Je sens mon coeur tambouriner dans ma poitrine. J'ai peur de ce qu'il veut me dire. J'ai allongé Elven, qui dort toujours, sur le sofa et remonte lentement le plaid qu'Alois a trouvé dans un des grands placards à l'entrée sur ses épaules. Alois m'a chuchoté un "Mais pas ici, pas avec le petit à côté" en se levant pour attraper une clope. Je tourne légèrement le visage pour l'apercevoir à travers la baie vitrée. Il a les traits lourds et fermés et inhale lentement ce poison puant. Je déteste cette odeur.
J'attrape la polaire qu'il m'a sorti en même temps que le plaid et qu'il a laissé sur l'îlot de la cuisine. Je l'enfile, jette un dernier coup d'œil à Elven qui dort paisiblement, inspire un grand coup et me décide enfin à sortir le rejoindre. Le vent souffle et pique mes joues, mon cou, mon nez, malgré l'épaisseur de la laine. J'y engouffre un peu plus profondément mes mains et mon menton, à la recherche d'un peu de chaleur. Il fait extrêmement froid pour un soir de cette saison, mais je me dis que nous nous approchons rapidement de l'automne. Il ne bronche pas en m'entendant refermer la baie derrière moi, les yeux toujours braqués dans le vide. Je m'approche de la rambarde en verre, et m'autorise à regarder également. Tout autour, les lumières de la ville scintillent. Une énorme tour en fer et en verre se dresse à notre droite, si proche que je pourrai presque y apercevoir les habitants par leurs fenêtres. À moins que ce ne soient des bureaux ? Je plisse les yeux à cause du froid pour apercevoir correctement l'énorme parc qui se trouve devant nous. Je ne sais pas où nous sommes, je n'ai jamais été bonne en géographie. Je n'ai pas souvent voyagé, il faut l'avouer. Le vent transporte avec lui le bruit des grandes villes, les voitures, les gens. Tout cela me paraît si irréaliste. Tant de monde qui vivent heureux, sans penser ou même imaginer que l'entité existe. J'essaie d'oublier mes pensées, bien trop intriguée et stressée par ce que le fou compte me dire. Je ne sais vraiment pas à quoi m'attendre !
Il expire et je me reçois une odeur nauséabonde dans les narines. Je ne peux m'empêcher de brasser l'air à la recherche de quelque chose de plus pur, ce qui le fait enfin tourner la tête vers moi.
- Désolé.
Je ne dis rien et change simplement de côté. Je ne supporte pas cette odeur. Il finit rapidement et écrase sous son pied le mégot poison
- Tu ne fumes pas ?
- Non, je réponds simplement en esquivant son regard inquisiteur.
- C'est bien.
Je n'aime pas ça et je ne veux pas montrer ce genre de choses à mon fils.
- Je voudrais arrêter, dit-il en voyant que je ne pose pas plus de questions.
Je tourne la tête vers lui. Il me regarde, le visage éclairé par les lumières de la ville.
- Tu pourrais, je me surprends à lui répondre, le regard fixé dans ses pupilles vertes.
Je comprends à son expression que ce n'est pas possible, ce qu'il confirme :
- Je ne peux pas pour l'instant. Je ne suis pas prêt.
Je sens qu'il pèse tous ses mots, je ne veux pas le brusquer. Je savoure étrangement cette lenteur qui s'installe à chaque fois que nous parlons en privé. Les blancs ne me dérangent pas, moi qui les hais d'ordinaire. Je sais que ce qu'il va me révéler est important pour lui. Cette discussion marquera un tournant et je ne veux pas le presser. Pour une raison qui m'est inconnue, j'ai peur de gâcher l'instant. Je sais que c'est cette même discussion qui aurait pu prendre place la dernière fois lorsque nous étions au bord du lac. Mais lui comme moi n'étions pas prêts. Aujourd'hui c'est différent. Bien que mon opinion sur lui n'ait pas changé, les dernières heures et la dernière discussion que nous avons eues m'ont donné envie d'en savoir plus. J'ai peur, oui. Mais j'ai encore plus soif de comprendre.
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Freyja
RomanceFreyja fuit pour la deuxième fois l'Entité dans laquelle elle a grandi. Suivi par Elven, son fils, elle rêve de lui offrir une vie normale, loin de la violence et de la peur. Mais son expédition à l'extérieur de l'Entité ne va pas durer longtemps, c...