Dans les ombres de soi

Chapitre 12 : Les échos du présent

La nuit était tombée sur l'hôpital psychiatrique, enveloppant les lieux dans une obscurité paisible. Le calme extérieur contrastait violemment avec la tempête intérieure qui grondait en Cley. Après avoir replongé dans les souvenirs douloureux de leur enfance, une fatigue écrasante les avait submergés, mais le sommeil ne venait pas. Les événements récents, la réapparition de Jonas, les fragments de leur passé, tout revenait en boucle.

Allongé·e sur leur lit, Cley sentit l'inquiétude se resserrer autour d'eux comme un étau. Les souvenirs réveillés par la rencontre avec Jonas n'étaient pas qu'une simple réminiscence ; c'étaient des échos d'une douleur jamais vraiment soignée, des blessures qui n'avaient fait que s'accumuler. Ils savaient que leur passé était un puzzle complexe, fragmenté par les différents aspects de leur esprit, mais aujourd'hui, ces pièces semblaient s'assembler avec une précision terrifiante.

"Cley," murmura la voix douce de Lily. "Tu es épuisé·e. Tu devrais te reposer."

"Il est là," rétorqua Alec brusquement. "Il attend que tu baisses la garde. Ne le laisse pas entrer."

Ils restèrent silencieux·ses, partagé·e entre ces deux forces contradictoires. Une partie d'eux voulait se laisser aller, fermer les yeux et abandonner cette lutte intérieure pour quelques heures. Mais une autre partie, plus profonde, les poussait à rester vigilant·e, à ne pas ignorer le danger imminent.

Soudain, un grincement léger se fit entendre depuis le couloir. Cley se redressa d'un coup, tendant l'oreille. Quelqu'un approchait. Leur cœur s'accéléra, chaque battement résonnant dans leur tête. L'ombre de Jonas flottait toujours dans leur esprit, et ils ne pouvaient s'empêcher de craindre que ce soit lui.

Les pas se rapprochèrent, puis une main frappa doucement à la porte.

"Cley, c'est moi, Samira."

La voix de l'infirmière de nuit les rassura un peu. Samira, toujours douce et attentive, avait souvent veillé sur eux, particulièrement lors des crises les plus dures. Cley hésita un instant, puis se leva pour déverrouiller la porte.

Lorsque Samira entra, ses yeux bruns se posèrent immédiatement sur eux, remplis de cette bienveillance qui la caractérisait. Elle tenait un dossier à la main et s'avança prudemment.

"Je voulais juste m'assurer que tout allait bien," dit-elle en fermant doucement la porte derrière elle. "Je t'ai vu dans le jardin aujourd'hui, tu avais l'air... troublé·e."

Cley hocha la tête, sans trouver les mots pour répondre. Samira s'assit sur une chaise près du lit, attendant patiemment que Cley s'ouvre.

"Jonas," finit par murmurer Cley, incapable de prononcer autre chose. "Il est revenu."

Le visage de Samira se durcit imperceptiblement à la mention de ce nom. Elle connaissait certaines parties de l'histoire de Cley, assez pour savoir que Jonas était une figure de leur passé, quelqu'un qui avait laissé des traces profondes. Mais elle n'en savait pas autant que Cley ou Alec.

"Jonas n'a jamais été un ami pour toi," dit Samira avec douceur, posant son dossier sur ses genoux. "Il a fait partie de ce qui t'a brisé autrefois, et je pense que tu le sais."

Cley baissa les yeux, sentant la vérité des mots de Samira. Ils le savaient, au fond. Mais la présence de Jonas dans l'hôpital avait réveillé un conflit qu'ils n'étaient pas sûr·e de pouvoir affronter seul·e.

"Pourquoi maintenant ?" murmura Cley, la voix pleine de confusion. "Pourquoi est-il revenu ?"

Samira prit une profonde inspiration avant de répondre. "Parfois, les personnes ou les souvenirs que nous avons refoulés ressurgissent à des moments où nous sommes vulnérables. Peut-être que c'est parce que tu commences à comprendre certaines choses sur toi-même, sur ton passé. Jonas fait partie de ce processus, même si c'est douloureux."

Cley serra les poings, sentant la colère et la peur se mélanger en eux. "Mais il me veut du mal," pensa-t-iels. "Il veut me contrôler." Pourtant, une petite part d'eux n'était pas sûre. Jonas n'était-il qu'un monstre, ou représentait-il quelque chose de plus complexe, de plus insidieux ?

"Il ment," intervint Alec brusquement dans leur tête. "Il a toujours menti. Il te manipule."

"Peut-être," ajouta Lily doucement. "Mais il fait partie de ton histoire. Il faudra l'affronter un jour."

Samira les regardait toujours, attendant que Cley s'exprime davantage. "Je sais que c'est difficile," dit-elle finalement. "Mais il faut que tu te concentres sur ta guérison, sur toi. Jonas n'a pas de pouvoir ici, pas tant que tu ne le lui donnes pas."

Cley voulut croire ces mots, mais ils sentaient l'ombre de Jonas planer au-dessus d'eux, comme une menace silencieuse qui les observait de loin.

"Et si je n'y arrivais pas ?" demanda Cley, la voix tremblante. "Et si je ne pouvais pas affronter ce qui s'est passé ?"

Samira posa une main légère sur leur bras. "Ce n'est pas une bataille que tu dois mener seul·e. Tu as des alliés ici. Moi, ton équipe médicale, et même ces voix qui t'accompagnent. Elles font partie de toi, elles t'ont aidé·e à survivre jusqu'ici. Mais maintenant, c'est toi qui doit apprendre à vivre avec tout cela, à faire la paix avec ce que tu es."

Cley hocha lentement la tête, les mots de Samira résonnant profondément en eux. Ils savaient qu'elle avait raison. Ils avaient toujours cherché à fuir, à échapper à leur passé, à Jonas, à Alec, à tout ce qui faisait partie de leur histoire. Mais à présent, il n'y avait plus d'échappatoire. La confrontation était inévitable.

Samira se leva et posa doucement son dossier sur la table de nuit. "Si tu as besoin de parler, je suis là," dit-elle avec un sourire rassurant avant de se diriger vers la porte. "Essaie de te reposer, Cley. La nuit porte conseil."

Cley la regarda partir, puis se recoucha, les yeux fixés sur le plafond. Ils savaient qu'ils ne dormiraient pas cette nuit. Trop de questions restaient en suspens. Trop d'ombres dansaient dans leur esprit.

Mais ils sentaient aussi, quelque part, un changement. Pour la première fois depuis longtemps, ils n'avaient plus peur de ce qui venait. Peut-être que l'affrontement avec Jonas n'était pas une fin, mais un début. Le début d'une nouvelle phase de leur vie. Une phase où ils ne fuiraient plus.