Chapitre 21

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Orion


Abandonnant le corps de Neith, ma main caressa une dernière fois sa joue aussi doucement que je le peux. Tremblant, je regarde Traya, plein de larmes bloquées que je ne veux pas laisser exploser une seconde fois. Enfin, je me lève pendant que la Pixie recouvre Neith avec le plaid, utilisé juste avant pour tenter d'arrêter son saignement abondant. Mais désormais, tout a déjà coulé. Son corps doit maintenant être vidé de son sang, et de son âme.

Préférant ne pas encore éclater en sanglots, je me contiens et regarde le désastre qui a été commis. De nombreux soldats échoués au sol sont dans le même état que la Tiefling désormais morte. Le sang pénètre dans la terre, tâchant l'herbe et les marguerites. Soudain, la nature tout autour de Neith se met à faner, dépérir, voire moisir, et aussi vite que ça s'est passé, la végétation se met cette fois-ci à revenir dans un état normal, et même plus éclatant et vivant qu'avant. Sous mes pieds, des fleurs jaillissent. Des lotus cette fois-ci. Symbole de la vie après la mort. Est-ce que les anémones violettes et ces lotus ont un lien avec Neith ? Est-ce toujours comme ça que se passe la mort d'une personne ?

Traya, elle, regarde le sol, les yeux grands ouverts, émerveillée par la naissance soudaine de tant de fleurs. Mais plus on contemple le désastre et la beauté du paysage, plus le soleil se met à se coucher. Et plus le temps passe, plus Neith me manque. Après ces cinq bonnes minutes de silence, mon ventre crie famine. Mais pas aussi fort que celui de ma défunte camarade.

Je laisse alors couler quelques larmes que j'essuie rapidement avec ma manche et pars à la conquête de mon sac à dos. Slalomant entre quelques corps, aucune tristesse à leur égard ne se pointe, puis, trouvant enfin le sac, je dégotte de la viande séchée que j'avais amenée à l'intention de Neith. Même si c'était hier que nous nous sommes rencontrés, j'ai déjà l'impression de la connaître par cœur et de l'aimer plus que tout. Cette viande, elle l'avait adorée lors du buffet des nouveaux, à l'Académie. L'Académie... Elle aurait dû y rester. Et puis, c'est moi qui lui ai dit d'y aller. C'est de ma faute si elle est morte. C'est de ma faute si elle est morte. C'est de ma faute si elle...Quelqu'un crie.

Revenant quelque peu à moi, j'observe les alentours à la recherche du bruit et vois Traya haut dans le ciel avec de nombreux arbres et rochers en lévitation. C'est moi qui ai fait ça ? Je me rappelle alors le chantier que j'ai fait durant l'attaque. Pris de rage et de désespoir, j'avais laissé ma magie devenir incontrôlable et prendre le dessus sur ma conscience. Même si je n'ai pas de peine pour ces hommes, ça n'empêche pas que j'ai tué. Tué. Avec mes pouvoirs. Sans m'en rendre compte. Qui je deviens...? Mince ! Traya !

Je la fais redescendre doucement, et c'est seulement à ce moment-là que je sens ma magie autour de moi, en plus de parcourir mes veines. Lors de l'affrontement, c'est à peine si je me serais senti capable de les tuer alors faire tout ça aussi rapidement. Et en classe. Pourquoi mes pouvoirs me font ça ?

Celle-ci revient sur les pointes de pieds, pour ensuite s'élancer sur moi en me prenant le col de mon pull.


— Écoute-moi bien Orion ! Je ne te le dirai qu'une fois, commence-t-elle en chuchotant mais d'un ton si menaçant que ça me fait frissonner. Neith est morte, mais ça veut pas dire que tu dois tuer tout le monde sur ton chemin ! Y compris moi !


Ne sachant que répondre, je hoche la tête. Je pars ensuite mettre le sac sur mes épaules et reviens près de Traya qui en avait fait de même. "On fouille les soldats. Argent, infos, nourriture. Prends tout ce qui peut servir, rapidement et sans bruit, quelqu'un finira bien par arriver et voir tout ça." me dit-elle dans mon esprit, partant en quête de nouvelles trouvailles. Sans vouloir attirer ses nerfs contre moi, encore une fois, je fais ce qu'elle dit et tente de fouiller les hommes. Mais c'est difficile quand la moitié sont sous des arbres aux gros troncs ou sous des pierres énormes. Néanmoins, j'arrive à trouver quelques vivres, des outils tels que des épées, des couteaux et même une boussole et enfin, un papier. Curieux, je l'ouvre pour y lire les instructions à l'intérieur.

"Bois de biches, cheveux bouclés, yeux bleus.

Tue-la ainsi que ses coéquipiers.

Répond au nom de Neith Elmswood."

"Tue-la" ? Mais pourquoi faire ? Elle n'a rien fait qui pourrait nuire aux autres non ? Certes je ne la connaissais pas depuis longtemps mais enfin, elle ? Non. Jamais elle n'aurait fait quelque chose de déplaisant aux Hauts-Rangs. Je le savais de tout mon cœur, Neith était pure et gentille. Même si avec Traya on s'apprêtait à faire quelque chose de dangereux, je sais lire dans les yeux et les pupilles de Neith ne cachaient pas de malveillance ou de secrets, hormis ceux de sa magie.

Cette feuille, je la plie et la range dans la poche de mon pantalon et vais ensuite chercher le sac de Neith quelque peu trempé dans la mare de sang. Je l'ouvre et y découvre de la nourriture. Beaucoup de nourriture. Un faible sourire se dessine sur mes lèvres mais vite dissipé quand je trouve des livres de prophétie. "Comment comprendre une prophétie", ou encore "Comment recevoir une prophétie". Avec tout ça, un bout de papier mal fabriqué. Papier mâché ça n'en fait aucun doute vu la feuille rugueuse et dure. J'ouvre et y découvre la prophétie de Neith inscrite dessus par une écriture presque indéchiffrable. Celui-ci aussi, je le range dans ma poche.

Après avoir fait le tour de toutes les personnes mortes, je m'assois un peu et repose mes muscles alors que la nuit pointe son bout du nez. La Pixie me rejoint aussi et me tend des céréales que je dévore à peine après les avoir prises. Mâchant rapidement, je remplis mon ventre vide. Mais pas aussi vide que mon cœur. Une fois le "repas" fini, je me dirige sans mot au corps de la Tiefling, et y dépose les plus belles fleurs que j'ai pu trouver sur le plaid. Difficile d'ailleurs d'en trouver tant elles sont toutes sublimes. Enfin, nous partons de ce champ de bataille. Marchant en silence, nous avions certes croisé quelques habitants du village mais aucun ne nous avait adressé la parole. Je crois même que nous avions vu la mère de Neith. Avec de grandes cornes de biches et la tête similaire à notre camarade, j'en mettrais ma main à couper. Bien sûr, sans Neith, le chemin va devenir bien plus long, sans son pouvoir. C'est de ma faute si elle est morte.

Et pendant ce voyage interminable, silencieux, froid, je me répète cette phrase encore et encore. Cette phrase qui me rappellera qui je suis. Un tueur. Et celui qui a engendré la mort de Neith.

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