Acte III, Scène I

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- Je t'avais bien dit que cette malle était trop lourde ! triompha une voix fluette.

- D'accord, d'accord, t'as raison, mais comment j'pouvais deviner qu'y avait quelqu'un dedans ?! grogna son interlocuteur avant de diriger brusquement sa bougie vers le visage du vampire à moitié endormi. Eh ! La sieste est finie !

Désorienté, ébloui par la clarté soudaine et assailli par les effluves insoutenables d'alcool qui émanait de l'homme le surplombant, Archibald mit de longs instants à se remémorer sa situation. Lorsque ses souvenirs ressurgirent enfin, il dut réprimer son envie brutale de s'enterrer dans la montagne de costume l'entourant, avec le fol espoir d'échapper aux deux regards rivés sur lui et à l'image crue qu'ils lui renvoyaient. Mais il savait bien que c'était impossible, qu'il n'y avait aucun moyen d'annuler sa tangibilité et toutes les conséquences douloureuses qu'elle entraînait. Il se composa alors le sourire le plus éclatant qu'il pouvait, dissimulant tant bien que mal son désarroi derrière le masque qu'il avait porté durant tant d'années, et prit la parole :

- Je suis terriblement navré et confus que vous me trouviez dans cette situation, s'exclama-t-il en plongeant ses yeux dans les iris dubitatifs du cinquantenaire qui le surplombait de toute sa stature, et j'espère que ma présence ici n'a été la source d'aucun désagrément !

L'homme grommela quelques syllabes inintelligible à l'adresse de sa partenaire avant de secouer la tête :

- Écoute, va falloir que tu sortes d'ici, d'accord. On a besoin de cette malle, nous !

- Oui, renchérit la jeune femme aux courts cheveux bruns, tu es assis sur mon costume de fantassin et j'en ai besoin pour la répétition de ce soir ! Alors si tu pouvais te lever, ça nous arrangerait tous !

Surpris de leur manque de suspicions, le vampire hocha la tête et s'apprêta à sortir de la malle, lorsqu'il se souvint de l'état de sa robe. Ils avaient beau ne pas se poser de questions pour l'instant, cela ne tarderait pas s'ils découvraient le sang de l'infortuné marquis D'Amaryllis :

- J'aimerais beaucoup libérer la place mais... Je... Comment vous dire... Ce serait indécent, murmura-t-il en détournant le regard d'un air empli d'une gêne feinte. Si cela ne vous dérange pas de vous retourner, je pourrais toujours trouver quelque chose à ma taille parmi tous ces vêtements...

Surpris par sa déclaration, les deux acolytes se regardèrent avant d'éclater de rire :

- Eh bien, prend ce que tu veux, souffla l'homme entre deux gloussements, on va sortir de la carriole pour te laisser plus d’intimité.

Pliée en deux, se tenant les cotes d’hilarité, la jeune femme acquiesça et ils s'éloignèrent, laissant résonner leur joie dans le vide de la nuit.

Archibald grimaça en les regardant partir. Il n'appréciait pas particulièrement la nouvelle image qu’il s’était créé sous le coup de la panique, et le simple fait qu'ils aient pu l'imaginer nu sous ces piles d'étoffes le mettait terriblement mal à l'aise. Cette situation inconfortable restait cependant préférable à toute expression de curiosité mal placée. Les nouvelles allaient vite dans le royaume et il était très probable qu’il soit déjà recherché dans tout le pays, alors mieux valait faire profil bas.

Retenant un grognement de douleur, il s'extirpa péniblement de sa couche, ses muscles engourdis protestant bruyamment face à cette activité soudaine, puis entreprit de fouiller la malle de fond en comble à la recherche de vêtements convenables. Son étrange léthargie lui avait fait perdre toute notion du temps, engloutissant ses sens sous une marée de fragments de rêves et de souvenirs impatients de retrouver leur place légitime, noyant au passage sa conscience sous les assauts de leurs flots impétueux. Archibald avait cependant survécu à ce déferlement meurtrier et la plupart des souvenirs libérés erraient maintenant à travers son esprit, incapables de retrouver l’emplacement qu'ils avaient autrefois occupé dans sa mémoire.

Du bout des doigts, il déroula la ceinture de sa robe, évitant autant que possible le contact visuel avec le tissu souillé, puis entrepris de retirer le vêtement, plissant le nez de dégoût à chaque fois que sa peau entrait en contact avec l'étoffe raidie par le sang séché. Elle tomba silencieusement à ses pieds, dernier vestige de son ancienne identité, le linceul du comte Du Lys. Il ôta aussi ses souliers maculés de terre, souvenir de sa course-poursuite effrénée, puis s'empressa d’enfiler les vêtements les moins poussiéreux et troués trouvés dans la malle : un pantalon brun taillé dans un tissu épais et grossier, et une tunique qui, il y a des années de cela, avait dû être d'une blancheur immaculée.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 30 ⏰

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