Aliénée

Prologue

Prologue

— Bonjour Hava. Comment vas-tu depuis notre dernier rendez-vous ?

— Bonjour Docteur Withman. Ça peut aller...

— Tu as fait ta rentrée à Columbia si je ne me trompe ? Alors, comment s'est passée cette première semaine ?

Pour la première fois depuis mon arrivée, j'instaure le contact visuelle avec ma psychiatre. Furtivement, car je ne m'attarde jamais dans le regard des gens. Le mien me pèse déjà bien assez. Voir des paires d'yeux m'observer m'angoisse profondément, je n'arrive jamais bien à les déchiffrer, et leur insistance me met mal à l'aise. Celui du Docteur Olivia ne me dérange plus tellement. J'y suis habituée depuis mes cinq ans, mais quand bien même il fait partie de mon quotidien, je ne l'affronte pas pour autant.

Je prends quelques instants pour réfléchir à sa question. Il y a tellement à dire, tellement à répondre... Bien trop d'informations que je dois traiter et trier d'un seul coup. Par où commencer ? Dois-je parler de mon déménagement sur le campus ? De ma séparation avec mon père ? De mes cours ? D'eux ?

Face à la complexité de la situation qui m'oppresse soudain, je choisis d'aller au plus simple en répondant par des banalités. Olivia me connaît mieux que personne, elle saura déchiffrer mes pensées.

— Ça aurait pu être pire.

— Est-ce que ça aurait pu être mieux ? rebondit-elle.

— Oui.

— Pourquoi ? Qu'est-ce qui aurait pu se passer différemment ?

— Je...

Et voilà que toutes mes pensées rejaillissent de plus belle. Un déferlement d'informations dans ma tête qui augmente considérablement mon rythme cardiaque. Pour essayer de me concentrer et de remettre un peu d'ordre dans cette pagaille, je me mets à jouer nerveusement avec la bague qui orne mon majeure gauche. Je ne me focalise plus que sur ça, ma jambe tressaute sur le plancher. Je ne dis rien, mais mon corps parle à ma place, et Olivia le voit.

— Si tu ne sais pas par où commencer, parle-moi de ton déménagement. Quitter la maison dans laquelle on a grandi, ce n'est jamais facile Hava, surtout pour toi j'imagine.

Et pouf, voilà que d'un seul coup, toutes mes pensées se focalisent uniquement sur mon déménagement. J'en oublie le reste, ce qui m'aide à me calmer et à savoir par où commencer. Alors je me mets à repenser à ce fameux moment afin de trouver quoi lui répondre. Il y a bien trop à dire, rien qu'avec ça...

*****

J'ai bouclé mon dernier carton la veille de mon départ. Mon père a préparé la soirée parfaite afin qu'on profite ensemble de nos derniers moments tous les deux. Au programme, une plâtrée de lasagnes, sa spécialité et accessoirement mon plat préféré, une tarte aux pommes en guise de dessert à savourer devant Friends, qu'on a probablement déjà regardé des dizaines de fois.

Je n'avais pas vraiment ce sentiment, celui que ce soir, allait probablement être le dernier que je passerai avec lui et Oslo. Pour moi, c'était un soir comme les précédents, jusqu'à ce que je regagne ma chambre pour aller me coucher. Voir tous ces cartons empilés les uns sur les autres m'a empêché de fermer l'œil de la nuit. C'est dans cette insomnie que j'ai enfin réalisé que ma vie allait définitivement changer. Exceptionnellement, mon père a autorisé Oslo à dormir avec moi. La présence de mon chien a été un véritable réconfort dans toute cette angoisse qui me tenait en éveil, même si ce bon gros bouvier bernois prenait littéralement toute la place dans mon lit.