Chapitre 7: L'îlot 13

7 4 0
                                    


La plage se trouvait envahie comme tous les jours, pas de nombreux touristes. Bien qu'il ne soit que neuf heures du matin, la température avoisinait déjà les trente-six degrés, le soleil brillait et la mer était d'huile. Les vacanciers défilant chaque jour dans les différents hôtels de l'îlot treize, vivaient le temps de leurs séjours au rythme des musiques locales qui berçaient la vie quotidienne des habitants de l'île. Valentin faisait comme tous les jours, excepté le dimanche, le tour des complexes avec lesquelles ils travaillaient. Propriétaire d'une société proposant bon nombre d'excursions, il excellait dans ce domaine. Sa connaissance du pays et les cinq langues qu'il parlait constituaient des avantages non négligeables vis-à-vis de ses concurrents. Les services rendus à l'un des hommes les plus influents de l'île, lui garantissaient de ne pas être chahuté par les autres prestataires. De toute façon, les touristes se voulaient assez nombreux pour offrir à la plupart d'entre eux des revenus conséquents. Malgré tout, Valentin Falgan faisait des envieux. En moins de trois ans, il se trouvait à la tête d'un un véritable Tour Opérateur omniprésent sur l'Ilot 13. Les tarifs attractifs qu'il pratiquait, combinés à son sens inné de la communication, lui permettaient de faire le plein tous les jours, et ce, sur les cinq circuits qu'il vendait. Il n'affichait jamais complet, préférant affréter un deuxième bateau et proposer une super promotion de dernières minutes pour rentabiliser sa deuxième équipe. Il n'hésitait pas à prendre en main une excursion quand le personnel venait à manquer ou tout simplement par plaisir. Cela lui donner l'occasion de réfléchir aux petites améliorations qu'il pourrait apporter pour satisfaire davantage la clientèle. En fin d'après-midi, il regagnait sa villa et se prélasser sur une chaise longue en sirotant un punch au bord de l'eau. Il avait acheté ce terrain il y a un an et demi à Kanu, propriétaire fortuné détenant pas moins d'un dixième de l'île. Cet homme était également le protecteur de Valentin. Multimillionnaire, il ne lui demandait pas d'argent en échange de son parrainage, non il sollicitait régulièrement son ami pour un service particulier. Valentin lui servait d'interprète lorsqu'il tombait éperdument amoureux d'une étrangère venue se prélasser dans l'un de ses trois hôtels paradisiaques. Kanu adorait les jolies femmes, comme Valentin d'ailleurs, mais lui, au contraire de Valentin, était près à toutes les folies pour arriver à ses fins et il pouvait se vanter d'être le seul homme sur terre à ne pas connaître l'échec ! Être un beau célibataire de trente-deux ans, extrêmement riche, lui conférait de nombreux atouts, mais quand cela ne suffisait pas, il sortait sa botte secrète: Son complice qui l'aidait à porter le coup de grâce. Valentin endossait alors l'habit de « Cyrano»... Les mots sous sa plume se transformaient en hymne à l'amour, Kanu les apprenait et les récitait, en soignant sa prononciation, à sa future conquête. Jusqu'à présent, aucune femme n'avait résisté... Les cinq langues parfaitement maîtrisées par son ami, lui ouvraient constamment de nouveaux horizons pour séduire... Valentin appréciait énormément cet homme rencontré lors d'une soirée organisée par un richissime propriétaire, près de six mois après son arrivée sur l'îlot 13. Kanu lui avait même donné l'idée, quelques semaines plus tard, l'idée de monter sa société d'excursions en lui garantissant déjà ses trois hôtels comme premier partenaire. Il lui apportait également sa protection. Cela lui permit de s'intégrer au cercle très fermé des compagnies d'excursions. Sans cette appui de poids, ces derniers n'auraient pas accepté, l'implantation de ce blondinet dans ce business ! D'ailleurs, Kanu s'assura de faire passer un message  l'air au sujet de son ami Valentin et toute envie de déstabilisation fut enrayée... Bien qu'appartenant à deux mondes en tous points opposés, leur amitié se révélait sincère et ils aimaient se retrouver autour d'une table pour déguster un cocktail en écoutant un groupe de musique locale. Ils échangeaient alors leur opinion sur divers sujets. Kanu ne respectait ni les lois ni les politiciens. Sa fortune ne venait pas du fruit d'un lourd labeur, mais plutôt d'actes interdits. Orphelin, Il avait grandi dans la rue. Le reste, il n'en parlait jamais, sauf de temps à autre de son séjour en prison, à l'âge de douze ans. Valentin ne lui posait jamais de questions et n'abordait sous aucun prétexte sa vie passée.
Les deux hommes respectaient le silence de l'autre et cela fonctionnait admirablement bien. Valentin avait pris connaissance par des tierces personnes, de la légende accompagnant la réussite de Kanu. On lui conta ses premiers pas dans des gangs de rues, puis les contrats exécutés pour certains politiciens, en échange desquels, ils lui obtinrent des terrains pour des sommes dérisoires. Petit à petit Kanu prospéra en se lançant, suite aux conseils d'amis, dans le tourisme. Acquérir des terres restait son péché mignon, ses proches comme ses ennemis le savaient. Quiconque se dressait contre lui pour l'achat d'un domaine ou tentait de toucher à l'une de ses parcelles ne vivait pas assez longtemps pour en profiter. Concernant le terrain quasiment offert à Valentin, Il s'agissait du second visage méconnu de Kanu. Pour les gens qu'il aimait, il était prêt à tout donner. Puis avoir comme voisin Valentin, même si entre les deux propriétés se trouvait une plage de deux kilomètres de long, lui permettait de faire appel à lui autant de fois qu'il voulait. La patience n'étant pas son fort...
Valentin avait un parcours de vie très différent. Membre de la police d'élite du président de l'État soixante-douze, nommait les suprêmes, il ambitionnait une carrière au sein de ce service. Les missions confiées à cette unité se voulait top secrètes et dépendaient directement du ministre de l'Intérieur. Pour Valentin, tout se passait admirablement bien, jusqu'à cette nuit du douze octobre deux mille deux cent vingt-deux, il y a de cela neuf ans. L'objectif était d'intercepter les auteurs présumés d'un vol, qui se trouvaient réfugiés dans une usine désaffectée de l'est de la cité 824. Les suprêmes devaient récupérer les dossiers « Top secret » volés dans les laboratoires de recherche de l'armée... Des dizaines d'unités de policiers encerclaient le bâtiment lorsque le groupe se présenta sur les lieux. Le commandant Lipi, responsable de l'unité ne jugea pas nécessaire de prévenir les officiers en faction et précisa à ses hommes d'agir discrètement pour retrouver les documents et quitter les lieux. Ils pénétrèrent dans l'édifice par les conduits d'aération souterrains et repérèrent à l'aide des détecteurs de chaleur les quatre individus réfugiés dans une salle du deuxième étage. Lipi donna l'ordre aux suprêmes avant de lancer l'offensive, de tirer à vue, répétant qu'ils s'agissaient de personnes extrêmement dangereuses. Valentin souhaita la confirmation du commandement, car habituellement on leur demandait d'appréhender si possible, les voleurs, afin de démanteler un éventuel réseau... Lipi réitéra ses propos. L'un des agents coupa l'électricité et les autres enfilèrent leurs lunettes à infrarouge. Lorsque les charges explosives posées contre la porte se déclenchèrent, les membres du commando se précipitèrent à l'intérieur. La fumée envahit la pièce, des cris de paniques résonnèrent et des rafales jaillirent de six fusils mitrailleurs, le septième, celui de Valentin resta muet... Suite à la déflagration, un morceau de plafond s'écroula, partageant la salle en deux, six policiers se retrouvèrent d'un côté de l'immense bloc, Valentin et les quatre personnes recherchées de l'autre. Il pointa immédiatement son arme vers la seule d'entre elles encore debout... L'homme lui faisant face était touché au ventre... Il leva les bras et le supplia de sauver sa femme et ses enfants. Le suprême s'approcha alors des cadavres tout en tenant en joue le blessé et  se rendit compte du massacre. Lipi le contacta par talkie-walkie, pour lui demander s'il restait des survivants Il ne répondit pas. Lorsque le commandant réitéra sa question, Valentin annonça qu'ils étaient tous morts. Lipi lui ordonna de trouver les documents et de les glisser entre l'étroite fente située sous le bloc de pierre. Valentin ne voyait aucun dossier et s'emporta en hurlant que des enfants se trouvaient parmi les victimes. Lipi lui conseilla de ne pas s'en soucier et de continuer les recherches. L'homme s'agenouilla au chevet de sa femme et de ses deux enfants, cherchant en vint à les ranimer. Il se tourna alors vers Valentin :
- Pourquoi eux ? 
Le suprême s'approcha et lui demanda où se trouvait le dossier volé. L'homme le regarda étonné, puis expliqua les raisons de cette traque et de l'assassinat de sa famille.
L'individu n'avait rien d'un voleur, il travaillait comme chercheur au laboratoire Tricas, pour le compte de l'armée.
- J'ai découvert une nouvelle formule chimique, rendant obsolètes les charges atomiques actuelles. La puissance cellulolique se trouve six fois supérieure à celle atomique...
Le fugitif se mit à sangloter lorsqu'il lâcha la main de sa femme. Il regarda les corps de ses enfants et hurla de désespoir. Le sang envahissait sa chemise coulait abondamment, le blessé ne s'en souciait pas. Il continua son récit sans jamais lever les yeux.
- J'ai fait part de ses conclusions au chef du département recherche et quelques heures après, mon labo fut cambriolé... Le personnel de sécurité assura n'avoir vu personne ni entrer, ni sortir ! Les caméras étant bizarrement tombées en panne juste à ce moment-là... Je suis rentré chez moi complètement décontenancé et j'y ai trouvé ma femme et mes deux enfants dans tous leurs États. La maison venait d'être saccagé. Quelques heures plus tard, un appel téléphonique émanant d'un négociateur me proposa tout d'abord une grosse somme d'argent contre la formule, puis, devant mon refus, menaça de s'en prendre à ma famille si je ne la livrais pas. J'ai prévenu immédiatement un ami travaillant dans la police et il m'a conseillé de nous réfugier ici, dans cette usine désaffectée, en attendant qu'une unité d'élite nous conduise dans un endroit sécurisé...
L'homme commençait à tousser de plus en plus, Valentin aperçu sa blessure, il saisit son talkie-walkie, hurla de faire monter un médecin et des infirmiers, précisant qu'un des membres de cette famille était encore en vie. Lipi lui ordonna de trouver ce maudit document, le bâtiment ne tarderait pas à s'effondrer. La charge utilisée entraînait de nombreuses fissures dans les murs porteurs. Le blessé tendit l'enveloppe à Valentin, puis s'écroula. Le suprême s'agenouilla à son chevet et le chercheur lui attrapa la main :
- Laissez ! Je m'en vais retrouver mes enfants et ma femme... Que ces gens soient maudits !
L'homme rendu l'âme. Au même moment, des pans de mur commencèrent à s'effondrer. Valentin esquiva un morceau de plafond et sauta par la fenêtre. Il atterrit trois étages plus bas, sur un tas de sable. Malgré une douleur aigue au bas du dos, il réussit à se déplacer avant qu'une partie du bâtiment ne s'écroule. Lorsqu'un groupe de soldats approcha, il se cacha derrière un bloc de ciment. Il reconnut ses six partenaires, mais pas la septième personne qui les accompagnait. La conversation qui en suivi ne le rassura pas, bien au contraire...
- Nous n'avons pu récupérer la formule et j'ai perdu un homme !
- Un homme cela se remplace, pas cette formule ! L'alliance la voulait à tout prix ! Espérons que les autres chercheurs travaillant sur ce projet se montreront tout aussi brillants. Brûlez tout il ne doit rester aucune trace
Valentin passa les jours suivants à se soigner. Il réapparut au quartier général de l'unité d'élite deux semaines plus tard et demanda à rencontrer le Général Algir, affirmant détenir des informations capitales au sujet du massacre de l'usine désaffectée. Une fois dans son bureau, il relata les faits, sans omettre de rapporter la discussion entre le commandant Lipi et l'homme mystérieux. Le général resta silencieux quelques instants, puis se décida à prendre la parole.
- Le monde est en train de changer... Certains sacrifices sont nécessaires pour arriver à enrayer le mal qui ronge notre société... Remettez-moi la formule et je me chargerai de la transmettre à qui de droit...
Valentin annonça qu'il ne l'avait pas apporté et qu'elle se trouvait en sécurité dans un coffre. Le général fit entrer le commandant Lipi et trois de ses policiers. Les agents le saisir mais Valentin se débâtit. Lipi ordonna à ses hommes de le lâcher et lui murmura à l'oreille.
- vous pouvez vous obstiner à ne pas regarder plus loin et continuer à soutenir les causes perdues ou nous rejoindre ! Votre vie sera bien meilleure, et ce, à tous points de vue !
Valentin s'écroula, victime semble-t-il d'un malaise. Le général fit quérir immédiatement un médecin. Lorsque la porte du bureau s'entrouvrit, Valentin bondit à l'extérieure
de la pièce, en frappant au passage les deux suprêmes se tenant près de lui. Il se dirigea en courant vers les toilettes, s'empara de la hache accrochée sur le mur et démolit la cloison, afin de se faire un passage dans les conduits d'aération. Le général donna l'ordre de retrouver cet imbécile, il lui fallait vivant, tout au moins jusqu'à ce qu'ils récupèrent la formule. Valentin ne fut pas rattrapé. Il récupéra le document  tout bonnement laissé dans la boîte à gant de sa voiture, se procura une fausse identité et quitta la cité.
Il parcourut pas moins de dix-sept Etats, durant ses trois ans de cavales, vivant de petits boulots. Décidé à changer de continent, il profita de ses temps libres pour apprendre cinq langues et opta pour le continent sud. Après des courts séjours dans diverses régions, il entreprit de visiter, l'îlot treize, vanté par de nombreuses brochures touristiques.
Lorsqu'il posa le pied sur cette ile, il ignorait qu'il allait s'y installer. Pendant ses haltes à travers les différents États, l'ex suprême s'inventa des nouvelles identités, il en fit de même en arrivant sur l'île. Il s'appelait désormais Valentin Falgan, son vrai nom était Michael York... Il savait qu'ici comme dans n'importe quelle cité, l'Alliance pourrait le retrouver et il se devait de rester vigilant.
Un sentiment d'injustice concernant sa vie de fugitif l'habitait, il ne croyait plus à rien, ni aux lois ni aux beaux discours des politiciens rapportés dans les journaux...
Juste avant de se poser sur l'îlot treize, il s'était arrêté sur l'État sud seize et fait la connaissance de Michel, informaticien originaire du continent nord, vivant reclus dans les montagnes. Ensemble, ils passèrent des nuits à refaire le monde, devant de bonnes bouteilles de Brandy... Au cours d'une soirée, Michel se laissa aller à parler de son programme informatique conçu, il y a de cela douze ans, qui permettait de pénétrer dans n'importe quel système, mais pas en toute impunité. Cela l'obligea à prendre sa retraite précipitamment, car en se baladant sur un site top secret, il tomba sur certains fichiers compromettants pour les personnes au pouvoir de son État. Deux heures plus tard, il  échappa de justesse à un accident ou plutôt à une tentative d'assassinat... Une fois installé sur l'îlot treize, Valentin contacta régulièrement Michel via l'Atlas. Michel lui fourni entre autres, un programme de comptabilité simplifié pour son entreprise. Au fil des mois, leur amitié s'accrue et les confidences se multiplièrent. Valentin lui parla entre autre des raisons l'ayant forcé à quitter son Etat. Michel sembla très compréhensif et le félicita pour son choix, le qualifiant d'homme d'honneur. Il y a huit jours, Michel lui demanda de venir le voir, afin de l'entretenir d'une chose très importante et selon lui, le réseau de l'Atlas n'était plus assez sûr pour en discuter par ce biais. Valentin, qui n'avait pas eu un seul jour de repos depuis près de trois ans, s'autorisa une escapade. Il sollicita Kanu, pour qu'il surveille de loin ses affaires, prétextant se rendre au chevet d'un ami malade. Il ne croyait pas si bien dire... Il prit un avion et atterrit deux heures plus tard sur le continent sud. Au cours des quatre heures de train, nécessaire pour rejoindre la cité 36, il profita du magnifique panorama, qui ne cessait de varier au fur et à  qu'il traversait l'État 124. D'une cité moderne où les buildings régnaient en maître, succédaient des terres arides, puis la voie de chemin de fer longea la mer. Une heure après, les premiers massifs enneigés apparurent. Le paysage continuait sa mutation et la neige colorait de façon plus prononcée les cimes. Arrivé dans la cité trente-six, situé au pied de la chaîne de montagnes. Il emprunta la petite route sinueuse à l'aide d'un omnibus local et descendit au croisement du Trèfle. Il suivit le chemin tortueux menant à la forêt et se présenta quelque trente minutes plus tard, devant la porte en bois de la maison de son ami. Michel tarda à venir lui ouvrir et eut beaucoup de mal à marcher pour regagner son lit. Valentin ne s'attendait pas à le voir dans un tel état et sembla abasourdi. Michel, devant le regard inquiet de Valentin, lui rappela son âge et son léger penchant pour certaines boissons alcoolisées. Il ne fallait pas s'émouvoir de sa piètre condition physique... Michel demanda à Valentin de s'installer sur la chaise située près de son lit, précisa qu'il ne l'avait pas convié pour parler de sa santé et entreprit de lui raconter une incroyable histoire...
- Quelques jours avant de quitter l'État où je vivais, il y a de cela une dizaine d'années,  neuf ans, six mois et dix-sept jours si mes souvenirs sont bons, je suis rentré en contact via l'Atlas, avec des personnes utilisant le langage « Pascal» pour communiquer. Intrigué par ce codage informatique peu employé au cours des cents dernières années, je me suis empressé de répondre... Ces personnes prétendaient venir d'une autre galaxie. J'ai tout d'abord pensé à une farce, puis après de longs échanges, j'ai accepté de me rendre au rendez-vous fixé. Trois jours plus tard, je rencontrais des extra-terrestres : Les Nicoriens. Ils se révérèrent supérieurement intelligents et surtout pacifiques...
Valentin écoutait sans dire un mot ce récit invraisemblable, ne sachant pas s'il s'agissait d'un délire de son ami ou l'incroyable vérité. Michel sortit l'émetteur, caché sous son oreiller et continua.
- Depuis dix ans, sa couleur est restée identique, mais il y a de cela dix jours, elle a viré au rouge.
Il fixa Valentin quelques instants, cherchant à lire dans son regard, s'il avait saisi l'importance capitale de ce changement. L'absence de réaction de la part de son ami, l'incita à préciser la signification des couleurs.
- L'émetteur reste bleu, tant qu'ils ne sont pas dans notre système solaire et change de nuance au fur et à mesure qu'ils se rapprochent de la Terre...
Michel lui prit la main, tout en lui souriant exagérément.
- Oui, ils vont bientôt arriver...
Le visage de l'ex suprême s'assombrit d'un coup, celui de l'informaticien ne tarda pas à l'imiter. Valentin culpabilisa aussitôt, voyant dans sa réaction, la raison du mal-être de son ami. Ce dernier se massa subitement les cuisses, puis reprit une nouvelle fois la parole.
- Malheureusement, mes problèmes de jambes ne me permettent plus de me déplacer ! Comment pourrais-je leur être utile...
Valentin s'en rendit compte dés son arrivée. En regardant autour de lui, il constata le désordre régnant dans la maison et comprit que Michel se trouvait dans cet état depuis déjà un long moment.
- Des bergers m'apportent mes courses tous les dix jours, lorsqu'ils se relayent dans les pâturages. Pour le reste, une fermière vient de temps à autre faire ma lessive et un peu de ménage, contre un ou deux films téléchargés sur l'Atlas. Comme tu peux le remarquer, cela fait longtemps qu'elle n'est pas revenue.
Valentin regrettait que son ami ne lui ai pas parlé de ses problèmes de santé auparavant. Michel revint à son exposé sur les Nicoriens.
- J'ai récolté au cours de ces dernières années, de nombreuses informations sur cette planète, en grande partie en piratant le système informatique d'une organisation humanitaire, appelé l'Alliance...
Il s'arrêta, se redressa pour s'asseoir à côté de Valentin et enchaîna tout en fixant son ami..
- Je crois au hasard des rencontres, mais aussi à la destinée ! Je les ai rencontrés, on ne peut pas expliquer pourquoi et depuis je me sens chargé d'une mission, celle de les aider sur Terre. Malheureusement, je suis désormais, pratiquement infirme...
Il baissa la tête, et recommença à masser ses jambes.
- J'ai besoin de toi Valentin ! Je suis persuadé que tu feras un excellent guide. D'ailleurs si je ne m'abuse, tu excelles dans ce domaine sur l'îlot treize.
Valentin sourit malgré lui, puis son visage se ferma et il resta silencieux un bon moment, avant de reprendre...
- Je suis désolé Michel, j'ai à présent mes affaires... J'ai lutté pour me reconstruire une vie et je ne peux pas tout plaquer...
- Cela ne te demandera que quelques jours. Je ne sais pas pour quelle raison ils reviennent et je suis sûr qu'ils ne s'attarderont pas longtemps... Prends l'émetteur et ils te trouveront ! Regardes moi Valentin, je suis bloqué sur ce lit. Je ne pourrais rien faire pour eux. Donne-leur ce CD, il contient de nombreuses informations pouvant les aider lors de leur séjour sur terre, j'en suis certain !
Valentin arpenta la pièce de long en large, cherchant des arguments pour se dérober... Il n'en trouva pas et revint s'asseoir, au bout de quelques secondes auprès de Michel.
- Je ne sais même pas à quoi ils ressemblent !
- Ils portent de longues capes, les recouvrant complètement. Leurs peaux sont grises et extrêmement ridées et leurs yeux injectés de sang d'une couleur indéfinissable. Ils affirmaient à l'époque qu'il s'agissait des effets secondaires de leur voyage dans l'espace.
Peut-être auront-ils découvert un remède à ces maux... Cela n'a pas d'importance, ils te trouveront ! Il te suffit de porter l'émetteur.
Le portrait dressé par Michel ne rassura pas Valentin. Lorsque l'informaticien lui tendit à nouveau l'émetteur et le CD. Valentin hésita, puis devant l'insistance de son ami, se laissa convaincre. Il prit les deux objets et les rangea dans sa poche. Michel lui administra alors une petite tape amicale dans le dos et lui proposa d'aller chercher le whisky. L'ex suprême se leva et ramena la bouteille toute neuve de ce breuvage de quinze ans d'âge. Il éprouva par contre, un mal fou à trouver les deux verres, cachés sous les nombreux dossiers envahissant la table.
La fin de l'après-midi s'écoula, Michel et Valentin quelque peu enivrés, échangèrent leurs souvenirs respectifs, sans retenue, tout en se délectant d'une deuxième et bientôt d'une troisième bouteille. Pour quelques heures, ils étaient redevenus des enfants...
Valentin retourna sur l'îlot treize le lendemain soir. Après une nuit quasiment blanche et une matinée passée à refaire le monde, tout en dégustant de vieux biscuits rances, pour accompagner les trop nombreux verres de whisky ...
Il resta une journée sans entreprendre une quelconque activité, son besoin de récupérer le contraint à dormir douze heures sans interruption. Lorsqu'il recommença sa tournée des hôtels, il ne put s'empêcher de regarder, et ce, aussi bien en arrivant qu'en repartant, s'il n'y avait pas des personnes vêtues de capuche, rodant aux alentours des complexes hôteliers. Une fois sa journée de travail terminée, il se pressa pour rentrer chez lui, se changer et se rendit dans l'un des clubs appartenant à Kanu. Ce dernier venait de jeter son dévolu sur une danseuse de l'État soixante-sept. Natalia Sharapova qui parlait uniquement sa langue maternelle, Valentin devenait donc indispensable... Valentin enchaîna alors les soirées. Il rentrait très tard ou très tôt le matin et terminait la plupart de ses nuits en charmante compagnie, Natalia possédant de nombreuses amies... Valentin sentait, le manque de sommeil commencé à lui peser de nouveau et Il accueillit avec un certain soulagement le départ de Natalia. Kanu parut quelque peu affecté, toutefois, son coup de blues ne dura pas trop longtemps, deux jours après, il fit la connaissance d'une étudiante du quatorzième État... Parlant la même langue, il se passa des services de Valentin. Ce dernier reprit alors un rythme de vie beaucoup plus adapté à celui du chef d'entreprise et récupéra progressivement... Lorsque son esprit ne se trouvait pas accaparé par le travail, il imaginait la venue des extra-terrestres et se demandait où il pourrait les cacher. L'îlot treize comportait heureusement de nombreuses forêts et une végétation assez danse pour qu'il puisse espérer trouver une cachette pour ces visiteurs d'une autre galaxie.
Au cours de la semaine du vingt-trois au vingt-neuf juin, tous les hôtels de l'île affichèrent complet et une nouvelle contrariété se présenta... Lors de la réunion au « Grand hôtel Paradise», Valentin reconnut le commandant Lipi, accompagné de sa femme et de ses trois enfants, parmi les touristes. Tout le long de la présentation des excursions, il tenta de rester impassible, mais son regard ne cessait de se poser sur cet homme qu'il haïssait. Sa chevelure avait certes blanchi, mais le tic si particulier qu'il faisait, en remontant le coin de sa lèvre, ôtait tout doute concernant son identité. L'ex suprême chercha à se rassurer concernant sa nouvelle identité. Personne ne pourrait le reconnaître. Il avait à présent les cheveux longs, attachés en queue de cheval, le teint beaucoup plus mat et possédait même quelques bourrelets, au niveau du ventre... Cela changeait de ce suprême au corps affûté qu'il affichait il y a neuf ans. Valentin transpira malgré tout exagérément lorsque le commandant s'approcha du petit podium sur lequel il se tenait. Il respira profondément et demanda à son ex-coéquipier ce qu'il pouvait faire pour lui.
- Je suis intéressé par quatre des excursions, cependant, il faut me faire un meilleur tarif que celui prévu dans le package !
Valentin le regarda froidement en lui affirmant qu'il ne pouvait lui consentir une remise supplémentaire, ses prix demeuraient les plus bas du marché, pour une prestation de qualité supérieure... Le commandant Lipi parut étonné de voir un habitant de l'îlot s'exprimer aussi bien dans sa langue, il sortit une liasse et paya.
- Marchander fait partie des plaisirs des vacances, n'est-ce pas ?
Il récupéra les reçus et se renseigna sur l'heure de rendez-vous du lendemain matin.
Valentin recompta calmement les billets, les glissa dans sa sacoche qu'il portait en bandoulière et fixa le commandant Lipi.
- À neuf heures ! Sous le hall !
Le suprême s'éloigna et Valentin continua les encaissements. Il ne fut pas au bout de ses surprises, quand dans les deux hôtels suivants, il reconnut d'anciens partenaires, venu également en famille profiter du soleil.
Lorsqu'ils s'inscrivirent à leurs tours pour quatre excursions, ils sortirent comme le commandant des liasses de billets, juste après avoir tenté d'obtenir une remise supplémentaire. Valentin coup court à leur pratique en leur proposant d'aller se renseigner sur les tarifs des autres compagnies, les hommes se contentèrent de sourire et payèrent sans insister.  Une fois chez lui, il repensa à ses fins de mois difficile et comprit que désormais, fermer yeux dans le milieu de la police offrait de belles compensations ! Curieux de voir nombreux d'entre eux sur l'Ilot 13 en même temps, Il décida de mener lui-même le groupe dans lequel figuraient ses ex-partenaires.
À l'heure du regroupement, il organisa la répartition des touristes dans les minis bus devant les mener au petit port de Pad. C'est de là, qu'ils embarqueraient sur des bateaux ultras rapides, pour partir à la rencontre des baleines, migrant par ces eaux à cette période de l'année. Une fois dans le minibus, les hommes se rassemblèrent à l'arrière du véhicule, les femmes et les enfants à l'avant. Valentin tenta à plusieurs reprises d'écouter la conversation des suprêmes, mais les policiers arrêtaient nets de parler, lorsqu'il approchait. Sur les bateaux cigarettes, les familles se regroupèrent, les plus jeunes se tenant sur les genoux des parents et profitaient pleinement du spectacle féerique des mammifères marins, remontant à la surface en balayant les vagues de leurs queues, avec une grâce absolue. Valentin imagina un court instant sa vie, s'il ne s'était pas trouvé de l'autre côté du bloc de pierre. Il serait sans doute marié, collectionnerait comme tous les suprêmes, les aventures extra conjugales et sa femme n'aurait aucune idée de ses véritables activités professionnelles... En y réfléchissant, il ne regrettait pas cette vie, ni les choses terribles qu'il aurait sur la conscience. Car pour lui, ces policiers agissaient dans l'illégalité, couverts par une organisation ultra-puissante. De retour chez lui, il se connecta à l'Atlas et raconta à Michel ses rencontres avec ses ex-coéquipiers. II lui demanda de se renseigner concernant les véritables raisons de leurs présences sur l'île, il ne croyait pas à de simples vacances en famille. Il lui communiqua les noms des cinq suprêmes et attendit le résultat des recherches, assis sur une chaise longue, au bord de la plage située le long de sa maison construite sur pilotis. Il appréciait sa nouvelle vie. Certes, il travaillait beaucoup, mais ce sable, cette mer, cet ilot restait paradisiaque. Il lui manquait simplement une femme, des enfants, une famille, mais pour cela il lui faudrait tout d'abord tomber amoureux et il ne pouvait oublier Maelle, cette jolie institutrice, rencontrée lors d'un dîner chez des amis avec qui il entama une belle histoire. Juste avant la mission devant le conduire à l'usine désaffectée, ils avaient eu une discussion, Maelle souhaitait passer un cap dans leur relation, il promit d'y réfléchir et d'en parler à son retour... Il se demandait ce
qu'elle devenait. Lors de ses premiers mois sur l'îlot, il s'imagina la rencontrer, au moment de la présentation des excursions dans l'un des hôtels. Elle serait venue avec des amies, pour se changer les idées, peut-être lui aurait-il tout raconté, et demandé de rester. Lorsqu'il rentrait après une soirée un peu trop arrosée, le blues l'envahissait et il l'imaginait mariée, heureuse d'élever ses enfants à côté d'un mari attentionné. Il regrettait alors sa vie d'avant... Aider les gens en détresse et inciter ses semblables à respecter les lois lui semblait de nouveau le plus beau métier du monde. Quelques minutes plus tard, il se rappelait le peu d'agents de police intègre pour remplir ces missions et cela suffisait pour le ramener à la réalité. Il regarda sa montre, cela faisait plus d'une heure qu'il voguait dans ses pensées, il courut rejoindre le bureau sur lequel l'attendait son ordinateur. Michel avait pris de gros risques en s'introduisant dans les archives secrètes de cette unité d'élite. Un nouveau programme permettait au gendarme de l'Atlas de localiser les petits malins ayant réussi à pénétrer sur des sites top secret. Son ami se pensait indétectable et croyait son logiciel toujours aussi efficace, mais le danger persistait. Tous ses ex-coéquipiers appartenaient depuis une période plus ou moins longue, à la police de l'Alliance. Le commandant Lipi en faisait partie plus de quatorze ans et recrutait ses hommes au sein des suprêmes. Nicklan, le dernier arrivée, avait intégré l'unité d'élite en même temps que Valentin et sortait de la même promotion... Michel réussit même à s'informer sur les salaires de ces agents et cela expliquait le train de vie très élevé de ses ex-partenaires. L'informaticien lui apprit la raison de leur présence sur l'îlot treize. Ils ne s'agissait pas uniquement de vacances, ils étaient en mission. Un homme très influent sur l'ile refusait de vendre deux terrains à l'organisation, via une compagnie hôtelière. Ces mercenaires prévoyaient de lui forcer la main, car ces parcelles de terre devaient tomber au plus vite dans l'escarcelle de l'Alliance. Michel n'avait malheureusement pas réussi à savoir pour quelle raison cette organisation jetait son dévolu sur les terres appartenant à un certain Iscana Palaga et promettait d'approfondir ses recherches afin de le découvrir. Il avait également appris la vente, par l'État de l'ilot 13, de trois terrains voisins à ceux de cet homme. Valentin grimaça, le gouvernement laisserait donc faire les agents en toute impunité... Il sembla tout de même quelque peu soulagé quand son ami annonça le nom du propriétaire, il craignit un instant qu'il s'agisse de Kanu. Car, connaissant le personnage cela promettait un bain de sang sans précédent et bien qu'il tenait Kanu en haute estime, il doutait fortement de ses chances, face à ses ex-coéquipiers...
Valentin remercia Michel et se déconnecta. Il marcha de longues minutes le long de la plage, cherchant à se convaincre de ne pas s'en mêler. Malheureusement, il n'y parvint pas. Il refusait de laisser un homme se faire torturer ou pire, sa famille agressée. Il devait trouver des informations concernant cet Iscana Palaga et le prévenir...
La seule personne pouvant le renseigner rapidement se nommait Kanu. Mais comment justifier cette curiosité pour cet individu sans le mettre au courant de la présence sur l'île des suprêmes et de leur projet ? Plus de cinq ans fut nécessaires pour qu'il lui accorde sa totale confiance et il ne souhaitait pas tout gâcher en lui posant trop de questions sur les personnalités influentes de l'îlot 13...
Valentin prit part à la deuxième excursion et resta très attentif aux comportements de ses ex-coéquipiers. Lorsque le mini-bus ramena les touristes à leurs hôtels, un appel téléphonique perturba la vie du groupe et leurs visages s'assombrirent. À tour de rôle, ils rencontrent l'organisateur des excursions du lendemain, pour lui demander de prendre bien soin de leur petite famille, car ils ne pourraient participer au voyage du lendemain. Ils précisèrent ne pas vouloir être remboursés, mais désiraient en contrepartie une plus grande attention de sa part pour leurs proches. Valentin savait à présent qu'une opération se dessinait. Il se rendit le soir même dans le club où Kanu dînait régulièrement en compagnie de la conquête de la semaine. Son ami, agréablement surpris de le voir,  s'excusa auprès de sa compagne du jour et lui proposa d'aller commander l'un de ces cocktails dont elle raffolait. La jolie jeune femme aux yeux verts se dirigea nonchalamment vers le bar. Ses longs cheveux noirs bouclés flottait sur sa robe rouge moulante, au rythme de ses déhanchements endiablés attirèrent inévitablement les regards des clients, Kanu ne s'en soucia pas et s'approcha de son ami. Devant l'air soucieux de Valentin, Kanu demanda les raisons de sa triste mine. L'ex suprême hésita avant de répondre, avala d'un trait son verre, puis entreprit de tout lui raconter.
- J'ai appris la présence d'un commando venu obliger un riche propriétaire à vendre un de ses terrains à une soi-disant compagnie hôtelière. Cette dernière appartient en fait à une organisation hyper puissante. Je voudrais prévenir cet homme du danger qui le guette !
Kanu fronça les yeux, sa physionomie changea tout d'un coup, ses traits se tirèrent. Sous la lumière tamisée du club, Valentin put lire pour la première fois de la colère sur le visage de son camarade, il lui faisait tout un coup peur !
- Pourquoi souhaites-tu l'aider ? Et puis ça n'a pas d'importance ! Donne-moi le nom de celui auquel ces soldats veulent s'en prendre !
Valentin hésita, puis devant le regard noir de son ami, lâcha le nom d'Iscana Palaga. Il ajouta qu'il ne désirait pas se mêler d'affaire ne le concernant pas, mais il ne pouvait se résigner à laisser cet homme dans l'ignorance... Kanu brisa son verre, par la simple pression de ses doigts. La clientèle des lieux, attirée par le bruit, s'empressa de regarder dans leur direction. Valentin se leva et quitta la salle, pendant que le serveur accourait pour proposer un pansement à son patron. Kanu le renvoya, s'essuya rapidement avec l'une des serviettes à l'effigie du club et sortit pour rejoindre Valentin, sous le regard médusé des clients et de sa compagne assise au bar.
- Valentin !
L'ex suprême se retourna, respira profondément et s'adressa à Kanu, en gardant la tête baissée, de peur d'affronter les yeux noirs de son ami.
- Tu connais cet homme n'est-ce pas ? Demain, cinq personnes, peut-être plus, vont s'en prendre à lui, à sa famille ou encore à ses affaires, ils l'obligeront à signer l'acte de vente ! Je souhaitais juste le prévenir... Le commando ne sera pas inquiété par la police, l'organisation pour laquelle ils travaillent a passé un accord avec le gouvernement de
l'îlot 13... Que voulais-tu que je fasse ? Que je garde cela pour moi et que j'apprenne dans les journaux la mort d'un innocent ou de l'un des membres de sa famille ?
Kanu se trouvait à la hauteur de Valentin, il lui posa la main non blessée sur l'épaule et parla calmement.
- Sois tranquille ! L'homme sera prévenu ! À présent, marchons le long de la plage...
La chaleur associée à l'humidité de l'air rendait cette promenade désagréable. À chaque nouveau pas, des gouttes de sueur supplémentaires apparaissaient sur le front de Valentin. Kanu semblait légèrement plus habitué à cette moiteur ambiante. Il s'arrêta malgré tout, s'essuya la main avec la serviette et s'assit, demandant à Valentin d'en faire autant.
- Cela fait combien de temps que nous nous connaissons ?
- Près de six ans, je crois. Oui, je venais à peine d'arriver sur l'îlot quand...
- Six ans ! C'est long n'est-ce pas ?
- Cela commence en tout cas !
- Avec une femme, je ne suis jamais resté fidèle plus de neuf jours. J'ai calculé !
Valentin se mit à sourire, tout en continuant a regarder les vagues mourir à quelques centimètres de leurs pieds. Il tourna légèrement la tête, au loin, sur la gauche se dessinaient les côtes de la cité principale, les lumières qu'il apercevait, lui rappelaient vaguement celle de la grande agglomération d'où il venait.
- En amitié par contre, j'ai toujours été fidèle, tout au moins jusqu'à ce que la personne me déçoive ! Mais avec toi Valentin c'est différent ! Je ne sais plus !
Kanu regardait à son tour en direction de la mer, cherchant certainement des réponses à cette question.
- Au début, je t'ai cru un de ces paumés recherchant simplement le soleil et le farniente ! Puis lorsque j'ai appris que tu parlais cinq langues, je me suis ravisé, tu pouvais être un espion, au service de l'un de mes nombreux ennemis... Enfin, en voyant que tu désirais monter ton affaire pour t'installer durablement sur l'ilot 13 , je me suis dit que tu devais être un fuyard ! J'en ignorais les raisons et ne voulais pas les connaître, car tu étais mon ami !
Kanu prit une poignée de sable et desserra lentement les doigts, de façon à ce qu'il puisse s'écouler tout doucement. Une fois la main vide, il fixa la mer en s'adressant à Valentin.
- Ce soir, j'ai besoin de savoir qui tu es ! Un fuyard ne se mêlerait pas des problèmes rencontrés par inconnu ! Un espion encore moins ! Et un paumé n'aurait même pas tendu l'oreille ! Il est tant que les masques tombent n'est-ce pas ?
Valentin regarda Kanu, puis de nouveau la mer.
- Commence et j'en ferai de même !
Kanu se redressa, surprit par le ton employé par Valentin. Il le fixa dans les yeux, hésita, puis prit la parole :
- Ce n'est pas dans cet ordre que je voyais les choses, mais pourquoi pas ! J'ai passé les premières années de ma vie dans un orphelinat, je m'en suis échappé lorsque j'ai reçu une correction, pour m'être battu avec un garçon beaucoup plus grand. Il voulait m'obliger à le toucher... J'ai rejoint alors les bandes de délinquants et j'ai survécu à la rue !
Le ton de sa voix se fit plus dur.
- À douze ans, j'ai monté mon propre gang. En faisant couler beaucoup de sang, nous avons gagné rapidement des territoires. Il s'arrêta quelques instants, respira profondément et reprit.
- Plusieurs fois, j'ai dû me battre jusqu'à la mort et montrer que j'étais le seul chef possible.... À treize ans j' ai fait mon premier séjour en prison, cela m'a valu de faire la connaissance de voyous d'un autre calibre, ceux que l'on rêve de devenir lorsque l'on vit dans la rue. J'ai appris à lire, à écrire et à maîtriser parfaitement les chiffres. À ma sortie, j'ai quitté le gang, reconverti dans la drogue, et j'ai rempli, grâce aux recommandations de mes nouveaux amis rencontré en prison, plusieurs contrats pour des hommes très influents. J'ai gagné beaucoup d'argent et investi dans les terrains, car vois-tu Valentin, j'aime mon Île plus que quiconque ! Je persuadais les propriétaires de me vendre, au prix que j'avais fixé, leurs terrains. En échange, je leur garantissais la sécurité de toutes leurs affaires, contre la mafia locale et les voyous. Quelques contrats plus tard, j'ai monté les premiers hôtels en partenariat avec mes employeurs. Durant cette période, des hommes politiques ont fait appel à mes services et en échange, j'ai profité de nombreuses opportunités en acquérant pour des sommes dérisoires et en toute légalité plusieurs terrains. Les permis de construire suivaient et les matériaux nécessaires pour la réalisation de mes projets, facturés aux partis pour qui J'avais en quelque sorte travaillé. J'ai enfin pu prendre mon essor ! Pour ce faire, il a fallu que je contraigne mes anciens associés de me laissé évoluer seul. Cela restera l'un des moments les plus pénibles de mon existence !
Kanu pinça les lèvres, puis se reprit...
- Une petite guerre entre amis éclata et de part et d'autre il y eut des victimes. J'ai tenu, pas eux... Ils avaient sans doute beaucoup plus à perdre que moi ! Un pacte fut signé et à présent tout est rentré dans l'ordre. J'ai même offert peu de temps après la séparation, les parts que je détenais dans trois de leurs hôtels, à leur famille... Je les croise de temps à autre lors de réunions établies par le ministère du Tourisme, afin d'organiser la promotion de l'ilot 13 et tout se passe très bien, sans plus aucune animosité !
Kanu fixa Valentin, cherchant à lire dans ses yeux.
- Oui Valentin ! Je suis un bandit de grand chemin, comme on appelle les hommes tels que moi dans ton État ! J'ai fait des choses peu recommandables et monté en contrepartie un petit empire ! Je ne laisserai personne me le prendre ! J'aide les orphelins et les enfants de la rue en leur proposant un travail des plus honnêtes, au sein de mes hôtels. Certains acceptent, d'autres préfèrent la facilité et restent dans l'illégalité. Deux sont devenus au bout de quelques années, directeurs de deux de mes hôtels et j'en suis fière ! C'est ma maigre contribution envers les enfants sans familles et je ferai tout pour en sortir un maximum des rues, où l'espérance de vie ne dépasse pas dix-sept ans. Car vois-tu, entre la drogue, les règlements de comptes ou la famine, très peu arrive à la majorité ! Voilà Valentin! Tu sais tout sur moi ! Ah oui ! J'oubliais ! Je suis Iscana Palaga, alias Kanu.
Valentin baissa alors la tête, visiblement affecté. Il leva les yeux, regarda autour d'eux pour vérifier qu'aucune personne ne puisse entendre ce qu'il allait dire.
- Je suis désolé Kanu, ces hommes sont bien plus puissants que tous les voyous que tu as croisés ! Ils ont l'immunité et une organisation derrière eux !
- Tu parles de l'Alliance ? Je n'ai peur de personne, je te le répète !
Valentin fut une nouvelle fois surpris, Kanu connaissait l'Alliance, toutefois, il sous-estimait son pouvoir !
- Je n'ai jamais été un simple baroudeur ! Encore moins, un repris de justice, pas plus qu'un espion ! J'étais policier, le plus jeune officier à être recruté par les suprêmes, une unité d'élite. Au cours d'une opération devant permettre l'arrestation de criminels détenant des secrets d'État, j'ai été témoin de l'assassinat de toute une famille ! Le père, avant de mourir, m'a tout raconté et m'a confié les documents soit disant volés. Il s'agissait en fait de ses recherches sur une bombe d'une puissance sans précédent, car il travaillait comme chercheur au laboratoire Lyncks, pour le compte du gouvernement de l'État 72. L'alliance a tout d'abord cherché à lui subtiliser ses études, puis à tenter de le corrompre. Au moment où l'homme me mettait dans la confidence, mon supérieur se trouvait à l'extérieur du bâtiment fragilisé par les explosifs auxquels nous avions eut recours. À l'aide de son talkie-walkie, il m'a ordonné de récupérer les documents et d'éliminer les présumés voleurs ! Je n'ai pas répondu et quelques minutes plus tard le bâtiment s'écroula.
J'avais par chance sauté par la fenêtre et atterri sur un tas de sable. Mes partenaires qui se trouvaient réuni à l'extérieur, à quelques encablures de l'endroit où je venais de me réfugier tinrent des propos qui me glacèrent le dos. J'ai quitté discrètement les lieux, récupéré de ma chute durant plusieurs jours, puis je me suis présenté au siège des suprêmes, afin de raconter les faits réels au colonel.
- Tu étais bien naïf Valentin !
- ... Je devais soit rentrer dans le rang, soit compromettre ma carrière ! Lorsqu'il m'ordonna d'aller chercher les documents de ce pauvre chercheur, je me suis enfui.
- Et tu as atterri ici ?
- Pas exactement, j'ai tout d'abord traversé plusieurs États, puis voulu connaître d'autre continent, assimilant au passage les langues que l'on y pratiquait. Suite à la lecture d'un article vantant l'ilot 13, en la présentant comme un lieu paradisiaque où il faisait toujours beau et dont les habitants se montraient si accueillants, j'ai décidé de m'y rendre.
Un silence s'installa. Ils fixèrent l'horizon, cherchant à analyser les confidences de l'autre.
Puis, Kanu souhaita approfondir certaines choses...
- Comment as-tu fait pour être au courant des intentions de ces hommes ?
- Lorsque j'ai reconnu, mes anciens coéquipiers durant l'une de mes présentations dans les hôtels, j'ai contacté un ami informaticien, rencontré lors de mon séjour sur le continent Sud. Comme moi, il commençait une nouvelle vie... En pénétrant via l'Atlas, grâce à son brouilleur, sur le site confidentiel de l'Alliance, il m'a confirmé soupçonnais. Les suprêmes ne se trouvaient pas uniquement sur l'îlot 13 pour passer des vacances, is devaient aussi contraindre Iscana Palaga à céder ses terrains...
Kanu se leva subitement en lui coupant la parole.
- Valentin ! Nous reprendrons cette conversation plus tard, je dois m'occuper de ce commando !
Valentin se mordait la lèvre, il redoutait la façon de procéder des agents de l'Alliance...
- Ils vont taper là où cela risque de te faire le plus mal ! Comme tu n'as aucune famille, ils s'en prendront à tes affaires. Résidant pour certains d'entre eux au « Paradise», ils ne tenteront rien contre celui-là. Par contre, ils peuvent brûler un des autres hôtels et laisser croire à un attentat, braquer les caisses des casinos ou brutaliser des touristes en se faisant passer pour des voyous locaux !
Kanu semblait pour la première fois pris de cours, il continua à écouter Valentin sans l'interrompre.
- Ces vagues de violences, obligeront le gouvernement à intervenir. Les politiciens au pouvoir demanderont de faire le nécessaire pour régler cette affaire, sous peine de plonger l'ilot 13 dans une crise sans précédent. L'île ne peut vivre sans tourisme, le gouvernement, le sait, tu le sais et les suprêmes également... Tes amis te forceront à accepter la proposition du groupe agissant pour l'Alliance. Voilà comment cela va se terminer !
Kanu bouillait intérieurement, il ne pouvait ignorer l'analyse de Valentin. Ses propos demeuraient sensés, l'îlot treize ne se relèverait pas si une vague de violence touchait le tourisme... Ce secteur représentait plus de la moitié de ses revenus. Malgré sa
renommée, il ne pourrait se dresser contre tous les dirigeants et se résoudre à voir son Île mise en quarantaine par les tours opérators... Il devait agir vite et attaquer le premier.
- Je vais tous les tuer !
- D'autres prendront leurs places. Non, il te faut procéder autrement. Hypothèque dès demain tes terrains lors d'une demande de prêt à une banque d'État !
- Pour quelle raison ? Je possède tellement d'argent sur mes comptes...
- Tu prétexteras ne pas vouloir toucher à ton argent et négocieras des taux extrêmement bas, pour engager des travaux de rénovation sur ton parc hôtelier. D'ailleurs, je te signale au passage que bon nombre de clients se plaignent de la vétusté du « Mirage palace »
Kanu fit de grands gestes...
- Quoi ! Il n'a que... C'est vrai ! Peut-être qu'une rénovation s'impose ! Son directeur me l'a souvent demandé depuis six mois. Mais ce n'est pas le moment d'aborder ce sujet !
Des silhouettes apparurent au bout de la plage, Kanu fit signe à Valentin de le suivre, ils se cachèrent derrière une barque. Kanu sortit son revolver et le pointa en direction des trois individus se dirigeant vers eux. Leurs démarches paraissaient bizarres et la lune voilée par de gros nuages ne permettait pas de distinguer leurs identités. Valentin posa une main sur l'arme de Kanu et le regarda d'un air compatissant.
- Attends, je dois te parler d'autre chose et j'ai bien peur que cette fois-ci, tu refuses de me croire...

LA TRILOGIE NARCOR :  Tome II: Ultime Chance Where stories live. Discover now