Chapitre Huitième

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Un jour je me suis demandé si c'était moi qui étais totalement incapable de supporter les gens ou si c'était les gens qui ne pouvaient pas me supporter. Je crois que c'est un tout. Depuis que je suis petit, je m'entends dire que je suis égoïste et intolérant. C'est vrai. Je suis un être intolérant. Je ne supporte pas toutes ces têtes de cons qui vous farcissent d'un sourire et qui croient vous mettre dans leur poche, je ne supporte pas ces ignares qui pensent être plus utiles que vous, je ne supporte pas tous ces pédants qui crient à qui veut l'entendre, et même à qui ne le veut pas, que leur vie rutile plus que la vôtre, je ne supporte pas tous ces êtres hypocrites, étroits d'esprits, racistes qui font du profit sur votre dos. Les connards à chaque coin de rue qui attendent votre passage pour vous faire un croche-pied et se payer la barre de leur vie en vous regardant vous gaufrer juste parce qu'on leur a fait le même coup deux minutes auparavant ; les salauds qui sautent votre compagne en vous regardant l'air narquois juste parce qu'ils foutent leur bite là où ils ne devraient pas, ces mêmes salauds qui fourrent leur nez dans les affaires de tout le monde en se bidonnant mais qui, chaque soir, rejoignent le bar du quartier et se bourrent la gueule en espérant oublier toute la merde dans laquelle ils sont ; ces gars nés bourgeois qui n'ont pas autant de valeur que le chat qui crèche sur leur genoux et auquel ils caressent la croupe dans une espèce de doigté ironique ; ceux qui profitent de l'étiquette qu'on leur a collé pour venir vous beugler dans les pattes tout ce qu'ils savent ; ceux qui se trouvent tellement insignifiants qu'ils se sentent obligés de lever les bras en vous postillonnant à la figure pour que vous sachiez bien que leur petite personne a toujours le cœur qui bat – et qui bat mais seulement pour eux - ou encore ceux qui pensent indispensable d'étaler leur étroite petite vie sous les narines de tout un chacun alors qu'ils ne savent même pas ne serait-ce que votre date de naissance. Quant à mon égoïsme, il est présent c'est certain. La seule défense que je peux porter à cette accusation que les gens trouvent amusant de coller dans le dos de chaque personne qui leur déplait à peine, c'est que d'une manière ou d'une autre, nous sommes tous égoïste. Egoïste à n'en plus finir. Qui ne penserait pas à sa carcasse avant celle du copain, honnêtement ? Alors, forcément, quand vous commencez à ne plus aimer personne, les gens le ressentent et ne vous aiment plus. L'avantage que j'ai peut-être sur certains, c'est que je m'en fou. Je me fiche de ne pas être apprécié, d'être seul, ignoré ou critiqué.

Il y a juste une chose, une chose des plus terribles, qui peut se pointer comme ça, d'un coup, et elle vous brise d'un seul coup. Une espèce d'embardé à laquelle on aime pourtant bien s'accrocher alors que ça nous détruit. C'est les gens. Les vrais gens, je veux dire. Pas ceux qui font le monde, ceux qui font votre monde. On les rencontre et, sans raison apparente, on se met à vouloir les fréquenter, vouloir savoir qui ils sont, les résoudre. Alors votre monde, ce petit monde pourtant si banal lorsque vous y songez sérieusement, devient le monde que les autres admirent. Ce même monde qui vous faisait rêver chez quelqu'un d'autre. Eh bien, ça vous tombe dessus comme ça. Votre petit monde vibre d'une nouvelle façon, vous vous retrouvez à avoir des espoirs que vous ne vous permettiez pas et il vous semble que vous flottez. Sauf qu'en réalité, rien n'a changé et les gens vous admirent toujours de la même façon, ils vous aiment pareil ; rien n'a changé : c'est simplement votre propre perception. Puis, simplement parce que vos mondes tressautent, que vous perdez les pédales chacun de votre côté et que la roue libre c'est jamais franchement bon pour quelqu'un, tout s'arrête. Pendant une seconde, à peine. Je vous le promets, c'est pas tripant et on mord vachement la poussière. Je me souviens encore la mascarade de mon corps, l'effroyable bombe qui te défigure et les ravages que ça fait. Le problème dans tout cela, c'est qu'on est tous assez cons pour le vouloir. On aime cette attraction physique, psychologique, tous ces trucs pleins de tics et de hics. On n'aime pas souffrir et pourtant, quand on découvre ce que cela fait, ce que cette passion dévorante, cette espèce de boursouflure prête à exploser, qu'on cultive avec cette dévotion du corps et de l'âme, on a beau dire que c'est de la faiblesse, on sait qu'on est tous prêts à sombrer pour ça. Pour ma part, je ne pense d'ailleurs pas que ce soit de la faiblesse. Au contraire, je trouve que c'est une marque de force que de se laisser aller à l'inconnu, se laisser plonger dans une chose qui nous fait peur et surtout être prêt à souffrir. Lorsque l'on découvre tout cela, on ne sait pas à quel point c'est d'une rare violence.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 29, 2016 ⏰

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