La Légende du Mage Frô - Tome 1

Prologue 2 : La cité de bronze

An 4563 après le Grand Cataclysme

La Guerre du Fromage avait laissé son empreinte dans les Terres du Sud, à jamais brûlées par le feu des dragons. Plus rien n'y poussait, pas un arbre ni un brin d'herbe, et la terre friable laissait des résidus rouges sur les doigts du professeur Arawnogmiosan. Le vieil homme se redressa pour contempler le désert craquelé autour de lui. Le ciel était chargé de nuages noirs menaçants, mais il savait que jamais la pluie n'en tomberait. C'était comme si une malédiction condamnait ce lieu à la sécheresse éternelle.

— Bon, vous avançez ? le harangua une voix désagréable.

Un voyage dans de telles contrées était dangereux seul, aussi le professeur s'était vu attribuer deux compagnons de route, Boul et Byl, des aventuriers venus de l'Archipel. Ce n'était pas les nains qui creusaient le plus loin dans la mine, mais ils se débrouillaient pour allumer le feu de camp, monter les tentes et éloigner les créatures qui rôdaient la nuit dans le désert. Avec leurs sacs disproportionnés au vu de leurs maigres possessions, ils comptaient apparemment faire le chemin du retour bien plus chargés que l'aller.

— Il va p'têt' y avoir d'l'orage, grogna Byl, le nez levé vers le ciel.

— Improbable, répondit tranquillement le vieil homme. Pour qu'un orage éclate, il est nécessaire que des courants chauds et froids se rencontrent. L'instabilité de l'atmosphère provoque un cumulonimbus par courant ascendant...

Il continua de déblatérer, toujours heureux d'éclairer le monde de ses lumières, alors que ses deux compagnons trottaient devant. Ils devaient régulièrement s'arrêter pour l'attendre, ce qui les agaçait de plus en plus, mais la somme qu'on leur avait promise s'ils faisaient l'aller et le retour avec le professeur sain et sauf les retenait de l'abandonner en plein désert. Cet illuminé n'était pas n'importe qui. Enfin, ils n'avaient pas grand-chose à faire des grosses têtes de Midas-Tinite, en revanche ils connaissaient les grosses fortunes.

— Heureusement qu'on s'éloigne de la Faille, murmura Boul à Byl. J'en pouvais plus, de ce schnock qui s'extasiait sur un putain de trou, soit-disant à cause d'un tremblement des plaques truc-muche...

— Les plaques titanic, j'crois. Un délire de savant à la con. Tout le monde sait que c'est le Dieu Apophis qui l'a créée en éternuant, la Faille.

— On arrive bientôt à l'ancienne cité elfique ?

— A la fin de la journée, d'après la carte.

— J'espère que ce voyage vaut le coup, soupira Boul, et qu'on va s'en mettre plein les poches avec le trésor des elfes.

— Parle pas trop fort, le vieux fou va nous entendre.

Et, le nez dans leur bout de chiffon censé représenter les côtes des Anciennes Terres des Dragons, ils continuèrent leur route.

C'est au coucher du soleil qu'ils virent une forme triangulaire se découper à l'horizon, comme une montagne rouge dans le ciel obscur. Le professeur Arawnogmiosan s'arrêta au sommet d'une dune, les yeux pleins d'étoiles.

— Silivren, la cité de bronze. Le plus vieux havre de paix des elfes et de toutes les créatures magiques avant le Grand Cataclysme.

Aucun des deux larrons n'avait la moindre idée de ce dont il parlait, mais ils se firent un plaisir d'écourter son monologue pour le traîner dans la descente, en direction de la cité. Il leur fallut encore une bonne heure de marche pour y parvenir. A l'instant où ils franchirent l'immense arche de pierre dont les portes avaient depuis longtemps été réduites en poussière, un éclair fendit le ciel. Le tonnerre gronda une seconde plus tard, si fort qu'il les fit frémir tous les trois.