Chapitre 10 : Le jeu des ombres

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Cley se força à retourner à leur routine habituelle, suivant les conseils d'Alec. Chaque jour, ils participaient aux sessions de thérapie, échangeaient quelques mots avec les autres patients, et passaient de longues heures dans le jardin, essayant de retrouver un semblant de calme. Mais malgré leurs efforts, une tension palpable habitait chacun de leurs mouvements. Chaque couloir qu'ils empruntaient semblait plus étroit, chaque visage croisé plus méfiant. L'image de l'homme en manteau gris, cet inconnu si familier, ne quittait pas leur esprit.

Plusieurs jours passèrent sans signe de lui, comme s'il n'avait été qu'une apparition fugace. Pourtant, Cley savait, quelque part au fond d'eux, qu'il reviendrait. C'était inévitable. Chaque soir, en fermant les yeux, ils s'imaginaient ce moment, tentant de deviner ce qu'il voulait, pourquoi il était ici, pourquoi maintenant.

Ce matin-là, le temps était gris, assorti à leur humeur. Ils se dirigèrent vers le réfectoire pour le petit déjeuner, essayant de garder l'esprit clair, même si Alec veillait toujours en arrière-plan, prêt à intervenir. Les patients s'installaient à leur place habituelle. Cley choisit une table dans un coin, loin du brouhaha. Alors qu'ils prenaient une bouchée de pain, une ombre passa à côté d'eux. Ils levèrent les yeux, et leur cœur s'arrêta.

L'homme en manteau gris se tenait juste là, à l'autre bout de la pièce. Cette fois, il ne faisait pas semblant d'être un visiteur anodin. Il fixait Cley avec intensité, ses yeux brillants d'une reconnaissance indiscutable. Cley sentit le sol se dérober sous eux.

"Il est là," murmura Alec dans leur tête, sa voix tendue mais prête à agir. "Reste calme."

L'homme se dirigea lentement vers eux, traversant la pièce avec une assurance effrayante. Cley avait envie de fuir, mais leurs jambes refusaient de bouger. Les murmures des autres patients s'effacèrent, ne laissant que le son des pas de l'homme résonner dans leur tête. Il arriva enfin à leur hauteur, se tenant juste en face d'eux, avec un sourire énigmatique.

"Salut, Cley," dit-il, sa voix profonde et étrangement familière. "Ça fait longtemps."

Cley sentit leur gorge se nouer. Ce n'était pas juste une apparition du passé. Cet homme savait exactement qui ils étaient.

"Je crois que tu te trompes de personne," répondit Cley, la voix tremblante, espérant qu'il partirait.

Mais l'homme secoua la tête avec un sourire amusé. "Oh non, je ne me trompe pas. Tu es bien Cley, ou du moins, c'est ainsi que tu te fais appeler maintenant."

Les mots de l'homme sonnèrent comme une menace déguisée. Il savait. Il savait des choses que même Cley avait oublié, ou refusé de se rappeler.

"Laisse-moi prendre le contrôle," insista Alec, mais Cley hésita. Ils voulaient comprendre avant d'agir.

"Qu'est-ce que tu veux ?" demanda finalement Cley, le cœur battant à tout rompre.

L'homme s'assit en face d'eux, comme s'ils étaient en pleine conversation ordinaire. "Je veux juste parler. On a un passé en commun, toi et moi. Tu ne te souviens peut-être pas, mais j'étais là à une époque où tout semblait différent pour toi. J'ai joué un rôle dans ta vie. Un rôle que tu as préféré oublier."

Cley sentit une douleur sourde monter en eux, des images vagues, des sensations floues qui refaisaient surface. L'enfance. La peur. La confusion.

"Qui es-tu ?" demanda Cley, la voix faible.

L'homme se pencha en avant, son regard perçant directement dans celui de Cley. "Je m'appelle Jonas. Je faisais partie de ta vie... avant que tout ne s'écroule. Avant que tu commences à entendre ces voix. Et je pense que je peux t'aider."

Le nom fit écho dans l'esprit de Cley comme un coup de tonnerre. Jonas. Ce nom réveillait des souvenirs enfouis profondément dans leur mémoire, des moments qu'ils avaient choisi d'enterrer, des morceaux d'une enfance marquée par le chaos. Des flashes leur revenaient : un visage sévère, des mots durs, une main tendue puis retirée, toujours trop tôt.

"C'est lui," murmura Alec, sa voix tremblant de colère. "Il te veut du mal, Cley. Il a toujours été comme ça. Ne l'écoute pas."

Mais malgré la méfiance d'Alec, quelque chose en Cley les poussait à écouter. À comprendre. Pourquoi Jonas était-il ici ? Que voulait-il vraiment ?

"Pourquoi maintenant ?" demanda Cley, leur voix plus stable malgré la peur qui les rongeait. "Pourquoi es-tu venu ici, dans cet hôpital ?"

Jonas se redressa, son sourire disparaissant, laissant place à une expression plus sérieuse. "Parce que tu es en danger, Cley. Je t'observe depuis longtemps. Je sais ce que tu traverses. Ces voix dans ta tête, elles ne sont pas là pour t'aider. Elles te détruisent. Et tu le sais."

Cley écarquilla les yeux, un froid glacial traversant leur colonne vertébrale. C'était comme si Jonas savait tout. Il parlait de leurs luttes intérieures, des voix, comme si elles n'étaient que des ennemies à abattre.

"Je peux t'aider à te débarrasser d'elles," continua Jonas, calmement. "Je peux te ramener à ce que tu étais avant tout ça. Avant que tu ne te perdes."

Cley restait figé, partagé entre l'envie de hurler et celle de fuir. Alec, dans leur esprit, bouillonnait de rage. "Il ment. Il ment toujours. Ne l'écoute pas, Cley. Laisse-moi m'occuper de lui."

Mais une autre voix, plus douce, résonna en eux. Lily. "Sois prudent, Cley. Il y a peut-être une part de vérité dans ce qu'il dit. Mais ce n'est pas à lui de décider ce que tu dois devenir."

Cley inspira profondément, essayant de rassembler leurs pensées. Ce Jonas connaissait des choses, des vérités qu'ils avaient passé des années à éviter. Mais pouvaient-ils vraiment lui faire confiance ? Pouvait-il vraiment les aider, ou ne cherchait-il qu'à les manipuler une fois de plus ?

Ils se levèrent lentement, leur cœur battant si fort qu'ils pouvaient l'entendre résonner dans leurs oreilles. "Je n'ai pas besoin de ton aide, Jonas," dirent-ils, essayant de garder leur voix ferme. "Je suis peut-être perdu, mais ce n'est pas toi qui va me retrouver."

Jonas se leva à son tour, un sourire froid aux lèvres. "Très bien. Mais souviens-toi de mes mots, Cley. Quand tu seras au bord du précipice, je serai là. Et peut-être que ce jour-là, tu seras prêt à m'écouter."

Il tourna les talons et quitta le réfectoire, laissant Cley seul, leur esprit en ébullition. Une nouvelle menace venait de surgir, et avec elle, des secrets du passé, enfouis, mais jamais vraiment disparus. Le jeu des ombres ne faisait que commencer.

Dans les ombres de soiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant