Writober 2024

Jour 18 : Théâtre

     Il se tenait debout, le dos collé au mur du fond, le plus éloigné de la scène. Dans ses habits noirs, il espérait passer inaperçu mais il se doutait qu’Heskel le savait d’ors et déjà présent. Rare étaient les représentations dont les hybrides étaient les personnages principaux et Cadmiss était curieux.
     Le vampire rentra encore plus la tête dans les épaules quand des retardataires firent irruption et esquiva les regards mauvais qui se dirigeaient dans sa direction. Il n’était pas apprécié il le savait, il pouvait remercier son existence d’en être la cause. Ou du moins blâmer sa mère s’il ne voulait pas se sentir trop coupable. Cadmiss haussa les épaules et roula des yeux. Ce qui importait sur l’instant, était la caricature qui était en train de se jouer devant eux.
     Plusieurs vampires, habillés de haillons et imitant les humains, s’approchaient au ralentis des autres acteurs vampires qui jouaient le rôle des vampires de haut-rangs. Ils échangèrent des paroles insignifiantes, puis la scène changea drastiquement. Les décors, censés calquer l’extérieur avec quelques pauvres arbres et des cailloux en paille séché, s’étaient transformés en une luxueuse chambre. L’ambiance luxurieuse qui régna dans le théâtre destabilisa Cadmiss qui tituba. Les émotions fiévreuses des sang-purs lui comprima la gorge et il sentit son coeur s’accélérer, battant le sang à vive allure. Sa poitrine se souleva rapidement et il jeta un regard trouble vers Heskel, le second hybride de la salle. Dans le même état que lui, son compagnon reculait sous les regards venimeux, bien plus dangereux que ceux qu’il avait du affronter. Si Cadmiss avait eu la malchance de naître de la haute-vampire Lenore, Heskel n’était le rejeton que d’une simple vampire pure. Et le peuple n’avait pas peur de s’en prendre à lui contrairement à lui et au risque que représentait sa mère.
     — Oh les hybrides, chantèrent alors fort le choeur de vampires, ces créatures bizarres, mi-homme mi-vampire, quel désastre ! Faibles, lents, laids, quel affront !
     Cadmiss se crispa et tourna son regards vers la scène. Les acteurs se retenaient de rire, ceux qui incarnaient les hybrides gesticulaient ridiculement sur la pierre.
     — Incapable de se retenir de boire du sang, ne contrôle pas leurs émotions… Plus humains que vampires… conclut le présentateur.
Un haut-vampire dans l’assistance se leva et applaudit cette fin. Cadmiss, lui, observa ses voisins se lever les uns après les autres, rejoignant le premier et acclamèrent la prestation. L’allégresse lui monta à la tête et il sentit son estomac se retourner, et ce n’était pas son émotion à lui. Il leva les yeux, qu’il ne se souvenait pas d’avoir baisser, et chercha le regard d’Heskel.   Celui-ci dardait ses yeux perçants sur l’assemblée, les lèvres crispées. Cadmiss se pencha en avant, tant la douleur dans sa poitrine s’intensifia, et la nausée s'empara de lui. Il n’entendit pas la foule quitter le théâtre, mais les émotions diminuèrent au fur et à mesure, et quand il ne resta que les deux hybrides dans la salle, l’hybride se redressa. Il se sentait encore affaibli, ressentir ce que ressentait les autres était une affection qu’il n’avait jamais voulu posséder.
     — Heskel…? s’enquit Cadmiss en l’approchant.
     — Ne m’approche pas… Je risquerai de te tuer par erreur.
     — Ne te laisse pas submerger.
     Plus facile à dire qu’à faire, mais si Cadmiss ressentait les sentiments et émotions à des kilomètres à la ronde, Heskel les éprouvaient décuplés.
     Ils restèrent ainsi à se regarder pendant plusieurs minutes, ou quelques heures, avant qu’Heskel ne s’affaisse au sol le visage couvert de sueur.
     — Heureusement que je n’ai pas amené Hasel.
     — Le théâtre n’est pas pour les enfants… concéda Cadmiss en grimaçant.
     — Surtout pas celui-là.
     Les hybrides s’en allèrent à leur tour, ignorant la présence du présentateur qui leur souriait encore.