Elle entra dans la maison à la hâte, retirant ses bottes d'un geste précipité. Ses chaussettes épaisses glissèrent légèrement sur le carrelage froid en pierre, mais elle ne ralentit pas. Elle se rua dans le salon, son souffle court, et posa une main douce mais tremblante sur le torse de son cousin, encore endormi sur le canapé.

- Vic, murmura-t-elle, la voix teintée d'urgence. Quelque chose... quelque chose cloche.

Il ouvrit les yeux d'un coup, son instinct aiguisé par des années passées dans des zones de conflit. Le réveil en sursaut n'avait plus rien d'étrange pour lui. D'un bond, il fut sur ses pieds, ses sens déjà en alerte. Maëlle lui désigna la fenêtre d'un mouvement du menton, incapable de formuler clairement ce qu'elle ressentait.

Il s'approcha, posa ses mains sur le rebord glacé en pierre, et scruta l'extérieur. Ses yeux, habitués à déceler le moindre détail anormal, se plissèrent. Là, dans la lumière trouble du matin, il comprit.

- Va réveiller les autres, dit-il calmement, bien que sa mâchoire serrée trahisse une tension intérieure.

En moins d'une minute, ils furent tous rassemblés et se rendirent jusqu'à la maison attenante, où ils trouvèrent leurs grands-parents près de la fenêtre de la cuisine. Victoria, leur grand-mère, avait encore les mains pleines de farine, qu'elle essuyait nerveusement sur son tablier, tandis que Samuel, leur grand-père, se frottait la moustache d'un geste machinal, presque compulsif.

À travers les rideaux à demi tirés, ils observaient la voiture qui avançait lentement sur l'allée de gravier, ses phares encore allumés malgré la lumière de l'aube. Le crissement des pneus sur la rocaille semblait plus fort, presque assourdissant dans le silence pesant de la pièce.

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