Chapitre 13 : L'éveil de l'ombre

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Le bruit sourd des éclats d'écran résonnait dans la salle commune. Une télévision, vieille et déréglée, projetait des images violentes et distordues dans la pénombre de la pièce. Cley était assis·e en retrait, légèrement enfoncé·e dans le vieux canapé en cuir, les yeux fixés sur l'écran sans vraiment le regarder. Autour d'eux, quelques autres patients étaient éparpillés, certains captivés par le film qui jouait, d'autres perdus dans leurs pensées.

C'était une fin d'après-midi étrange, lourde. Il pleuvait dehors, et cette sensation d'enfermement commençait à peser sur Cley. Leur esprit, déjà tourmenté par les souvenirs récents de Jonas, semblait osciller entre le présent et le passé, se disloquant un peu plus à chaque instant. Alec avait été inhabituellement silencieux aujourd'hui, et Lily s'était retirée depuis le matin, laissant Cley face à une solitude intérieure inhabituelle.

Sur l'écran, une scène brutale d'un film d'action venait de commencer. Une bagarre violente entre deux hommes s'acharnait, les coups s'enchaînant dans un crescendo de brutalité. Les images étaient rapides, les sons, agressifs. Cley sentit leur cœur battre un peu plus fort, le rythme de la violence se synchronisant avec quelque chose de profond, de caché en eux.

Au début, ce n'était qu'un murmure, une vague sensation d'inconfort, un frisson qui parcourut leur échine. Puis, peu à peu, cette impression se fit plus précise. Un poids dans leur poitrine. Une chaleur sourde qui montait, montant à chaque coup porté à l'écran. Un nouveau murmure, distinct cette fois, se fraya un chemin dans leur esprit.

"Ils sont faibles, tous. Trop faibles."

Cley fronça les sourcils. Ce n'était pas Alec. Ni Lily. C'était... quelqu'un d'autre. Une voix qu'ils n'avaient jamais entendue auparavant, grave, sourde, presque inhumaine.

"Ils méritent ce qui leur arrive," continua la voix, implacable. "Il faut leur faire comprendre la force. La vraie."

La scène à l'écran s'intensifia. Le personnage principal frappait encore et encore, le visage tordu par la rage. Les bruits de coups résonnaient avec violence, et à chaque impact, Cley sentait cette nouvelle présence grandir en eux, s'imposant comme une ombre s'étendant sur leur conscience.

"Cley, il faut partir." La voix de Lily réapparut brièvement, douce et inquiète. "Quelque chose ne va pas. Sors de là."

Mais ils étaient figé·e, incapable de bouger. Le film, la violence, cette présence qui se réveillait en eux, tout cela les clouait sur place. Leur respiration devint plus lourde, leur vision plus étroite. Ce n'était plus eux qui regardaient l'écran, mais quelque chose d'autre en eux, une entité qui ne demandait qu'à se libérer.

"Assez parlé." La voix, plus forte, plus affirmée, prit le contrôle. "Je suis là maintenant."

Cley sentit une déchirure, comme si leur esprit se fracturait encore une fois. Mais cette fois, ce n'était pas comme Alec ou Lily, pas une voix réconfortante ou protectrice. Non. C'était une force brute, une rage contenue, une violence primitive qui s'était lentement nourrie de toutes les frustrations, les peurs et la colère que Cley avait refoulées au fil des années.

Leur corps se tendit, et soudain, tout devint étrangement clair, presque calme. Ils se levèrent brusquement du canapé, sous les regards interrogateurs de quelques patients autour. Leur vision se focalisa sur un des patients, un homme qui ricanait en regardant le film, totalement absorbé par la violence à l'écran. Cley ressentit une pulsion étrange, comme une envie irrépressible, un désir de faire taire ce rire.

"Tu vois ce qu'ils sont ?" murmura la nouvelle voix. "Des bêtes qui rient de la souffrance. Ils ne valent rien. Tu peux les écraser."

Ils se sentaient hors d'eux-mêmes, leur conscience flottant quelque part en arrière-plan. Chaque pas qu'ils faisaient semblait appartenir à quelqu'un d'autre. Leur main se serra en poing. La tension était palpable dans leur corps. Un sentiment de puissance les envahissait.

"Tu peux le faire," répétait la voix, plus insidieuse encore. "Fais-le. Ils ne peuvent pas te résister."

Cley s'approcha du patient ricanant, leur respiration devenue lourde, le regard fixe. Tout en eux réclamait de la violence. L'image du film, la brutalité, avait éveillé quelque chose d'irrépressible. Une pulsion meurtrière. L'homme ne les remarqua même pas jusqu'au moment où Cley se tenait juste derrière lui.

"Frappe." La voix siffla dans leur tête.

Juste avant que Cley n'agisse, un bruit soudain interrompit la tension : une porte s'ouvrit. Samira, toujours présente dans les couloirs, entra dans la salle de télévision pour faire sa ronde habituelle. Son regard tomba sur Cley, et elle comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas.

"Cley ? Qu'est-ce que tu fais ?" demanda-t-elle doucement, sa voix prudente mais autoritaire.

Leurs poings se desserrèrent lentement, et ils clignèrent des yeux, comme s'ils sortaient d'un rêve éveillé. La tension dans leur corps ne disparaissait pas, mais la présence de Samira ramenait un semblant de contrôle. Le murmure de la voix s'atténua, mais elle ne disparut pas. Elle était là, quelque part, prête à revenir.

"Tu es faible," murmura-t-elle en s'effaçant lentement. "Mais je reviendrai."

Cley cligna à nouveau des yeux, retrouvant un peu de lucidité. Leur cœur battait encore rapidement, leur esprit embrouillé par ce qui venait de se passer. Ils ne savaient pas exactement ce qui les avait traversés, mais ils savaient une chose : quelque chose de nouveau, de dangereux, venait de s'éveiller en eux.

"Cley, tu veux bien venir avec moi ?" demanda Samira avec douceur, s'approchant lentement, comme si elle craignait de les brusquer.

Ils acquiescèrent faiblement, les jambes tremblantes. Ils se laissèrent guider hors de la salle, loin du film, loin des images violentes qui avaient réveillé cette nouvelle part d'eux-mêmes. Mais ils savaient que ce n'était pas fini. Ce nouvel alter, cette entité remplie de violence et de haine, n'avait fait que s'éveiller. Et ils ignoraient quand il reviendrait.

Dans les ombres de soiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant