Always...

Chapitre 3

Angelina

Son ton est froid, distant, détaché. On pourrait croire qu'il vient de découvrir qu'il va devoir passer les prochaines années de sa vie avec une étrangère. Après tout, c'est peut-être ce à quoi est rabaissé notre relation désormais.

Des étrangers.

Je chasse la douleur aiguë que je ressens au cœur pour me concentrer sur le moment présent.

- Angie va reprendre ses études. Nous avons assez de place dans cette grande maison. Et puis, vous vous connaissez depuis que vous êtes tout petits, réplique Granny.

- Mais pourquoi ici ?

Cette fois, je perçois clairement la colère qui teinte chaque mot. La question est de savoir vers qui celle-ci est dirigée ? Granny ou moi ? À moins, que ce ne soit contre toutes les deux.

- Et pourquoi tu ne m'as rien dit ?

- Parce que je ne vois pas en quoi c'est un problème, Tyler. Angie va rester avec nous, que tu sois content ou pas.

J'aimerais dire quelque chose, mais je n'y parviens pas. Il ne veut pas de moi ici. Quelque part, je comprends son mécontentement. Granny aurait dû l'en informer. Je l'ai même incité à le faire.

Granny n'est pas ma grand-mère biologique. Elle est celle de Tyler et de Davina. Bien que Tyler et moi nous ne nous parlons plus, je suis restée amie avec sa demi-sœur, qui est deux ans plus jeune que moi. Encore plus depuis que je n'ai plus personne, si ce n'est ma famille de cœur et mes amis.

Quand j'ai considéré l'idée de revenir, Granny a immédiatement proposé - ou plutôt imposé - que je vienne m'installer chez eux. J'y ai longuement réfléchi avant de me laisser convaincre, justement parce que je craignais la réaction de Tyler. Visiblement, j'aurais mieux fait de tenir tête à Granny et de me trouver un autre logement.

Ou ne pas revenir.

- Dans quelle chambre ?

- À l'étage. À côté de la tienne.

Tyler me lance un regard noir. Si un regard pouvait tuer, je serais morte. Tyler tourne les talons quand Granny l'interpelle :

- Tyler ! S'il te plait, monte les affaires d'Angie à sa chambre.

- Non, ça ira, protesté-je en couinant, étant enfin capable d'émettre un son.

- Bien sûr que non. Tyler va le faire. Ces valises sont beaucoup trop lourdes pour toi toute seule, ma chérie. À quoi lui servent toutes ces heures de musculation, sinon ?

Elle ponctue sa remarque d'un clin d'œil dans le but de me faire sourire, sauf que ça ne fonctionne pas. Je suis bien trop inquiète au vu de la réaction de Tyler. J'ai conscience de m'incruster chez-lui, dans son quotidien sans avoir eu son autorisation. Qu'on le veuille ou non, on n'aime jamais causer un quelconque souci aux autres.

- Je...

Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, Tyler revient pour s'emparer de mes bagages qu'il monte à l'étage.

- Ne t'inquiète pas. Il s'en remettra, me réconforte Granny. Tu dois être fatiguée. Le dîner va bientôt être prêt. Pourquoi est-ce que tu n'irais pas te rafraîchir ?

Je force un sourire devant son enthousiasme et vais à ma chambre. Pas besoin de guide, je connais cette maison comme ma poche, notamment après des heures à jouer à cache-cache quand j'étais plus petite.

J'entre et percute quelqu'un. Je perds l'équilibre et manque de tomber quand une main ferme me rattrape à la taille, me ramenant vers l'avant. En ouvrant les yeux, je plonge dans les iris océan qui me scrutent avec une telle intensité, que j'en perds ma respiration.

La sensation de sa main sur moi est indescriptible. À quand remonte la dernière fois qu'il m'a touchée ? Je ne saurai dire tant ça fait longtemps. Des années, pour sûr. Il finit par la retirer, me montre mes valises du doigt puis se dirige vers la sortie.

- Merci.

Ma voix n'est qu'un murmure, cependant il s'immobilise. Je triture mes doigts mal à l'aise. Il était la personne la plus proche de mon cœur, or, aujourd'hui, nous ne sommes que des inconnus. J'ignore comment l'aborder ou encore lui faire comprendre que je ne veux en aucun cas lui causer problème. J'en profite donc pour ajouter :

- Je suis désolée. Je croyais que Granny t'en avait parlé et...

Je ne finis pas ma phrase, car je me retrouve brutalement plaquée contre le mur, les mains de Tyler tenant mes bras avec force. L'action s'est faite avec tant de rapidité que je n'ai rien vu venir. Mon cœur cogne comme fou, ma respiration s'emballe. Il est si près de moi que je peux sentir son parfum. Invictus. Le même qu'auparavant. 

Il se penche afin de planter ses prunelles dans les miennes.

- Ne me parle pas, ne me regarde pas, ne fourre pas ton nez dans mes affaires, reste loin de moi, compris ?

Surprise, je demeure figée. Je ressens toute la colère qu'il a pour moi, néanmoins je suis incapable d'en saisir la raison. Est-il autant mécontent de me revoir ? Ça le dérange autant de savoir que je vais partager le même toit que lui ? Me déteste-t-il tellement qu'il ne peut même pas supporter ma présence ?

- Compris ?

Cette fois, il me secoue légèrement, la voix menaçante, le regard dur. Je cherche dans celui-ci les réponses à mes questions, en vain. Tyler a toujours été bon pour cacher ses émotions. J'étais la seule à qui il s'autorisait à s'ouvrir, à être lui-même, à afficher sa vulnérabilité. Quand il s'est refermé, tout s'est terminé simultanément. Tel un mollusque qui s'est refermé pour protéger sa perle.

Quelle est sa perle à lui ?

Je ne le saurai jamais.

- Ou... oui, murmuré-je.

Il maintiens le contact visuel un moment avant de me lâcher et de partir. Debout, contre le mur, les larmes glissent le long de mes joues, mon cœur en souffrance.