𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐕

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RAFAEL

UN MOIS PLUS TARD

Aucune cérémonie n'a été prévue pour notre mariage, rien de ces festivités qu'on imagine souvent, où rires et joie se mêlent aux éclats des coupes de champagne. Non, juste un simple repas entre nos deux familles, après un passage rapide à la mairie, presque anonyme. Un contrat signé sans faste ni émoi, à l'image de cette union qui semble déjà dépourvue d'âme.

Nous sommes attablés, réunis autour d'une table sobrement dressée. De son côté, Jade n'a que son père, son visage sévère et fermé, comme une ombre silencieuse qui pèse sur elle. De mon côté, mes parents sont présents, accompagnés de mon oncle, tous trois affichant cette satisfaction de façade, comme s'ils tentaient de donner à ce moment une importance qu'il n'a pas. Mais l'atmosphère est lourde, chargée d'une tension invisible, d'un malaise palpable qui étouffe chacun de nous.

Le repas vient à peine de commencer, les conversations sont forcées, maladroites, oscillant entre banalités et silences gênés. Et c'est là, dans ces silences, que je la remarque plus intensément. Jade, assise en face de moi, paraît étrangère à tout ce qui l'entoure. Elle ne participe pas, ne mange presque pas. Elle est là sans être vraiment là, le regard perdu, fuyant. Elle se replie sur elle-même, comme si la simple idée de se retrouver au milieu de cette pièce la torturait. Si elle pouvait disparaître, elle le ferait, je le sais. Elle est tendue, son malaise suinte à travers chaque geste, chaque souffle retenu.

Je vois la crispation de ses doigts autour de sa fourchette, la façon dont elle évite de croiser le moindre regard, préférant fixer son assiette ou un point invisible devant elle. Elle ne cherche pas à prendre part aux discussions, elle se contente de hocher vaguement la tête lorsque son père lui adresse la parole, mais c'est comme si elle était ailleurs, très loin. Tout en elle trahit un désir de fuir, d'échapper à cette situation qui la consume. Sa peau est pâle, presque translucide sous l'éclairage tamisé de la salle, et ses lèvres sont serrées, comme pour retenir tout ce qu'elle ne dira jamais.

Mon cœur se serre à chaque instant où je la regarde. Ce malaise qu'elle ressent, je l'ai provoqué. Cette douleur qui se lit dans ses yeux, c'est la conséquence de mes erreurs, de tout ce que j'ai détruit en elle. Elle est là, piégée, enchaînée à cette situation par les liens que nos familles ont tissés, mais son esprit, lui, semble déjà s'éloigner, comme s'il cherchait une issue invisible, une échappatoire.

Je ne peux détacher mon regard d'elle, mais plus je la regarde, plus la culpabilité m'étreint. Chaque seconde qui passe me rend plus conscient de son malaise, de cette envie qu'elle a de s'effacer, de disparaître totalement. Ce moment, censé être le début d'une nouvelle vie à deux, ressemble plutôt à un lent calvaire pour elle, une épreuve qu'elle endure avec une dignité brisée, le cœur absent.

Elle n'est pas là pour fêter un mariage. Elle est là par contrainte, par devoir, et je suis celui qui l'a poussée dans cette situation. Elle est enfermée dans une prison invisible, une prison que j'ai contribué à bâtir autour d'elle, et la seule chose que je ressens en cet instant, c'est une impuissance dévastatrice.

Jade voudrait disparaître. Et quelque part, je crois que je souhaiterais moi aussi pouvoir effacer tout cela, recommencer à zéro, pour ne pas la voir ainsi, si loin de tout ce qu'elle aurait dû être.

Mais quelque chose me frappe, une tension étrange que je n'avais pas perçue auparavant. Un détail qui, maintenant, semble prendre toute la place dans l'atmosphère déjà lourde de la salle : Jade évite soigneusement de croiser le regard de Francisco, mon oncle. À chaque fois que ses yeux pourraient rencontrer les siens, elle détourne la tête, presque brusquement, comme si la simple idée de poser ses yeux sur lui lui était insupportable. Je sens cette gêne qui irradie d'elle, plus forte à chaque instant, comme un poison qui se propage lentement.

Hate me if you can-TOME IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant