Chapitre Second

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-Ah ! A côté de chez l'Auguste et sa petite Paula ?

-Oui, c'est exact, répondis-je au boulanger qui savait déjà qu'une nouvelle tête était venue se perdre sur l'ile.

-Drôle de petiote celle-ci. Vous l'avez rencontrée ? Remarque, avec l'Auguste, vous avez dû la voir.

-En effet.

Je déplorais le fait d'être seul dans la boulangerie. J'aurais pu laisser passer le client suivant et me faufiler par la porte en toute discrétion mais j'étais le seul qui avait eu la fâcheuse idée de s'aventurer ici, apparemment. J'avais simplement prévu de venir acheter du pain pour le midi, il y avait de ça une demi-heure bien passée. Il aimait potasser, le faiseur de pain. C'était peu dire. Dès que j'avais posé un orteil dans son enseigne, il avait découvert une rangée de dents pas vraiment alignées et m'avait salué d'une forte voix. C'était assez improbable vu sa carrure de rase-moquette maigrichon. Une touffe de cheveux pas bien coiffée au sommet du caillou et des lunettes à la monture épaisse en équilibre sur un nez en patate habillait le tout. Je sentais bien la baguette refroidir dans ma paume et mon ventre faire le bruit du typhon d'évier mais Boulanger-Man ne voulait surtout pas me lâcher la grappe. J'avais presque envie de claquer un : génial, mon gars, mais, ta vie, j'm'en contrecarre le citron, avant de filer le front bien haut. Seulement, un peu de politesse n'était jamais de trop.

-Je vais devoir y aller...

-Marc mais appelez-moi Mouche comme tout le monde.

-Eh bien, Mouche, mes fourneaux m'appellent.

-Oh ! Vous cuisinez ? C'est rare pour un homme.

Bon sang, toujours un truc à dire. A croire qu'il anticipait exactement toutes mes répliques. Surtout que je faisais beaucoup de chose mais cuisiner, carrément pas. Pas pour moi du tout. Je ne faisais qu'ouvrir ces bonnes vieilles boîtes de conserve et sortir les légumes du congélo. Ou bien, une casserole de pates et au dodo, mon Loulou, comme disait maman. Pas trop de quoi se vanter.

-Disons que je me débrouille. A bientôt Mouche, enchainai-je bien décidé à lui clouer le bec.

Si ça n'avait pas été impoli, j'aurais couru hors de cet enfer. Couru en ligne parfaitement droite, les doigts serrés autour du pain pour ne pas le lâcher. Mais je suis tranquillement sorti en lui adressant un sourire tout en notant bien de ne jamais revenir. Lui, bien insouciant de mes pensées, m'avait fait un grand signe de la main et c'était presque s'il ne sautait pas à pieds joints pour que je le vois bien jusqu'au bout de la rue. Je l'aurais bien écrasée du poing, cette mouche.

Une main dans la poche, l'autre tenant le pain, je croquais dedans, arrachant le trognon. Je pouvais bien m'octroyer ce droit-là après le tsunami verbal que je venais d'affronter. Y'avait pas à dire, par contre, le pain était délicieux. J'avalai les derniers restes de mie tout en enfonçant les clés dans la serrure. Heureux d'être enfin derrière mes murs protecteurs de boulanger un peu bavard. Posant le pain sur la table en ôtant mes basquets du pied, je me dirigeai droit dans la cuisine. Allez, casserole de pâtes pour Loulou.

La sonnette retentie pile au moment où je finissais de débarrasser ma table. Je m'assurai que ce n'était pas la Mouche qui m'avait suivi en jetant un coup d'œil à la fenêtre mais ce n'était pas lui. C'était Auguste, bien sûr. Il avait dans les mains, un panier rempli de légume et le front partiellement recouvert d'une pellicule de sueur. Dès que j'ouvris la porte, il s'affubla d'un chaleureux sourire et n'attendit pas que je le lui permette pour entrer dans la courette.

-M'sieur Louis ! Je venais voir si le vin ne vous avait pas achevé.

-Non, ne vous en faites pas, je suis robuste.

Le Jardin aux Escargots | l.t |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant