CHAPITRE I - LANDON

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J'ai oublié de respirer. J'ai oublié comment respirer. J'ai oublié que je suis à un mariage, que ma fiancée m'attend à l'intérieur. J'ai oublié mon nom, mon prénom, ma fonction et le numéro de ma maison.

- Landon...

J'ai tout oublié à la seconde même où mon regard a croisé celui de Damien. Là, devant moi, les bras ballants et les lèvres entrouvertes. Beau comme le jour, avec ce costume trois pièces beige.

Beau comme le jour.

Plus beau que jamais.

Ce visage qu'on ne voit qu'une fois, qu'on aperçoit dans ses rêves et qu'on veut absolument rencontrer dans la vraie vie. Ce teint hâlé, et ces yeux noisette. Ces lèvres ni trop fines, ni trop pulpeuses. De la taille parfaite. Du genre à ne pas s'accorder avec n'importe lesquelles... qui s'accordaient avec les miennes comme si elles étaient faites pour être réunies.

- Salut, souffle-t-il.

Salut.

C'est ce que je mérite. Un vulgaire salut qui se fonderait volontiers dans une conversation banale avec un vieux pote d'école.

Salut.

C'est la première chose qu'il me dit aujourd'hui, la dernière qu'il a dite il y a sept ans. Salut, qui sonne comme une injure, comme un milliard de reproches auxquels je suis incapable de répondre, bien trop absorbé par ce qu'il est devenu. Le même, en plus beau. En plus adulte. En plus tout.

Beau comme le jour.

Les secondes passent, mais nos regards restent ancrés l'un dans l'autre. Je me sens aussi vulnérable qu'un condamné qui attend son heure sur la chaise électrique : Je ne peux même plus penser, si ce n'est à la douleur que j'éprouve au fin fond de mon âme. Mon jardin secret reprend des couleurs et je me souviens de tout, de nous. De ses sourires et de ses rires, de ses paroles et ses soupirs. Qu'est-ce qu'il est beau, putain.

Beau comme le jour.

Mais je dois absolument me reprendre et ne pas perdre la face. Pas ici, pas maintenant et surtout pas comme ça. Alors, je m'inflige une claque mentale et lui offre un sourire sans intérêt, presque ennuyé.

- Oh, salut. Désolé, je... je ne t'ai pas reconnu tout de suite, lancé-je.

Quel putain de menteur ! Bien sûr que je l'ai reconnu, et en moins de temps qu'il n'en faut pour respirer. Je l'ai vu, je l'ai reconnu, et mon cœur s'est réveillé.

Damien feint un petit rire.

Ne rigole pas. Je t'en prie, ne joue pas à me torturer.

- J'ai changé à ce point ?

Ne sachant pas quoi dire, je souris. Je souris en scrutant chacun de ses gestes. Toute la scène est au ralenti, comme si nous étions dans un foutu film, comme si tout ça était orchestré. Une caméra cachée ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que mon cœur va finir par déchirer ma peau pour battre à l'unisson avec le sien.

- Bon, je vais... retourner avec les autres. On se recroisera peut-être durant la soirée, dit-il.

Les joues rougies par notre rencontre, Damien passe à mes côtés et retourne à l'intérieur. Je le suis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la foule. Je pourrais le suivre à la trace, parce que s'il y a bien quelque chose qui n'a pas changé, c'est son parfum. Ce putain de parfum qui collait aux murs lors de nos années universitaires. L'Homme Idéal, de Guerlain.

L'Homme Idéal. Celui qui est beau comme le jour.

Il me faut une minute, même plus que ça, pour que je me rende compte de ce qui vient de se passer. Une minute durant laquelle je suis resté là, debout, la respiration saccadée. Une minute pour me rendre compte qu'il était là. Qu'il était à mes côtés, que son parfum n'était pas une illusion. Je n'ai rien eu à faire, il est apparu comme un génie sortit de la lampe, mais sans aucun vœu à m'accorder. Peut-être parce que le voir, même une seconde, est ce que je désirais le plus au monde.

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