J'ai accès aux souvenirs de tout le monde, mais personne n'a accès aux miens. En même temps, les miens sont hideux. Si abominables que les autres ne supporteraient pas de les entrevoir. C'est mon rôle, de toute manière. Je dois l'assumer.
Je verrouille la porte derrière moi, et respire un grand coup. Aujourd'hui, je suis sortie en rapprochant le corps de mon apparence, c'est-à-dire que j'ai deux tresses dans le dos, de l'eye-liner, du khôl et un léger brun sur les lèvres. J'ai même ajouté du vernis noir, enfilé un haut semblable à un joli corset violet, ainsi qu'une jupe courte et des collants, en complétant le tout par des Doc Martins que j'adore.
Peut-être que les autres m'en voudront et que j'aurai l'air bizarre au lycée, mais c'est qui je suis. J'ai bien le droit de me sentir moi au moins pendant une heure. J'espère simplement que personne ne me volera le contrôle car si quelqu'un le faisait, il se sentirait sûrement très embarrassé par ma tenue. Cela dit, peut-être moins que dans celle de Victoria de la dernière fois.
J'avance, mes écouteurs filaires vissés aux oreilles. Au-delà du style, j'ai toujours préféré les écouteurs filaires aux écouteurs sans fil. Ils sont plus fiables, ils n'ont pas à être rechargés, et j'aime qu'ils soient liés à mon portable, qu'il n'y ait pas le risque qu'ils ne tombent et que je ne les perde.
Lorsque j'arrive devant le lycée, je présente ma carte en ignorant les regards que j'attire. Je ne me retourne vers personne, mais je les sens, transperçant ma chair. Décidant de me concentrer sur ma musique, j'entre dans le hall et m'arrête un instant pour prendre le temps de réfléchir au numéro de salle. Je suis arrivée en avance, la première sonnerie n'a pas encore retenti.
D'un coup, alors que mes doigts défilent sur mon écran pour voir les noms des salles, l'air se rafraîchit. Ou se réchauffe ? Ma peau me pique, et ma tête se dirige automatiquement vers le haut du hall, là où le grand escalier mène au premier étage. Monsieur Drahel s'y trouve, mais il ne bouge pas, ne semble pas déterminé à descendre. Pas tout de suite, du moins. Son regard me perce, malgré toute la bienveillance et l'inquiétude que j'y lis.
J'hésite un moment à imiter les autres et à lui sourire, mais mes réactions naturelles l'emportent car avant même que je ne puisse penser, je tourne les talons en direction de ma salle. C'est dans les ressentis. Je ressens la tension de Victoria qui déteint sur moi quand je pense à ce professeur. Je comprendrai qu'elle ne l'apprécie pas, vu qu'elle rejette tous ceux qui tentent de trop près.
Ambre est devant moi, plus haut dans les petits escaliers. Je me rappelle dans un flash la dernière conversation qu'on a eue avec elle, lorsque Victoria était au front. M'en souvenir me peine. Ambre est une bonne personne, nous ne la méritons pas. Sur un coup de tête, j'enjambe quelques marches pour la rejoindre.
- Hey.
Elle se tourne brusquement vers moi, surprise.
- Oh... Euh... Salut. » dit-elle, mal à l'aise.
Je lui souris, puis sens une présence dans mon dos que je décide d'ignorer.
- Comment tu vas ?
En sentant son malaise croître, je change de discours.
- Écoute, je suis désolée pour la dernière fois. Je ne contrôlais plus rien, je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Tu es une personne en or, j'en suis sûre... Je tiens à me faire pardonner.
Ambre esquisse un sourire, et j'ai l'impression que quelque chose se dénoue en elle, comme si toute son angoisse se relâchait. Je culpabilise réellement, bien que je n'y ai été pour rien.
- Ce n'est pas grave... On ne se connaît pas beaucoup, c'est vrai.
- On apprendra à se connaître. » répliquai-je du tac au tac.En arrivant en haut des escaliers, je vois d'abord Lastelle en face, puis j'ai la confirmation que la présence dans mon dos était celle de Monsieur Drahel car je l'entends répondre à une élève qui bourdonne à propos d'un contrôle.
- C'est quoi cette tenue ? » lâche Lastelle en me dévisageant, marmonnant à l'oreille de Mariam qui se tient à ses côtés.
Quand je croise le regard de Mariam, j'éprouve à nouveau ce que Victoria éprouve. Je me sens tout à coup gênée et j'ai des picotements. En même temps, il faut bien avouer que Victoria a raison. Mariam est splendide. J'adorerai avoir ses longs cheveux noirs aux ondulations déployées jusqu'au-dessus des hanches, rien qu'un instant.
- Il n'y a rien de choquant. » répond-elle simplement sans me regarder pour autant.
Lastelle lève les yeux au ciel puis change de sujet, mais Mariam n'a pas l'air de l'écouter. Elle semble plutôt dans son monde, comme si elle n'appartenait pas à la même réalité que Lastelle. D'un autre côté, nous non plus, nous ne nous sentons pas sur la même longueur d'onde que cette peste. En terminale, il n'est plus possible d'être aussi immature.
Les élèves qui composent notre classe commencent à entrer, suivant les ordres de l'enseignante. Je jette un coup d'œil à Monsieur Drahel, qui me regardait déjà. Je crois qu'il veut nous dire quelque chose, mais j'ignore si c'est important. Alors j'attends, les bras dans le dos. La sonnerie retentit.
- Oui, Ella, c'est comme ça. Tu ne peux pas avoir plus d'informations que le reste de ta classe, ce serait injuste. À présent, regagne ton cours avant d'être notée absente.
La dénommée Ella grogne un peu, voit que ça ne fonctionne pas, se tourne vers moi et, prenant conscience qu'elle n'est pas le centre d'attention, s'éloigne en jurant. Le professeur réajuste ses lunettes.
- Ellis. » dit-il simplement en s'avançant.
Je hoche la tête en guise de salutation respectueuse, puis, voyant qu'il n'y a pas de suite imminente, je me dirige vers ma classe. Monsieur Drahel tente de me rattraper, or il finit par se raviser. Il vaut mieux ; son comportement finirait par être suspect.
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Originalement écrit les 7-9 novembre 2024.
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Alice's & le TDI [HISTOIRE]
Teen FictionAlice est une jeune fille qui change d'établissement tous les ans. Timide et polie, elle s'attire pourtant quotidiennement des milliers de problèmes contre sa volonté, contre le contrôle même de son corps. Car elle dissimule un TDI... Début : 11.09...