Chapitre 6 : Éclats de verre

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Le lendemain du cri dans la nuit, Cley se réveilla avec une sensation d'étrangeté, comme si une partie d'eux s'était déplacée pendant leur sommeil. Ils restèrent allongés un moment, scrutant le plafond. Tout semblait flou, presque irréel. Il y avait un poids inhabituel dans leur poitrine, un vide étrange dans leur esprit, comme si quelque chose manquait ou se cachait juste hors de leur portée.

Ils se levèrent et s'observèrent dans le miroir de la petite salle de bain attenante à leur chambre. Leur visage leur paraissait étranger. Les traits étaient les mêmes qu'hier, mais l'éclat dans leurs yeux semblait avoir changé. Ou bien c'était peut-être eux qui avaient changé ?

En sortant de la chambre, ils croisaient des visages familiers, mais leurs noms leur échappaient. Samira passa devant eux, un sourire rapide aux lèvres. Elle dit quelque chose, mais Cley ne comprit pas. Les mots semblaient lointains, comme si quelqu'un parlait sous l'eau. Ils firent un signe vague de la main et continuèrent à marcher, leurs pieds les guidant sans but précis.

Chaque pas les éloignait un peu plus d'eux-mêmes, comme si le sol se dérobait sous leurs pieds. À mesure qu'ils se déplaçaient, des souvenirs leur revenaient par fragments, mais déconnectés, comme des éclats de verre brisé. Ils voyaient des images de leur enfance, des moments d'intimité avec des amis qui semblaient à la fois proches et inaccessibles. Mais ces souvenirs ne leur appartenaient pas entièrement. Ils avaient l'impression de les observer de l'extérieur, comme si une autre personne les avait vécus.

Cley se retrouva finalement dans une salle commune, où plusieurs patients étaient assis en silence, absorbés dans des activités diverses. Une infirmière passa devant eux et les appela par leur prénom. Ils se tournèrent vers elle, mais leur nom résonna dans leur tête de manière étrange, comme si elle avait appelé quelqu'un d'autre. Un léger vertige les saisit. Le monde autour d'eux semblait se flouter, se dissoudre dans une brume légère.

"Est-ce que ça va, Cley ?"

Ils voulurent répondre, mais les mots ne sortirent pas. À la place, une voix intérieure s'éleva, douce et familière, mais différente de la leur.

"Je suis là."

Cley se figea. Leurs mains tremblèrent légèrement, et ils prirent une profonde inspiration. Cette voix... elle ne leur appartenait pas. Ils avaient déjà entendu des pensées passer comme des échos, mais c'était la première fois que quelque chose se manifestait avec une telle clarté.

"Tu n'as pas besoin de tout porter seul."

La voix était douce, presque réconfortante, mais aussi effrayante. Cley chercha un ancrage, un point de repère dans la pièce autour d'eux, mais tout semblait se brouiller. Ils regardèrent leurs mains, mais ces mains ne leur appartenaient plus vraiment.

Ils se levèrent brusquement, faisant tomber la chaise derrière eux. Les patients autour se tournèrent vers eux, les visages flous, les regards lointains. L'infirmière s'approcha, la voix pleine de préoccupation.

"Cley ? Est-ce que vous avez besoin d'aide ?"

Cette fois, quand ils ouvrirent la bouche, ce ne furent pas leurs mots qui en sortirent. C'était une autre voix. Plus ferme, plus assurée, et pourtant si étrange.

"Je vais bien," dit cette voix avec une froideur détachée. Cley sentit leurs lèvres bouger, mais c'était comme si quelqu'un d'autre contrôlait leur corps.

L'infirmière les observa, hésitante, puis acquiesça doucement avant de s'éloigner, visiblement troublée par ce changement soudain de comportement. Cley, quant à eux, se sentaient pris dans un tourbillon. Leur esprit était en désordre, une cacophonie de voix et de pensées qui se chevauchaient, se disputant l'espace.

"Laisse-moi faire. Je vais te protéger."

"Qui es-tu ?" murmurèrent-ils intérieurement, mais la question resta en suspens, sans réponse claire.

Cley sentit une autre présence se glisser dans leur conscience, plus dominante, plus sûre d'elle-même. Ils se regardèrent dans une vitre qui reflétait vaguement leur silhouette. Leurs yeux paraissaient différents, plus durs, plus perçants. Ils ne reconnaissaient plus cette personne qui les regardait.

Soudain, une série d'images leur traversa l'esprit : des moments où ils ne se souvenaient pas avoir agi, des trous noirs dans leur mémoire, des conversations où ils n'étaient plus eux-mêmes. C'était comme si des morceaux de leur vie leur avaient échappé, des fragments qu'ils n'avaient jamais vraiment contrôlés.

"Je suis toi, une partie de toi," murmura la voix.

Ils eurent envie de fuir, de se recroqueviller dans un coin, mais cette autre présence les en empêcha. Ils n'étaient plus seuls dans leur propre corps. Ils partageaient leur esprit avec quelqu'un d'autre, une part d'eux qu'ils ne comprenaient pas encore. Ce n'était pas une simple pensée intrusive, c'était une identité qui cohabitait avec la leur, prenant le contrôle par moments.

Sans trop savoir comment, Cley se retrouva à marcher vers leur chambre. Leurs mouvements étaient mécaniques, comme dictés par une force invisible. Lorsqu'ils atteignirent leur lit, ils s'effondrèrent dessus, haletants, terrifiés par ce qu'ils venaient de vivre. Leur cœur battait à tout rompre, et ils eurent l'impression d'étouffer sous le poids de cette nouvelle réalité.

Ils fermèrent les yeux, espérant que tout cela disparaisse, que ce ne soit qu'un mauvais rêve. Mais la voix était encore là, tapie dans l'ombre de leur esprit.

"Je ne suis pas un cauchemar. Je suis toi. Nous sommes plusieurs, Cley. Tu n'as jamais été seul."

Une vague de panique les submergea. Ils se recroquevillèrent sur eux-mêmes, tentant de repousser cette autre présence, mais elle persistait, ancrée profondément en eux. La dissociation, ce sentiment de ne plus être entier, s'accentuait de plus en plus. Leur esprit se fragmentait, se fissurait, révélant des morceaux de leur identité qu'ils n'avaient jamais voulu affronter.

Ils se balancèrent doucement d'avant en arrière, les bras autour de leurs genoux, cherchant à se rassurer. Mais au fond d'eux, ils savaient que cette lutte venait de commencer, et qu'ils devraient apprendre à naviguer entre ces différentes voix, ces différentes parties d'eux-mêmes. Parce que désormais, ils ne pouvaient plus prétendre que tout cela n'existait pas.

Dans les ombres de soiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant