- Ça fait un moment, je t'ai manqué ?
- Pas vraiment. J'ai fait des progrès. J'ai évolué, nouvelles études, nouvel avenir, je n'appartiens plus au passé. On disait qu'on n'atteindrai pas 20 ans, j'en ai 22 maintenant. Puis j'ai de l'ambition. Je ne finirai peut-être pas comme maman.
- Vas doucement. Tu n'as pas oublié la définition de fatalité ? Tu lui ressemble, tout le monde le sait. Regardes toi, vois ton reflet. Tu la vois, je le sais. Tu portes ses traits.
- Ça ne fait pas la fatalité. Les traits ne forment pas une destinée.
- Tu le pense ?
- Je le pense.
Tu sais, depuis, j'ai arrêté de fuir le miroir. Je ne suis pas elle, elle n'est pas moi. Et j'ai rencontré un homme droit.
- Voilà à nouveau tes faux espoirs. Tu n'as pas changé, tu n'as pas évolué. Tu reste l'enfant qui s'imagine être aimée.
- Non, pas cette fois. Il dit m'aimer, et je le crois.
- Il dit t'aimer, mais aimer quoi ? Je te connais, ne me mens pas. T'es-tu ouverte, t'es-tu confiée ? Connaît-il au moins ta couleur préférée ? Il ne t'aime pas.
- Et pourquoi pas? On n'aime pas pour une couleur, ou une fleur. On aime le fort intérieur, et les valeurs. Je ne suis pas parfaite mais j'ai bon coeur.
- As-tu donc oublié ta culpabilité ? Dis lui ce que tu as fait, et surtout ce que tu n'as pas fait. On verra alors si tu seras aimée.
- J'ai changé, je me suis rachetée. J'essaie toujours de faire le bien, il y a tant de personnes à qui j'ai tendu la main.
- Tu n'es pas quelqu'un de bien. Tu me mens, en vain. Sinon pourquoi te cacher face à celui que tu dis aimer ? Lui dit t'aimer, il a l'air honnête, et il l'est ! Il pense t'aimer, mais ça ne devrait pas te conforter. Il ne te connais pas, dans le fond tu le sais. Il aime un masque, une illusion que tu as créée. Demandes lui pourquoi il t'aime, tu verras. Il aime ta façon de l'aimer, mais il ne t'aime pas. Comment le pourrait-il ? Il ne te connait pas. Il te pose des questions, et tu ne réponds pas. Lui as-tu déjà parlé de toi, du vrai toi ? Tu lui as raconté la fois où tu n'as pas voulu de congés, mais tu n'as pas avoué que c'était pour m'éviter. Je sais tout, l'as-tu oublié ? Je suis toi, tu es moi. Je porte ta voix, je suis le fond de ta pensée.
- Arrêtes ça, je n'ai pas besoin de toi. Je suis heureuse, je faisais des progrès. Je suis retournée à l'université, j'ai appris à rester seule, sans boire, sans pleurer, j'ai arrêté de sortir chaque soir pour à tout prix m'occuper. Je ne suis plus ce que j'étais.
- Tu restes ce que tu es. Les choses qui ont changé ne sont que futilité. Tu as appris à faire face à ton reflet mais tu te hais toujours autant, ça n'a pas changé. Tu hais ta mâchoire et tu hais ton nez, tu hais ta silhouette, tes oreilles et tes dents. Tu as aussi appris à parler, mais pas à te confier. Au lieu de te taire, tu ris et détournes le sujet. Voilà tout ce qui a changé.
- Ce n'est pas vrai. J'ai appris à m'aimer. Je prend soin de moi, toujours à me remaquiller et me recoiffer. Je suis pleine de joie, toujours souriante.
- Souriante mais plus discrète qu'une plante. Pourquoi si peu parler, si ce n'est par peur d'être jugée, malaimée ? Si tu as appris à t'aimer, pourquoi penses-tu que personne ne peut t'apprécier ? Tu te recoiffe et te remaquille, chaque minute à la recherche de ton reflet, pour t'assurer que tes défauts restent cachés. Tu te cache derrière ta superficialité, est-ce cela que tu appelles « t'aimer » ? Tu t'enfermes dans une prison dorée et tu ne laisses personne t'approcher. Inconnue de tous, même de l'être aimé. Il mérite mieux, tu le sais. Chaque homme bien, chaque amour sain, tu les as tous repoussés, probablement par peur du rejet. Tu n'as toujours qu'accepté ce que tu pensais mériter, et tu t'es accrochée à l'amour de personnes qui ne valaient rien. Pourquoi ne pas continuer ?
- Je sais, mais lui je pense vraiment l'aimer. Plus qu'autrefois, plus que quiconque avant ça. C'est terrifiant, il faut l'avouer. Qu'adviendrait-il si je me confiais ? Verra-t-il ce que je vois ? Si je lui dit ce que je sais, aura-t-il toujours envie de moi ? Si je parlais de toi, de moi, va-t-il me laisser, me rejeter ? Dira-t-il que je suis trop compliquée, trop triste ou trop paumée ? Me verra-t-il comme un fardeau trop lourd à porter ? Il faut que tu partes. Tu es ma crainte, tu es mes doutes. Tu es ma culpabilité et mon passé. Tu es mon jugement, mon subconscient. Je ne suis pas prête à tout quitter, à l'abandonner. Retournes te terrer, te cacher derrière ma superficialité, à un endroit où il n'aura pas accès. Pars et ne reviens que la nuit, lorsqu'il sera endormi. Tu continueras à me torturer, mais jamais devant lui, et je te nommerai Insomnie.
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Flot de paroles non-prononcées
Non-FictionUne suite de textes écrits sans preuve de grande réflexion. Je n'écris pas pour être lue